LE PARI DE L'ALPE
23.7.08
Autant on peut théoriser longtemps sur les beautés comparées de Caravage et Mondrian avant de parvenir à la conclusion que c’est avant tout affaire d’œil, autant la tactique en cyclisme n’est que château de vent, si par malheur vous n’avez pas les cuisses.
Ce constat emprunté à mon médecin de famille, le bon Docteur Narconi, vise à soulager par avance Bjarne Riis, si d’aventure, comme il est permis au spécialiste de l’envisager, Cadel Evans ne fait samedi qu’une bouchée du temps pris aujourd’hui par Carlos Sastre. Car les longues nuits du mois d’août seront alors propices à se farcir en insomnies la montée et la remontée de la Croix-de-Fer, où la CSC irrésistible, en étant plus audacieuse, aurait peut-être pu dès l’Alpe plier la course.
Mais avec un panache discutable, les cadors –aux taquets- avaient décidé de transformer le Tour en course de côte, un peu comme deux équipes de foot à vocation défensive et essorées par la répétition des épreuves, s’accorderaient pour jouer la finale aux pénalties.
De retour ce matin dans mon village d’Huez où, plus connu que les Beatles et croulant sous les invitations, je ne puis rien faire ; je choisissais de faire l’anonyme, garais ma GSA Citroën dans la descente, et innocent derrière mes lunettes fumées Robert Chapatte, prenais place au hasard de la foule, au creux du 17ème virage. Se tenait là une brave petite famille de Néerlandais venue de Groningue, deux enfants, une jolie femme et un mari, à qui j’allais directos taper la discute. Employé au guichet de la Rabobank, Bram avait joué du désistement d’un collègue pour venir profiter du paysage. Inconsolable d’apprendre par ma bouche l’absence de Michael Boogerd, il rayonnait d’inculture cycliste, au contraire de son épouse, la pétillante Truudi, ex-playmate pour la revue de photographies d’art Poney Panpan, qui portait merveilleusement le maillot Panasonic et cette espèce de mini-cuissard en jean qu’on appelle un short.
Toute l’après-midi, à mesure que nous éclusons de l’Amstel, j’amuse Bram par mon analyse de la situation. N’entend-il pas tintinnabuler la roulette du casino ? Le frisson du jeu s’est emparé des coureurs, lesquels ont décidé, une fois n’est pas coutume, de s’amuser un peu et de changer la pente de l’Alpe-d’Huez en tapis de Black Jack. Allez, que diable ! A nous ! Sûr de mon coup, je lui tiens le pari qu’au sommet, Frank Schleck conservera son beau maillot jaune. De son côté, après avoir posé le doigt en aveugle sur la liste des engagés jetée par la caravane, il me garantit que la première place du général reviendra tout à l’heure à Tadej Valjavec. Comme bon lui semble. Pari tenu. Quant à l’enjeu ? Au cas peu probable où j’échouerais, ma voiture deviendra la sienne. Hilare, mais ne voyant rien d’égal à m’offrir, Bram promet de me prêter pour une nuit, Truudi, à qui la déplorable grivoiserie de son mari fait illico monter le rouge aux joues. Mais chut ! Les voilà. Il est temps de regagner le van pour suivre l’étape à la télé.
Comme c'était à prévoir au passage du groupe des gros bonnets, le public, n’en pouvant plus, se disloque en deux buissons ardents. Dans ce nuage de folie, on en voit même, par le hublot, qui tentent d’escalader le côteau pour rallier à temps le prochain lacet, sans songer un instant aux risques d’hallucinations ou d’impressions de déjà-vu qu’ils risquent d’infliger aux athlètes. Spectacle terrible, ponctué par le sauve-qui-peut de Cadel Evans, obligé de se dépouiller pour courir après le voleur Sastre, tel le De Funès de La Folie des Grandeurs après ses pièces d’or envolées.
Nos paris tombés à l’eau, comme il ne veut pas se retrouver coincé dans les embouteillages monstres de l’après-étape, Bram prend mon e-mail puis congé, tandis qu’on jurerait entendre un soupçon de tristesse dans le tot ziens de Truudi.
Pour ma part, ma mère pouvant se montrer quelquefois envahissante et m’ayant promis à dîner l’un de ces pâtés mammifères dont elle a le pénible secret, je décide de fuir la civilisation et m'engage dans le sentier de mon enfance, au bout duquel je sais se trouver une bergerie et son matelas de foin frais.
Je m’y endors comme Cadel et Carlos, en comptant les secondes.
Mais soudain vers onze heures, un souffle sur ma bouche.
Truudi ?
Non, mais une brebis apeurée, que des imbéciles ont peinturluré aux couleurs de la Caisse d'Epargne.
Pascal d’Huez
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