SALOMÉ
8.1.07
Dans la vitre de l’autocar Transbreizh qui me transportait tout à l’heure à Rennes, le reflet de mon visage affichait l’expression d'un homme en sueur.
Que signifiait ce Kevin lunatique et mal en point que m'avait décrit le responsable Cochonou ? Avait-il des raisons d'être inquiet ? Et quid des menaces évoquées par sa mère aux premiers jours de l'enquête ?
Moins que jamais, j’avais acquis la conviction d’être sur la bonne voie.
Cependant, le petit bar en bas de chez moi venant de fermer pour vacances, et le vélo se faisant rare sur Eurosport, à quoi bon rentrer ?
Aussi, j’avais choisi de me rendre sur le campus de la fac de droit où, selon la biographie sommaire dénichée sur « Les Copains d’avant », Salomé était encore étudiante en maîtrise.
Grand professionnel, je profitais du trajet pour éplucher les différents portraits de la jeune femme, imprimés depuis le site.
C’était une brune au teint mat, réservée, au regard noir réhaussé de mascara. Réprimant un fou-rire perpétuel, elle portait une grande mèche aplatie à travers le front, brillante de reflets que l’amateur de Beaujolais nouveau qualifierait de groseille, cassis, ou banane.
On la voyait avec un drapeau tricolore peint sur la joue, puis coloriant elle-même le front d’un Kevin rigolard.
Une autre fois, sous le cagnard, elle avait été photographiée en plein travail, dans le tee-shirt blanc de son annonceur. Bracelet en plastique pendant au poignet, elle rassasiait de mini-rations d’eau un public aux anges.
Dans l’Alpe-d’Huez, elle avait pris ironiquement la pose en compagnie de supporters de Michael Boogerd, tandis qu’à la terrasse d’un bar, elle apparaissait joue contre joue avec une collègue du Café Grand’mère.
Sur une vue panoramique, elle chevauchait avec ses équipières l’amusant véhicule Aquarel en forme de bouteille, toutes cuisses apparentes, dans une pose à la queue leu leu qui rappelait les revues du Lido.
Elle avait passé le jour de repos en maillot.
Dans la nuit, elle avait participé à une bataille d’eau, où elle avait beaucoup reçu.
Suite à quoi, elle s’était laissée flasher torse nu, grimpée sur le diable géant qui servait de logo au Faillitaire, en compagnie d’autres filles de la caravane, qui toutes cachaient pudiquement leur poitrine dans leurs mains.
Elle s'était enfin, endormie dans le bus.
Ironie du sort, le mien venait de s’arrêter du côté de Saint-Grégoire, immobilisé par une crevaison à l’endroit même où Bobby Julich avait chuté lors du premier contre-la-montre, perdant toutes chances de rallier Paris.
J’arrivai sur le campus aux environs de 16h. Quelques étudiants transis de froid couraient attrapper le bus.
Pendant une heure, je tentai de les intercepter, leur présentant mes photos enrobées d’un speech préparé à l’avance.
Mais les cours étaient presque finis et la nuit tombait. Mon pauvre D’Huez, ton enquête s’enlisait.
Je songeai un instant me mettre à jeter au hasard des cailloux vers les fenêtres éclairées des bâtiments hostiles de la Cité U, car là, juste au-dessus, se trouvait peut-être Salomé, occupée à réviser sa jurisprudence.
Mais comme on se laisse glisser en bas du peloton un jour que l’on n’a définitivement pas les jambes, je redescendai sur Rennes dans l’espoir d’y trouver quelque chose à boire, objectif raisonnable qui se transformerait bientôt en coup de génie.
Sylvain Paris-Brest, collègue et ami, globe-trotter invétéré, m’avait un jour dit le plus grand bien de cette artère que les gens du coin appellent la rue de la soif.
« Tu verras », disait-il, « il y est un endroit charmant, aux miroirs déformants et aux cent-une bières, véritable paradis de l’homme moderne… ». Ce lieu s’appelle le Vancouver.
J’en poussai la porte à 20h. Coup de chance ! On ouvrait juste.
Au terme d’une semaine de vagabondage et d’une journée compliquée, j’avoue avoir immédiatement apprécié le Vancouver, avec ses habituées, déjà installées au bar, qui avaient salué mon arrivée par un toast royal. Je m’assis sous un Cupidon en néon, quand, aussitôt, une jeune femme vint me retrouver, qui me fit des compliments sur mon physique, et m’invita à commander du Champagne.
Elle me disait à l’oreille que je lui rappelais je ne sais quel sportif à la mode, "Mourinho !", ou plutôt, voulait-elle dire, le gars de la Française des Jeux, Marc Madiot.
Fort à propos, je penchai le crâne pour lui montrer le tatouage que Ludo Peeters avait à jamais tracé sur ma nuque.
« C’est le Tour de France ! », s’extasia-t-elle, bien que sous l’effet d’une réaction cutanée, ma peau se soit boursouflée. « J’adore !».
Tandis qu’elle égrénait les noms fameux, la bretelle de son soutien-gorge avait glissé le long de son bras, au bout duquel je reconnaissais le bracelet jaune vu en photo.
« Lemond, Leblanc, Pantani… » poursuivait-elle, en recommandant à boire.
« Je suis Pascal D’Huez », coupai-je.
D’avoir recoloré ses cheveux en blond n’empêchait pas Salomé d’avoir soudain le rouge aux joues.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Rennes.
Que signifiait ce Kevin lunatique et mal en point que m'avait décrit le responsable Cochonou ? Avait-il des raisons d'être inquiet ? Et quid des menaces évoquées par sa mère aux premiers jours de l'enquête ?
Moins que jamais, j’avais acquis la conviction d’être sur la bonne voie.
Cependant, le petit bar en bas de chez moi venant de fermer pour vacances, et le vélo se faisant rare sur Eurosport, à quoi bon rentrer ?
Aussi, j’avais choisi de me rendre sur le campus de la fac de droit où, selon la biographie sommaire dénichée sur « Les Copains d’avant », Salomé était encore étudiante en maîtrise.
Grand professionnel, je profitais du trajet pour éplucher les différents portraits de la jeune femme, imprimés depuis le site.
C’était une brune au teint mat, réservée, au regard noir réhaussé de mascara. Réprimant un fou-rire perpétuel, elle portait une grande mèche aplatie à travers le front, brillante de reflets que l’amateur de Beaujolais nouveau qualifierait de groseille, cassis, ou banane.
On la voyait avec un drapeau tricolore peint sur la joue, puis coloriant elle-même le front d’un Kevin rigolard.
Une autre fois, sous le cagnard, elle avait été photographiée en plein travail, dans le tee-shirt blanc de son annonceur. Bracelet en plastique pendant au poignet, elle rassasiait de mini-rations d’eau un public aux anges.
Dans l’Alpe-d’Huez, elle avait pris ironiquement la pose en compagnie de supporters de Michael Boogerd, tandis qu’à la terrasse d’un bar, elle apparaissait joue contre joue avec une collègue du Café Grand’mère.
Sur une vue panoramique, elle chevauchait avec ses équipières l’amusant véhicule Aquarel en forme de bouteille, toutes cuisses apparentes, dans une pose à la queue leu leu qui rappelait les revues du Lido.
Elle avait passé le jour de repos en maillot.
Dans la nuit, elle avait participé à une bataille d’eau, où elle avait beaucoup reçu.
Suite à quoi, elle s’était laissée flasher torse nu, grimpée sur le diable géant qui servait de logo au Faillitaire, en compagnie d’autres filles de la caravane, qui toutes cachaient pudiquement leur poitrine dans leurs mains.
Elle s'était enfin, endormie dans le bus.
Ironie du sort, le mien venait de s’arrêter du côté de Saint-Grégoire, immobilisé par une crevaison à l’endroit même où Bobby Julich avait chuté lors du premier contre-la-montre, perdant toutes chances de rallier Paris.
J’arrivai sur le campus aux environs de 16h. Quelques étudiants transis de froid couraient attrapper le bus.
Pendant une heure, je tentai de les intercepter, leur présentant mes photos enrobées d’un speech préparé à l’avance.
Mais les cours étaient presque finis et la nuit tombait. Mon pauvre D’Huez, ton enquête s’enlisait.
Je songeai un instant me mettre à jeter au hasard des cailloux vers les fenêtres éclairées des bâtiments hostiles de la Cité U, car là, juste au-dessus, se trouvait peut-être Salomé, occupée à réviser sa jurisprudence.
Mais comme on se laisse glisser en bas du peloton un jour que l’on n’a définitivement pas les jambes, je redescendai sur Rennes dans l’espoir d’y trouver quelque chose à boire, objectif raisonnable qui se transformerait bientôt en coup de génie.
Sylvain Paris-Brest, collègue et ami, globe-trotter invétéré, m’avait un jour dit le plus grand bien de cette artère que les gens du coin appellent la rue de la soif.
« Tu verras », disait-il, « il y est un endroit charmant, aux miroirs déformants et aux cent-une bières, véritable paradis de l’homme moderne… ». Ce lieu s’appelle le Vancouver.
J’en poussai la porte à 20h. Coup de chance ! On ouvrait juste.
Au terme d’une semaine de vagabondage et d’une journée compliquée, j’avoue avoir immédiatement apprécié le Vancouver, avec ses habituées, déjà installées au bar, qui avaient salué mon arrivée par un toast royal. Je m’assis sous un Cupidon en néon, quand, aussitôt, une jeune femme vint me retrouver, qui me fit des compliments sur mon physique, et m’invita à commander du Champagne.
Elle me disait à l’oreille que je lui rappelais je ne sais quel sportif à la mode, "Mourinho !", ou plutôt, voulait-elle dire, le gars de la Française des Jeux, Marc Madiot.
Fort à propos, je penchai le crâne pour lui montrer le tatouage que Ludo Peeters avait à jamais tracé sur ma nuque.
« C’est le Tour de France ! », s’extasia-t-elle, bien que sous l’effet d’une réaction cutanée, ma peau se soit boursouflée. « J’adore !».
Tandis qu’elle égrénait les noms fameux, la bretelle de son soutien-gorge avait glissé le long de son bras, au bout duquel je reconnaissais le bracelet jaune vu en photo.
« Lemond, Leblanc, Pantani… » poursuivait-elle, en recommandant à boire.
« Je suis Pascal D’Huez », coupai-je.
D’avoir recoloré ses cheveux en blond n’empêchait pas Salomé d’avoir soudain le rouge aux joues.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Rennes.
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