TOUR D'ARGENT
25.7.11
Ce dimanche après-midi, arrivé sur les Champs aux alentours de 18h, je débouche à Clémenceau au moment où les trois premiers du général finissent d'entonner l'hymne australien. Le vainqueur, drapé dans sa bannière, apparaît sur l'écran géant, la casquette bien calée dans l'entrecuisse de l'Arc de Triomphe.
En connaisseur, je tourne le dos au protocole et me mets, sans plus attendre, en quête du meilleur spot pour assister à la traditionnelle parade des coureurs. Deux règles commandent. D'une, se renseigner sur le pays d'origine du lauréat. Secundo, trouver un groupe de supporters arborant des attributs nationaux de la façon la plus baroque possible.
Je trouve refuge entre deux kangourous gonflables, idéalement placé derrière une Australienne en maillot, dont les bonnets du soutien-gorge sont deux coquilles Saint-Jacques peintes en bleu.
Si, avec tout ça, Cadel Evans ne s'arrête pas nous faire la bise...
Chaque année, c'est pareil. J'ai beau tenté de me contenir, j'interpelle à tout va.
Un regard suffit à mon bonheur, voilà ce que c'est que la dépendance.
Johnny Hoogerland me paraît totalement requinqué, J.-C. Péraud passe sans que je parvienne à me rappeler son prénom, et les Schlecks, émouvants, dérivent davantage qu'ils ne défilent. Frank m'observe longtemps l'applaudir, avec l'air de se demander si c'est du lard ou du cochon.
C'est de l'admiration pur jus, Franky. Malgré toutes les vacheries balancées sur cette page à votre encontre, je roule au respect profond.
Les coureurs dont je scande le nom, souvent ne remuent pas d'un boyau, parfois se retournent, espérant retrouver un ami de la famille, un voisin qui a fait la route. Au lieu de quoi, ils découvrent ma tête, moustachue sous casquette, et repartent, perplexes.
Après s'être copieusement fait désirer, Cadel arrive enfin, dans la meute des motos aux phares bleus. « Ready ? », je demande à mes kangourous. La foule exulte. Sensible à l'enthousiasme de ses compatriotes, le maillot jaune bifurque à notre rencontre et, la main levée, nous effleure presque. « A bit too close », déplore ma voisine, en me montrant le résultat de son cliché : une impression safran sans visage. Trop tard, il est déjà loin.
Une fois le dernier coureur passé, le dernier fanion rangé dans son étui, je marche, groggy, jusqu'à Châtelet, où je décide finalement d'aller manger « A la Tour d'Argent », petit bar d'habitués qui joue malicieusement de son homonymie avec l'illustre restaurant.
Je m'y repasse le film de ce Tour 2011, cherchant à comprendre ce qui nous est arrivé, la structure du récit.
Les pages sport du Parisien ayant été dérobées (par un Australien sans doute), je me replie sur la biographie d'Amy Winehouse, en de nombreux points similaire à celles de Vandenbroucke et Pantani.
Soudain, un couple casquetté Luxembourg fait irruption dans le bar. Ils viennent, m'expliquera-t-il un peu plus tard, parce que le GPS de leur véhicule leur a indiqué que cet endroit où je dîne, est le centre exact de Paris.
Bien entendu, je les branche vélo.
Il m'explique, en français (elle parle exclusivement allemand), qu'ils sont partis du Luxembourg sur un coup de tête, au soir du triomphe d'Andy Schleck au Galibier.
...
Je les fixe alors longuement, jusqu'à ce qu'ils baissent la tête.
Je vide mon verre.
Je me lève.
Je règle et je m'en vais.
Pascal d'Huez