BRETZELS
2.1.07
Comme Floyd Landis, en retard de six secondes sur la rampe de départ du prologue -mais qui s’en souvient ?- j’entame l’exercice 2007 de la plus catastrophique des façons puisque, consécutivement à l’incendie de mon véhicule dans la nuit de la Saint-Sylvestre, c’est encore de Strasbourg que je vous écris ce soir, au bout d’une journée riche en événements, qu’il me paraît urgent de vous relater.
Ce matin, Patouche m’a emmené sur le parcours d’entraînement du jeune homme porté disparu hier soir.
Comme elle a été chargée par le DNA de suivre les recherches, et que, de mon côté, je dispose d’un peu de temps, c’est bien volontiers que j’ai accepté de mettre à disposition ma connaissance du vélo et de ceux et celles qui le pratiquent.
Ainsi, nous écoutions Nostalgie. Le soleil illuminait la neige et dorait si bien l’habitacle de la Saxo que tout semblait fait d’un matériau précieux : volant, levier de vitesse, genoux de Patouche, qui portait aujourd’hui cette jupe noire assortie à ses cheveux, qui lui va super.
« 21 ans », répondit-elle à ma question sur l’âge du garçon, un nommé Kevin Lebon. « Les gens du coin le connaissent bien, car il gagnait tout chez les cadets. »
- N’a-t-il pas une petite amie chez qui il aurait tout simplement passer la nuit, comme le font des milliards d’êtres humains dans le monde ?
- Sa mère dit que non.
Plus alarmant, elle aurait confié à la gendarmerie avoir intercepté ces dernières semaines plusieurs appels anonymes accompagnés de menaces.
A Saverne, nous avons fait halte à la taverne des Frères Schmitt, où Kevin avait ses habitudes. Arrivé avant nous, le commissaire Ringenbach était déjà occupé à interroger quelques familiers de l’endroit, attablés sans crainte sous d’énormes poutres.
Je m’empressai de lui confier ma certitude que tout ça n’était pas bien grave, que ce jeune homme avait du dormir chez des amis et qu’il n’y avait vraiment pas de quoi ébranler toutes les polices du Bas-Rhin.
Se serait-il perdu ? Pas de danger, assurait Walter Schmitt, inquiet d’avoir fait la nuit d’avant un mauvais rêve. Même avec la neige, Kevin connaissait comme sa poche ce parcours qu’il éxécutait presque chaque jour, en passant par la côte d’Heiligenstein et le Baden-Württemberg. Quant à la fuite, Wilfried Schmitt, interrogé à son tour, n’y croyait pas davantage. Quand bien même c’était un pauvre môme qui n’avait pas connu son père, c’était un bon vivant. N’était-il pas, vingt-quatre heures plus tôt, venu prendre l’un de « ces bons vieux bretzels encore chauds coupés en deux avec plein de beurre dedans » ?
Une fois ses gants posés sur le radiateur, Kevin s’asseyait toujours à la même place, près du jeu-vidéo dont il faisait grande consommation.
Hier, se souvenait Schmitt, les yeux bleus et humides, il était particulièrement heureux de montrer à tous son tatouage, la nouvelle lubie des cyclistes, là, sur la cheville.
« Un bonhomme » selon W. Schmitt, quand son frère penchait plutôt pour un « manga ».
Une équipe de gendarmes nous a rejoints vers treize heures. Ils rentraient d’une battue dans la plaine environnante et avaient fait chou-blanc. Ringenbach envisageait de procéder à des survols de la zone en hélicoptère, ainsi qu’à de nouveaux râtissages en partenariat avec la police allemande, également mise en alerte.
Mu par ma seule intuition, j’avisai, accrochée près de la tête empaillée d’un grand cerf, une main PMU en piteux état, que je ne résistai pas à observer de plus près. Mais alors même que je m’apprêtai à savourer un moment de complicité triomphante en lui montrant ma trouvaille, Patouche, moqueuse, me fit remarquer la saleté de mes doigts.
Une substance, brune et malodorante, que je n’avais pas immédiatement repérée, poissait l’objet comme un vernis. En deux temps trois mouvements, je m’en étais foutu partout.
L’ayant remarqué, W. Schmitt s’approcha discrètement et me retira la main des mains avec un air de conspirateur. C’est qu’il n’appréciait pas tellement la liberté avec laquelle je m’étais emparé de cette pièce-maîtresse d’une collection bigarrée qui comprenait aussi bouteilles rares et cartes-postales du monde. Il s’agissait ni plus ni moins d’une pièce historique : la main PMU qui avait cisaillé l’avant-bras du malheureux Thor Hushovd, alors en jaune, à l’arrivée de la première étape, et que les frères Schmitt avaient soigneusement laissée en l’état.
« Nom de dieu, mais c’est du sang ! », fis-je remarquer à Patouche.
(La voici justement qui traverse le salon pour monter se coucher. Bien qu’elle ne m’en a pas donné la consigne, je me permets de vous adresser de sa part un petit coucou).
Afin de détendre l’atmosphère, je proposai d’offrir une tournée de bière générale, lorsque le commissaire Rungenbach reçut un appel.
Ancien du GIGN, il éprouva pourtant le besoin de s’asseoir.
On venait de retrouver le corps de Kevin à la frontière Luxembourgeoise, sur son vélo, gisant dans la neige.
Plus surprenant, sa jambe droite avait été sectionnée et emportée avec la pédale.
Pascal D’Huez, envoyé spécial à Strasbourg.
Ce matin, Patouche m’a emmené sur le parcours d’entraînement du jeune homme porté disparu hier soir.
Comme elle a été chargée par le DNA de suivre les recherches, et que, de mon côté, je dispose d’un peu de temps, c’est bien volontiers que j’ai accepté de mettre à disposition ma connaissance du vélo et de ceux et celles qui le pratiquent.
Ainsi, nous écoutions Nostalgie. Le soleil illuminait la neige et dorait si bien l’habitacle de la Saxo que tout semblait fait d’un matériau précieux : volant, levier de vitesse, genoux de Patouche, qui portait aujourd’hui cette jupe noire assortie à ses cheveux, qui lui va super.
« 21 ans », répondit-elle à ma question sur l’âge du garçon, un nommé Kevin Lebon. « Les gens du coin le connaissent bien, car il gagnait tout chez les cadets. »
- N’a-t-il pas une petite amie chez qui il aurait tout simplement passer la nuit, comme le font des milliards d’êtres humains dans le monde ?
- Sa mère dit que non.
Plus alarmant, elle aurait confié à la gendarmerie avoir intercepté ces dernières semaines plusieurs appels anonymes accompagnés de menaces.
A Saverne, nous avons fait halte à la taverne des Frères Schmitt, où Kevin avait ses habitudes. Arrivé avant nous, le commissaire Ringenbach était déjà occupé à interroger quelques familiers de l’endroit, attablés sans crainte sous d’énormes poutres.
Je m’empressai de lui confier ma certitude que tout ça n’était pas bien grave, que ce jeune homme avait du dormir chez des amis et qu’il n’y avait vraiment pas de quoi ébranler toutes les polices du Bas-Rhin.
Se serait-il perdu ? Pas de danger, assurait Walter Schmitt, inquiet d’avoir fait la nuit d’avant un mauvais rêve. Même avec la neige, Kevin connaissait comme sa poche ce parcours qu’il éxécutait presque chaque jour, en passant par la côte d’Heiligenstein et le Baden-Württemberg. Quant à la fuite, Wilfried Schmitt, interrogé à son tour, n’y croyait pas davantage. Quand bien même c’était un pauvre môme qui n’avait pas connu son père, c’était un bon vivant. N’était-il pas, vingt-quatre heures plus tôt, venu prendre l’un de « ces bons vieux bretzels encore chauds coupés en deux avec plein de beurre dedans » ?
Une fois ses gants posés sur le radiateur, Kevin s’asseyait toujours à la même place, près du jeu-vidéo dont il faisait grande consommation.
Hier, se souvenait Schmitt, les yeux bleus et humides, il était particulièrement heureux de montrer à tous son tatouage, la nouvelle lubie des cyclistes, là, sur la cheville.
« Un bonhomme » selon W. Schmitt, quand son frère penchait plutôt pour un « manga ».
Une équipe de gendarmes nous a rejoints vers treize heures. Ils rentraient d’une battue dans la plaine environnante et avaient fait chou-blanc. Ringenbach envisageait de procéder à des survols de la zone en hélicoptère, ainsi qu’à de nouveaux râtissages en partenariat avec la police allemande, également mise en alerte.
Mu par ma seule intuition, j’avisai, accrochée près de la tête empaillée d’un grand cerf, une main PMU en piteux état, que je ne résistai pas à observer de plus près. Mais alors même que je m’apprêtai à savourer un moment de complicité triomphante en lui montrant ma trouvaille, Patouche, moqueuse, me fit remarquer la saleté de mes doigts.
Une substance, brune et malodorante, que je n’avais pas immédiatement repérée, poissait l’objet comme un vernis. En deux temps trois mouvements, je m’en étais foutu partout.
L’ayant remarqué, W. Schmitt s’approcha discrètement et me retira la main des mains avec un air de conspirateur. C’est qu’il n’appréciait pas tellement la liberté avec laquelle je m’étais emparé de cette pièce-maîtresse d’une collection bigarrée qui comprenait aussi bouteilles rares et cartes-postales du monde. Il s’agissait ni plus ni moins d’une pièce historique : la main PMU qui avait cisaillé l’avant-bras du malheureux Thor Hushovd, alors en jaune, à l’arrivée de la première étape, et que les frères Schmitt avaient soigneusement laissée en l’état.
« Nom de dieu, mais c’est du sang ! », fis-je remarquer à Patouche.
(La voici justement qui traverse le salon pour monter se coucher. Bien qu’elle ne m’en a pas donné la consigne, je me permets de vous adresser de sa part un petit coucou).
Afin de détendre l’atmosphère, je proposai d’offrir une tournée de bière générale, lorsque le commissaire Rungenbach reçut un appel.
Ancien du GIGN, il éprouva pourtant le besoin de s’asseoir.
On venait de retrouver le corps de Kevin à la frontière Luxembourgeoise, sur son vélo, gisant dans la neige.
Plus surprenant, sa jambe droite avait été sectionnée et emportée avec la pédale.
Pascal D’Huez, envoyé spécial à Strasbourg.
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