KEVIN LEBON
3.1.07
La semaine dernière, j’étais content.
J’avais fêté Noël en compagnie d’un animal de compagnie prêté par un ami, et je finissais l’année joyeusement, en mâtant le DVD du Tour 2006.
Comment me douter alors que je serais ce soir en train de vous écrire pour le troisième jour d’affilée, rapporteur consciencieux d’un fait divers troublant, dans lequel je me retrouve involontairement embarqué ?
Ainsi va la course ; on pensait passer la journée dans le roues et nous voilà dans l’échappée fatale, sommé de rouler jusqu’au bout !
Répondant présent à la demande du commissaire Ringenbach, je me rendai dans la matinée à l’institut médico-légal d’Esch-sur-Alzette, où les gendarmes avaient emmené en urgence le corps incomplet de Kevin Lebon.
On sollicitait ma qualité d’expert ès cyclisme pour éclaircir un point crucial de l’enquête ; du moins est-ce à peu près en ces termes qu’on me formula ma convocation.
« C’est au sujet du tatouage ! », me prévint Ringenbach, qui –c’est marrant- a vraiment un faux-air de Roger Legeay. « La peau a été bouffée par le froid, mais sûrement que vous, Monsieur D’Huez, grâce à vos compétences mondialement reconnues, saurez nous dire ».
C’était un jeune homme maigre aux pommettes saillantes et aux cheveux châtains bouclés, déjà clairsemés sur les bords par la faute d’un casque certainement mal réglé.
Quand tant d’autres, à ce moment de la saison, se laissent gagner par le surpoids, on peut dire de Kevin qu’il était parfaitement affûté, n’était-ce sa jambe en moins, dont le moignon rosâtre pendait lamentablement.
Pas d’erreur possible toutefois, nous étions bien en présence d’un cycliste qui, sans être professionnel, devait accomplir entre 5 et 10 000 kilomètres par an. Membre inférieur puissant, varices, abdominaux faibles et pectoraux inexistants dessinaient un profil de routier-sprinteur.
Me permettant de faire jouer l’articulation de la nuque, je relevai une raideur de la région cervico-dorsale qui pouvait laisser supposer l’utilisation d’un cadre plongeant, ou, à la rigueur, demi-sloping.
« Et concernant le tatouage ? Qu’en dites-vous ? »
Je signalai encore au médecin-légiste plusieurs cicatrices au niveau du coude, séquelles de chutes, ainsi qu’une tendinopathie du genou, caractéristique de pédales automatiques mal ajustées.
Selon le rapport de police, Kevin avait tenté de fuir son agresseur en coupant à travers champs. Son Lapierre ne lui offrant pas une stabilité suffisante dans le labour couvert de neige, il aurait chuté, et comble de malchance, ne serait pas parvenu à déchausser, offrant une proie facile à son meurtrier, probablement venu en 4X4, au vu des traces de pneus.
« Mais le tatouage, D’Huez ? », insistait lourdement Ringenbach, en se tortillant d’anxiété. « Enfin, vous devez bien avoir une idée… »
Le tracé bleuté avait été rendu difficile à lire à cause d’une grosse écchymose, mais ce n’était ni un simple bonhomme, ni le « manga » évoqué par les frères Schmitt.
C’était –oui, c’était bien sûr- une reproduction fidèle de « L’Homme au Marteau » du dessinateur Pellos. En trois couleurs, sur fond chair.
Surgi de derrière la montagne avec sa masse prête à fondre sur le coureur en perdition, « L’Homme au Marteau » est le symbole de la défaillance brutale, la figure du mal absolu, « le prince des ténèbres cyclistes », déclarai-je avec emphase à un Ringenbach positivement impressionné.
Sans doute Kevin aura-t-il choisi ce motif comme une sorte de talisman contre le coup de moins bien. Compte tenu des événements survenus ces dernières heures, force est de constater qu’une barre énergétique aurait été plus indiquée.
A Patouche, qui a passé la journée à interroger sans succès les amis de la victime, et qui me demandait ce soir au téléphone ce que l’autre jambe pouvait avoir de si précieux pour que le meurtrier tienne à s’en emparer, je conseillai de bien fermer la porte, car je ne rentre pas.
Avec l’aval du commissaire, je pars demain pour Valkenburg rendre visite à l’auteur du tatouage, un certain Ludo Peeters, ancien de la Ti-Raleigh, reconverti dans l’art corporel.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Esch-sur-Alzette.
J’avais fêté Noël en compagnie d’un animal de compagnie prêté par un ami, et je finissais l’année joyeusement, en mâtant le DVD du Tour 2006.
Comment me douter alors que je serais ce soir en train de vous écrire pour le troisième jour d’affilée, rapporteur consciencieux d’un fait divers troublant, dans lequel je me retrouve involontairement embarqué ?
Ainsi va la course ; on pensait passer la journée dans le roues et nous voilà dans l’échappée fatale, sommé de rouler jusqu’au bout !
Répondant présent à la demande du commissaire Ringenbach, je me rendai dans la matinée à l’institut médico-légal d’Esch-sur-Alzette, où les gendarmes avaient emmené en urgence le corps incomplet de Kevin Lebon.
On sollicitait ma qualité d’expert ès cyclisme pour éclaircir un point crucial de l’enquête ; du moins est-ce à peu près en ces termes qu’on me formula ma convocation.
« C’est au sujet du tatouage ! », me prévint Ringenbach, qui –c’est marrant- a vraiment un faux-air de Roger Legeay. « La peau a été bouffée par le froid, mais sûrement que vous, Monsieur D’Huez, grâce à vos compétences mondialement reconnues, saurez nous dire ».
C’était un jeune homme maigre aux pommettes saillantes et aux cheveux châtains bouclés, déjà clairsemés sur les bords par la faute d’un casque certainement mal réglé.
Quand tant d’autres, à ce moment de la saison, se laissent gagner par le surpoids, on peut dire de Kevin qu’il était parfaitement affûté, n’était-ce sa jambe en moins, dont le moignon rosâtre pendait lamentablement.
Pas d’erreur possible toutefois, nous étions bien en présence d’un cycliste qui, sans être professionnel, devait accomplir entre 5 et 10 000 kilomètres par an. Membre inférieur puissant, varices, abdominaux faibles et pectoraux inexistants dessinaient un profil de routier-sprinteur.
Me permettant de faire jouer l’articulation de la nuque, je relevai une raideur de la région cervico-dorsale qui pouvait laisser supposer l’utilisation d’un cadre plongeant, ou, à la rigueur, demi-sloping.
« Et concernant le tatouage ? Qu’en dites-vous ? »
Je signalai encore au médecin-légiste plusieurs cicatrices au niveau du coude, séquelles de chutes, ainsi qu’une tendinopathie du genou, caractéristique de pédales automatiques mal ajustées.
Selon le rapport de police, Kevin avait tenté de fuir son agresseur en coupant à travers champs. Son Lapierre ne lui offrant pas une stabilité suffisante dans le labour couvert de neige, il aurait chuté, et comble de malchance, ne serait pas parvenu à déchausser, offrant une proie facile à son meurtrier, probablement venu en 4X4, au vu des traces de pneus.
« Mais le tatouage, D’Huez ? », insistait lourdement Ringenbach, en se tortillant d’anxiété. « Enfin, vous devez bien avoir une idée… »
Le tracé bleuté avait été rendu difficile à lire à cause d’une grosse écchymose, mais ce n’était ni un simple bonhomme, ni le « manga » évoqué par les frères Schmitt.
C’était –oui, c’était bien sûr- une reproduction fidèle de « L’Homme au Marteau » du dessinateur Pellos. En trois couleurs, sur fond chair.
Surgi de derrière la montagne avec sa masse prête à fondre sur le coureur en perdition, « L’Homme au Marteau » est le symbole de la défaillance brutale, la figure du mal absolu, « le prince des ténèbres cyclistes », déclarai-je avec emphase à un Ringenbach positivement impressionné.
Sans doute Kevin aura-t-il choisi ce motif comme une sorte de talisman contre le coup de moins bien. Compte tenu des événements survenus ces dernières heures, force est de constater qu’une barre énergétique aurait été plus indiquée.
A Patouche, qui a passé la journée à interroger sans succès les amis de la victime, et qui me demandait ce soir au téléphone ce que l’autre jambe pouvait avoir de si précieux pour que le meurtrier tienne à s’en emparer, je conseillai de bien fermer la porte, car je ne rentre pas.
Avec l’aval du commissaire, je pars demain pour Valkenburg rendre visite à l’auteur du tatouage, un certain Ludo Peeters, ancien de la Ti-Raleigh, reconverti dans l’art corporel.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Esch-sur-Alzette.
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