LE TOUR EST ROND
27.7.08
A chaque fois qu’on en boucle une, que les Champs-Elysées s’ouvrent sur le passage des coureurs avant de se refermer définitivement sur la course, je me demande, reprenant peu à peu mes esprits, de quelle sorte d’hallucination collective nous venons d’être les victimes ?
Qu’ai-je foutu de ce juillet 2008, petit pan de mon existence aux volets fermés ? Où avions-nous la tête, ami lecteur, toi qui ne répondais plus au téléphone, et moi qui me nourrissais exclusivement de la lecture du classement général ? Qui diable a fait fondre de la guidoline dans nos verres ?
En voyant par le vélux de ma chambre sous les toits, nos héros les coureurs, minuscules et multicolores comme des comprimés d’ecstasy, parader une dernière fois avant de se dissoudre dans la foule qui jubile, je crois saisir la nature immatérielle et psychédélique du Tour. Une quatrième semaine de ce régime permettrait certainement d’ouvrir à la conscience des peuples, des portes insoupçonnées. Pris au sens littéral, le Tour tournerait alors à la Révolution. Fort heureusement, dès demain, les véhicules utilitaires réinvestiront les routes un temps offertes à ce carnaval à hauts risques.
La chevauchée qui s’achève, provoque en moi une mélancolie identique à celle qui marquait jadis la fin de l’école. Inconscient des plaisirs de ce monde, je cherchais ce à quoi j’allais occuper le vide des deux mois d’été à venir, alors que précisément commençait le Tour de France. Devenu adulte, c’est l’inverse qui se produit. Quittant juillet, je me retrouve désemparé par ce désert de onze mois qui s’annonce, et dont je ne comprends pas bien l’utilité de la traversée. Pour le mordu, la Grande Boucle la plus pénible à accomplir commence ce soir sous la forme du faux-plat infiniment long qui mène d’un Tour à l’autre.
Aussi, afin d’apaiser mon angoisse, je décide de prendre la voiture, direction Brest. De là, je poursuivrai selon le parcours emprunté par les coureurs, histoire de valider ma nouvelle théorie, qui veut que tout passage du peloton dans un paysage donné en bouleverse durablement l’écosystème.
Roulant plein ouest, face au soleil couchant, je croise la ligne blanche d’un sprint-intermédiaire du côté de Terminiers, puis, trois kilomètres plus loin, une musette crevée dans les branches d’un platane centenaire. Il s’est bien passé quelque chose, mais quoi ?
Accélérant, je règle mon poste sur Radio-Tour. Mais ce n’est plus qu’un grésillement parasité par d’obscures émissions religieuses.
A cette heure-ci, tandis que je pars en quête de l’esprit du Tour, j’imagine volontiers le laisser-aller qui a gagné celui des coureurs. Champagne, cigarettes et mauvaise techno ; la discussion tourne sans doute autour de Katioucha, la future équipe russe, rebondit sur l’argent de l’Est, puis naturellement, sur les perspectives d’amélioration de leur quotidien, -piscines, panneaux solaires, douches à jet massant,- qu’envisagent de s’offrir avec les primes durement glanées les coureurs les plus chanceux.
Un verre dans le nez, Cadel Evans, -furieux après Popovytch, censé lui avoir des places pour la soirée privée de l’Ambassadeur d’Ukraine, mais qui, à la dernière minute, lui a fait faux-bond,- ose-t-il enfin attaquer les Schleck au karaoké ? Oui ! Hélàs, son honnête Beds are Burning se fait terrasser par le duo mimé des deux frères sur Je t’aime, moi non plus.
Arrivé du côté de Laval, je constate soudain une difficulté à passer la cinquième, consécutive à l’apparition d’un bruit répété et pour tout dire, suspect. L’examen est vite fait : c’est un maillot de la Cofidis qui s’est malencontreusement pris dans la roue arrière droite. La fibre synthétique nouvelle génération dont il est composé, est suffisamment résistante pour avoir déformé l’essieu et brûlé le pneu. Je suis contraint de passer la nuit sur place.
Ouf !
Avouons que ça pourrait être pire.
Le vent est doux, et l’aire de repos s’appelle L’étape.
Pascal d’Huez