LE PERDANT DE LA LOTTO
26.7.08
Amateur de suspense, mon ami, tu n’auras finalement guère reçu plus d’occasions de lacérer les accoudoirs de ton fauteuil lors de ces trois dernières semaines que l’outsider n’en eut de troubler la cadence infernale des CSC.
Ce samedi encore, que des plaisantins annonçaient orageux et qui fut à peine couvert, les SMS allaient bon train par les couloirs électromagnétiques réservés aux fans de petite reine. Nerveusement rédigés en langage T9, ils pariaient, approximatifs messagers, que Sartre allait battre Etant ou bien qu’ Etant allait battre Sartre; on rêvait d’une apothéose en forme de roue lenticulaire, d’un dénouement à se tordre sur le plancher du salon, mais une fois de trop, Cadel ne sera pas passé à l’attaque, laissant à jamais dans son tiroir le jeu de mots grandiose par lequel les maquettistes de L’Equipe s’apprêtaient à titrer sa victoire : Cadel évince.
Malgré les frustrations qu’il nous a causées, le perdant de la Lotto sera parvenu in fine à nous être sympathique. Avec ses façons délicates, sa capacité à supporter la douleur au-delà du raisonnable et son maillot jaune entrouvert sur le drapeau du Tibet, il entre dans la légende du Tour en tant qu’apôtre de la non-violence. Question de tempérament ; plutôt qu’à l’agression, Cadel croit en l’efficacité corrosive du sitting.
J’ignore s’il pousse le vice jusqu’à s’être fait bouddhiste, mais le cas échéant, puisque le triomphe ne sera pas de ce karma-ci, formulons le vœu que l’opiniâtre puisse dans une vie ultérieure remporter le Tour en secret, réincarné dans l’aiguille tombée d’un pin jusque dans la chaussure du maillot jaune.
A qui incombe l’échec ? A Popovytch bien évidemment ; l’homme-clef de cette bérézina, que Marc Sergeant, de façon peu élégante, chargeait tout à l’heure pour avoir eu le tort de manquer à l’appel en haut de l’Alpe, quand son leader, se trouvant fort démuni, avait du s’employer tout seul pour rattraper le temps perdu. Au lieu d’incriminer le pauvre Popo, il conviendra de mettre la main au porte-feuilles pour se payer de vrais montagnards. A toutes fins utiles, on licencie chez Saunier, et Barloworld dégraisse.
A contrario, le succès de Sastre est celui d’une tripotée de potes comme on n’en avait plus subi depuis la Bande à Basile, et qui –c’est le pompon- sait encore mieux faire la chenille. La CSC ? Plus qu’une équipe : un équipage, où l’effort désintéressé, l’amitié, l’amour même, donnent des ailes. Etrangement, parmi ses fringants copains, Sastre semblerait presque le plus vulnérable. Lui qui était venu pour aider Riis à gagner le Tour avec Basso, le gagne lui-même, passant sur le tard du statut d’équipier modèle à celui de champion.
Morale de l’histoire : comme certains Césars, qu’on dit d’honneur, le bouquet final s’offrait cette année au regard de l’ensemble d’une œuvre.
La revanche de Bjarne Riis n’en demeure pas moins éclatante. Non grata la saison dernière à la suite de l’affaire Telekom, démis de son titre 96, le voici qui vient récupérer ses lauriers sans sortir de sa voiture. Autres temps, autres mœurs. Le Tour de France a tourné végétalien, et c’est désormais la vertu qu’on récompense. A la bonne heure. Le talent résiste mieux qu’on croit à l’abolition du dopage.
Pascal d’Huez
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