TRAVERSÉE DU PÉRINÉE
18.7.08
N’en déplaise aux midinettes adeptes d’adieux de bord de mer –Laurent Joffrin en tête, qui agitait hier bien haut son mouchoir au-dessus d’une foule de pleureurs-, le Tour bouge encore, malgré les trois balles qu’il a prises dans le buffet.
D’accord, cette marche n’est pas des plus vives, et s’apparenterait plutôt à un glissement fortuit, du genre bretelle de soutien-gorge chassée par la sueur, mais n’empêche, c’est du mouvement quand même.
Ce vendredi, sur la départementale 32 de Narbonne à Nîmes, le peloton cavalait, mine de rien, au périnée du pays, sur la passerelle délicate qui, empruntant la plaine du Languedoc, sépare ces zones érogènes que sont en cyclisme, Alpes et Pyrénées. Chemin unique bordé d’étangs, passage obligé, cette courbe de Béziers qui sent, paraît-il, le coquillage, fut le terrain de préliminaires un peu longuets, d’où, comme d’hab, a jailli le visage écarlate du lapin Cavendish.
Sous influence géo-érotique, caressés par le vent d’ouest, les petits coureurs, bien qu’ils ne flirtent en général qu’avec les îlots directionnels, dérivaient sourire aux lèvres car, traversant les ondes des players radio connectés sur Sky, ils se laissaient naturellement gagner par des rêvasseries d’étreintes à vélo, -tantôt avec Rihanna, tantôt avec Cassie,- propres à soulager un moment leurs coudes écorchés. Seulement voilà, gagner ou se laisser gagner, il faut choisir, et c’est encombré d’une érection de demi-sommeil que la troupe mit en route, à la poursuite de deux échappés affolés.
Hasard ou concordance des planètes qui nous virent naître ? Moi aussi, à l’instar des vedettes de la selle, je descends ce soir dans le sud. L’opportunité qui m’y conduit est simple et dénuée de toute ambigüité : J’emmène, pour le compte d’une association caritative dont je tairai le nom, une orpheline de 17 ans qui n’a jamais vu la mer, baigner ses seins lourds dans la Méditerranée.
Cependant, tandis qu’elle dort sur la place passager, les écouteurs de son téléphone réglés à plein volume, je lui réserve la surprise d’une bifurcation-éclair sur la rocade d’Avignon, direction Digne-les-bains où à défaut de planches à voiles, nous verrons passer l’étape. Par la magie de Mappy, j’y ai déjà repéré un virage abrité d’ormes, un coin de paradis, point de vue idéal à la découverte du Tour.
A l’aire d’autoroute de Chalon-sur-Saône, j’ai bien tenté de sensibiliser Fanta en recouvrant habilement son Jeune et Jolie par le dernier Vélo Mag. Culturellement, nous avons tout à apprendre l’un de l’autre et sommes à égalité parfaite : si je ne connais pas Zaho, elle ne connaît pas Zoetemelk.
- Le Tour de France ? Ouais… C’est pas les mecs à vélo ?
- Pas seulement, Fanta. Il faudrait des heures pour tout raconter. Par exemple, sais-tu que…
- Ouais nan. J’ai jamais r’gardé.
- Sache que tant que tu n’as pas vu passer le Tour, tu ne t’es jamais vraiment servi de tes yeux.
- Ah ouais ?
Comment lui exposer ce qu’il y a de profondément moderne et envoûtant dans les destinées parallèles d’Adèle Evans et de Frank « une seconde, j’arrive » Schleck sans la faire se tortiller de sommeil ou de rigolade ?
« Le Tour de France ?, fais-je, anticipant une question qu’elle s’apprête sans doute à me poser, mais le Tour de France ! C’est une bombe, une fusée, putain ! Une navette, si tu préfères. Rien n’est aussi Français, et pourtant, jamais rien de Français n’a été aussi Américain. Chevauchée dans l’espace, cheveux au vent. Ces mecs-là, c’est des bikers. Hardcore. Sans moteur. Easy easy rider. Je suis sûr qu’un mec comme Snoop Dog rêverait de courir le Tour. En tous cas, faut absolument que tu vois ça ! »
Intriguée par mon enthousiasme, Fanta finit par ouvrir les Mémoires d’un Ti-Raleigh, autobiographie de Jan Raas qui ne quitte jamais ma boîte à gants.
A la pompe à essence de Forcalquier, elle en a déjà dévoré la moitié, laissant à trois reprises son portable chantonner dans le vide.
Ô cyclisme, où s’arrêtera donc ton épopée ?
Pascal d’Huez
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