ITSY BITSY PETIT BETTINI
15.11.06
« Itsy Bitsy Teenie Weenie, tout petit petit Bettini
qui gagnait pour la énième fois… »
Ce fameux tube, chanté par Dalida dans les années Anquetil, connaît ces jours-ci un succès monstre en Toscane, où les adolescentes en ont fait leur sonnerie de portable. « Paolo est si mignon ! » s’accordent-elles en échangeant sous cape posters et bidons. Bettini se chante, se danse, se porte en tee-shirt ou en pendentif victorieux au creux d’un col en V. Sale époque pour les gros balèzes. Sous l’effet de ses performances répétées, ils n’ont plus la côte et songent à migrer, mais enfin, quelle brute épaisse n’a jamais été mise en garde contre le péril représenté par les petits nerveux ?
Assurément, Paolo Bettini fait honneur à la caste des minus à ne jamais provoquer, sous peine de recevoir une raclée, et de rentrer tard, bien tard, à l’heure où la valeur des mensurations n’a plus cours.
A la suite du blaireau Hinault, du panda Jalala, et de l’éléphant Pantani, il est invité à pénétrer l’Arche de Noé qui sert de Panthéon au cyclisme, sous la forme d’ « il grillo » Bettini, le grillon aux élytres d’or olympique dont, en authentique super-héros, il a repris l’attitude et la panoplie, depuis les pattes arrières surpuissantes articulées à un torse diaphane décomposant la lumière, jusqu’au funeste tss tss qu’il siffle entre ses dents au moment de passer à l’attaque.
Davantage que son physique, c’est son style, par bonds successifs et attaques répétées, qui lui a valu d’être changé en insecte pour l’éternité.
Parce qu’il est vif et malicieux, Paolo Bettini aurait aussi bien pu faire carrière en tant que personnage dessiné sur les paquets de chocolat en poudre, au lieu de quoi, il a choisi cyclisme, une discipline où l’on sait, depuis sa première saison amateur, sous les couleurs de La California, son village et son club, avec lequel il devait remporter 24 des 25 courses où on avait eu le malheur de l’inscrire, qu’un seul grillon suffit à faire une calamité.
Combien d’apprentis coureurs de la région, la plupart supporters de Moser, quand lui n’avait d’yeux que pour Saronni, ont alors délaissé la bicyclette au profit de la Vespa pour de longues virées sans efforts, le samedi après-midi, le long de la mer Thyrénienne ?
Plusieurs milliers, me chuchote-t-on en temps réel.
Tel Gemini Cricket, bon génie des hautes herbes, qui, tout comme les cyclistes, n’a de limites à ses projets de grandeur que le pare-choc des voitures, Paolo Bettini abonde en astuces et pratique l’intelligence au-delà du seuil anaérobie.
Sa première ruse, c’est son gabarit de grimpeur, qu’un coureur inattentif ne soupçonnerait pas d’abriter un rouleur sérieux, capable de tenir tête à un peloton enragé, comme de gicler dans la bosse où on s’attendait à le voir coincer. Mais lorsque, peu au fait du classement UCI, on croit enfin le tenir, que caché dans sa roue en loucedé intégrale, on l’a –croit-on- laissé s’épuiser devant à mener grand train contre la tramontane, Bettini, coureur gigogne, se change en sprinteur, de la trempe à moucher un maillot vert sur les Champs-Elysées. Grillon en mue perpétuelle, Bettini mystifie ses compagnons de podium, lesquels n’ont ensuite aucun complexe à l’inviter à la maison pour des réparations diverses, puisque –paraît-il- ce monsieur sait tout faire.
Pourtant, le succès a longtemps reporté son rendez-vous. Le don, comme on sait, est une pente, et le travail l’outil qui sert à la dévaler. Assistant de Bartoli à ses débuts, Bettini lui préparait ses couleurs, ses vert Véronèse, sa palette ardennaise, camaïeu Mapei rehaussé de jaunes rompus Once. Quelquefois, il mettait la main à la pâte, s’occupait des fonds, avant de laisser le champion gribouiller quelques Mickey et signer le chef-d’œuvre.
La suite est connue de tous les écoliers : un beau jour d’avril 2000, Bartoli est forfait. Bettini tient sa chance, gagne la course à la place du Calife, se révèle à lui-même et au monde, puis par l’effet de radiations ionisantes provoquées par les vapeurs de la victoire, devient grillon.
Saison après saison, en le suivant décrocher les classiques comme d’autres le pompon au manège, on pensait sa coupe quasi-pleine, alors que le meilleur et le pire restaient encore à arriver, dans un mouchoir de poche.
A Salzbourg, au terme d’un exercice 2006 moyen pour un coureur de son rang, Paolo Bettini, qui semblait faire partie de ces profils malheureux, leaders de leur promotion à qui rien ne résiste sauf l’essentiel, devient enfin champion du monde, au prix d’un sprint échevelé face à Zabel et Valverde.
C’est une explosion atomique équivalent à la puissance de 10 giros.
Hélàs, quelques jours plus tard, tandis qu’il prépare une fête en l’honneur de son frère, Sauro Bettini rencontre en voiture un destin de cycliste. Il heurte un terre-plein et meurt.
Paolo, au faîte de sa carrière, songe alors à tout arrêter.
Deux semaines après, en solitaire mais pas seul, il arrive premier au Lac de Côme où se juge l’arrivée du Tour de Lombardie, main dans la main avec un sparring-partner que les caméras sont les seules à ne pas voir.
Après quoi, Bettini fond dans la foule comme un antidépresseur, laissant baba un paysage littéralement traversé.
Le jour tombe, et la pluie bientôt à son tour, sur un podium qu'on démonte. Il est grand temps de rentrer pour les amoureux venus passer la journée au bord de l’eau.
Comme on coupe à travers champs pour rejoindre le parking, on fait jaillir de l'herbe les dernières sauterelles.
Grillons, cigales abritant l’âme réincarnée de Fausto Coppi, criquets farceurs des soirs d’été, tous épuisés et repus de frissons, songent à regagner le sous-sol pour y passer l’hiver.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
qui gagnait pour la énième fois… »
Ce fameux tube, chanté par Dalida dans les années Anquetil, connaît ces jours-ci un succès monstre en Toscane, où les adolescentes en ont fait leur sonnerie de portable. « Paolo est si mignon ! » s’accordent-elles en échangeant sous cape posters et bidons. Bettini se chante, se danse, se porte en tee-shirt ou en pendentif victorieux au creux d’un col en V. Sale époque pour les gros balèzes. Sous l’effet de ses performances répétées, ils n’ont plus la côte et songent à migrer, mais enfin, quelle brute épaisse n’a jamais été mise en garde contre le péril représenté par les petits nerveux ?
Assurément, Paolo Bettini fait honneur à la caste des minus à ne jamais provoquer, sous peine de recevoir une raclée, et de rentrer tard, bien tard, à l’heure où la valeur des mensurations n’a plus cours.
A la suite du blaireau Hinault, du panda Jalala, et de l’éléphant Pantani, il est invité à pénétrer l’Arche de Noé qui sert de Panthéon au cyclisme, sous la forme d’ « il grillo » Bettini, le grillon aux élytres d’or olympique dont, en authentique super-héros, il a repris l’attitude et la panoplie, depuis les pattes arrières surpuissantes articulées à un torse diaphane décomposant la lumière, jusqu’au funeste tss tss qu’il siffle entre ses dents au moment de passer à l’attaque.
Davantage que son physique, c’est son style, par bonds successifs et attaques répétées, qui lui a valu d’être changé en insecte pour l’éternité.
Parce qu’il est vif et malicieux, Paolo Bettini aurait aussi bien pu faire carrière en tant que personnage dessiné sur les paquets de chocolat en poudre, au lieu de quoi, il a choisi cyclisme, une discipline où l’on sait, depuis sa première saison amateur, sous les couleurs de La California, son village et son club, avec lequel il devait remporter 24 des 25 courses où on avait eu le malheur de l’inscrire, qu’un seul grillon suffit à faire une calamité.
Combien d’apprentis coureurs de la région, la plupart supporters de Moser, quand lui n’avait d’yeux que pour Saronni, ont alors délaissé la bicyclette au profit de la Vespa pour de longues virées sans efforts, le samedi après-midi, le long de la mer Thyrénienne ?
Plusieurs milliers, me chuchote-t-on en temps réel.
Tel Gemini Cricket, bon génie des hautes herbes, qui, tout comme les cyclistes, n’a de limites à ses projets de grandeur que le pare-choc des voitures, Paolo Bettini abonde en astuces et pratique l’intelligence au-delà du seuil anaérobie.
Sa première ruse, c’est son gabarit de grimpeur, qu’un coureur inattentif ne soupçonnerait pas d’abriter un rouleur sérieux, capable de tenir tête à un peloton enragé, comme de gicler dans la bosse où on s’attendait à le voir coincer. Mais lorsque, peu au fait du classement UCI, on croit enfin le tenir, que caché dans sa roue en loucedé intégrale, on l’a –croit-on- laissé s’épuiser devant à mener grand train contre la tramontane, Bettini, coureur gigogne, se change en sprinteur, de la trempe à moucher un maillot vert sur les Champs-Elysées. Grillon en mue perpétuelle, Bettini mystifie ses compagnons de podium, lesquels n’ont ensuite aucun complexe à l’inviter à la maison pour des réparations diverses, puisque –paraît-il- ce monsieur sait tout faire.
Pourtant, le succès a longtemps reporté son rendez-vous. Le don, comme on sait, est une pente, et le travail l’outil qui sert à la dévaler. Assistant de Bartoli à ses débuts, Bettini lui préparait ses couleurs, ses vert Véronèse, sa palette ardennaise, camaïeu Mapei rehaussé de jaunes rompus Once. Quelquefois, il mettait la main à la pâte, s’occupait des fonds, avant de laisser le champion gribouiller quelques Mickey et signer le chef-d’œuvre.
La suite est connue de tous les écoliers : un beau jour d’avril 2000, Bartoli est forfait. Bettini tient sa chance, gagne la course à la place du Calife, se révèle à lui-même et au monde, puis par l’effet de radiations ionisantes provoquées par les vapeurs de la victoire, devient grillon.
Saison après saison, en le suivant décrocher les classiques comme d’autres le pompon au manège, on pensait sa coupe quasi-pleine, alors que le meilleur et le pire restaient encore à arriver, dans un mouchoir de poche.
A Salzbourg, au terme d’un exercice 2006 moyen pour un coureur de son rang, Paolo Bettini, qui semblait faire partie de ces profils malheureux, leaders de leur promotion à qui rien ne résiste sauf l’essentiel, devient enfin champion du monde, au prix d’un sprint échevelé face à Zabel et Valverde.
C’est une explosion atomique équivalent à la puissance de 10 giros.
Hélàs, quelques jours plus tard, tandis qu’il prépare une fête en l’honneur de son frère, Sauro Bettini rencontre en voiture un destin de cycliste. Il heurte un terre-plein et meurt.
Paolo, au faîte de sa carrière, songe alors à tout arrêter.
Deux semaines après, en solitaire mais pas seul, il arrive premier au Lac de Côme où se juge l’arrivée du Tour de Lombardie, main dans la main avec un sparring-partner que les caméras sont les seules à ne pas voir.
Après quoi, Bettini fond dans la foule comme un antidépresseur, laissant baba un paysage littéralement traversé.
Le jour tombe, et la pluie bientôt à son tour, sur un podium qu'on démonte. Il est grand temps de rentrer pour les amoureux venus passer la journée au bord de l’eau.
Comme on coupe à travers champs pour rejoindre le parking, on fait jaillir de l'herbe les dernières sauterelles.
Grillons, cigales abritant l’âme réincarnée de Fausto Coppi, criquets farceurs des soirs d’été, tous épuisés et repus de frissons, songent à regagner le sous-sol pour y passer l’hiver.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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