LE BON PASTEUR DANIELS
5.1.07
Qui a tué le jeune cycliste amateur Kevin Lebon ? Et pourquoi a-t-on dérobé sa jambe ?
Encore loin de se dissiper, le mystère abonde ce soir, au rez-de-chaussée de l'Etap'Hotel de Saint-Quentin, où j'ai trouvé refuge au brouillard.
Si j'avais imaginé un seul instant le détour lugubre où me conduirait ce réveillon alsacien, j'aurais réfléchi à deux fois avant d'y aller de toutes façons. Mais quand même... on ne pourra plus se plaindre qu'il ne se passe rien la première semaine.
La communauté mennonite de Huy -à deux pas du mur où se conclut en apothéose la Flèche Wallonne- occupe une ancienne abbaye entourée de buissons, où des jeunes femmes en robe de laine cultivent des roses à l'ancienne.
Hollandais d'origine, huit familles vivent ici d'artisanats divers, dont la fabrication de miel. On y trouve aussi une bibliothèque anabaptiste, et une étonnante salle de médiation, réservable par courrier auprès du Pasteur Daniels qui, contre trois sous, garantit l'arbitrage équitable de vos conflits.
Or, de conflits, il n'y en aura plus avant belle lurette, car au moment où je retrouvais Ringenbach, quatre policiers menaient au fourgon le Pasteur Daniels, menottes aux poignets et sourire aux lèvres, ainsi que l'y invite sa tradition de non-violence.
En voyant disparaître cet homme digne, de près de 70 ans, qui avait jusque-là sacrifié son existence pour le bien de sa communauté, je me félicitais qu'un pareil dégueulasse soit enfin mis sous les verrous, car, enfin, il avait tout de même assassiné un jeune homme à vélo via une méthode atroce, pur un mobile assurément crapuleux que je m'impatientais de connaître.
Tandis qu'on emballait la jambe effectivement vierge dans un plastique spécial, j'accompagnai le commissaire pour une entrevue à huis-clos dans la salle de médiation. Me donnant du "Cher D'Huez", il agitait sous mon nez le trousseau où pendait la clef de l'énigme. Chacun allait pouvoir rentrer chez soi, car le bon Pasteur Daniels venait d'avouer.
Fana du Tour qu'il suivait -exceptionnellement- à la radio, c'est avec bonheur que le patriarche avait vécu la victoire du premier maillot jaune baptisé mennonite, et une grande fête avait pour l'occasion été donnée à l'abbaye en l'honneur du héros.
Hélàs, depuis que son champion avait été déchu, son comportement devenait parfois excessif et on avait du le mettre sous médocs.
Considérant le recours à la technologie comme responsable du gâchis, il ne supportait plus aucun perfectionnement et avait définitivement interdit l'électricité. En août, il avait chassé deux cyclos qui visitaient l'abbaye sur des roues à bâtons, avant d'être poursuivi en octobre par un professionnel de la Lampre qui s'était plaint d'avoir eu le casque caillassé.
Plus dangereux que l'amiante en la circonstance, c'est la fibre de carbone, dont était fait le cadre de sa bicyclette, qui avait, semble-t-il, tué le malheureux Kevin.
Dimanche 31, tandis qu'il se rendait à la messe du Nouvel An donnée à Colmar, Daniels avait vu rouge à un croisement; la priorité coupée par le jeune espoir sur son cadre plongeant dernier cri. Ajoutons à sa décharge que des flocons voltigeaient dans la nuit noire, et, qu'un peu plus tôt, on avait forcé le brave pasteur à boire un schnaps maison, dans une communauté de Lorraine. Le reste était pur malentendu, car s'il avait coupé la jambe de Kevin, c'était uniquement dans le modeste but de l'empêcher de devenir cycliste. Que son geste ait pu entraîner la mort le désolait au plus haut point.
Comme je faisais part à Ringenbach de mes doutes et de certaines zones d'ombre, il me mit sous le menton la hache du crime. Le labo était formel. Elle portait les empreintes du pasteur, et plusieurs voisins reconnaissaient l'avoir déjà vu coupé du bois avec.
"Néanmoins, cher D'Huez, puisque vous semblez en connaître un rayon, libre à vous de prendre le relais..."
La police partie, j'acceptais l'invitation de l'épouse Daniels à prendre un thé. C'était une grande femme athlétique, habituée à l'ingrat labeur de la vaisselle au feu de bois. J'aurais aimé lui poser des questions, savoir ce que c'était que sa vie, mais fatigué, je lui demandai plutôt l'autorisation de checker mes mails, avant de me rendre compte de ma bévue, puisque dans cette abbaye où l'on éclairait encore à la bougie, "internet" devait sonner comme le nom d'une équipe italienne de seconde zone.
Je m'attendais à ce qu'elle me propose une autre tartine de miel, au lieu de quoi, connivente, elle se dirigea vers une armoire de style flamand, d'où elle sortit un bon vieux laptop équipé du wi-fi. En secret de son mari, me confia-t-elle, elle s'était mise à surfer afin de communiquer avec d'autres mennonites de par le monde. Depuis quelques temps, elle s'était même pourvue d'une page MySpace.
D'après elle, le pasteur n'y était pour rien. Il avait menti pour protéger la communauté.
"Vraiment ?" fis-je, en tapant l'adresse du Skyblog de Kevin.
- Oui, insista-t-elle. Il s'était fait volé sa hache il y a un mois, et avait toujours refusé de porter plainte. Quant au Range Rover prêté par la mairie, il ne le poussait jamais au-delà des 60.
"Bigre !"
Ce que je découvrais alors sur la page d'accueil jaune tournesol du jeune Kevin, achevait de me convaincre que la vérité attendait encore son heure, tapie au milieu du peloton comme Armstrong dans le Glandon.
A l'épouse Daniels, assise auprès de moi, qui tenait ma main serrée contre sa poitrine, j'annonçai mon échappée immédiate.
Pascal D'Huez, envoyé spécial depuis Saint-Quentin.
Encore loin de se dissiper, le mystère abonde ce soir, au rez-de-chaussée de l'Etap'Hotel de Saint-Quentin, où j'ai trouvé refuge au brouillard.
Si j'avais imaginé un seul instant le détour lugubre où me conduirait ce réveillon alsacien, j'aurais réfléchi à deux fois avant d'y aller de toutes façons. Mais quand même... on ne pourra plus se plaindre qu'il ne se passe rien la première semaine.
La communauté mennonite de Huy -à deux pas du mur où se conclut en apothéose la Flèche Wallonne- occupe une ancienne abbaye entourée de buissons, où des jeunes femmes en robe de laine cultivent des roses à l'ancienne.
Hollandais d'origine, huit familles vivent ici d'artisanats divers, dont la fabrication de miel. On y trouve aussi une bibliothèque anabaptiste, et une étonnante salle de médiation, réservable par courrier auprès du Pasteur Daniels qui, contre trois sous, garantit l'arbitrage équitable de vos conflits.
Or, de conflits, il n'y en aura plus avant belle lurette, car au moment où je retrouvais Ringenbach, quatre policiers menaient au fourgon le Pasteur Daniels, menottes aux poignets et sourire aux lèvres, ainsi que l'y invite sa tradition de non-violence.
En voyant disparaître cet homme digne, de près de 70 ans, qui avait jusque-là sacrifié son existence pour le bien de sa communauté, je me félicitais qu'un pareil dégueulasse soit enfin mis sous les verrous, car, enfin, il avait tout de même assassiné un jeune homme à vélo via une méthode atroce, pur un mobile assurément crapuleux que je m'impatientais de connaître.
Tandis qu'on emballait la jambe effectivement vierge dans un plastique spécial, j'accompagnai le commissaire pour une entrevue à huis-clos dans la salle de médiation. Me donnant du "Cher D'Huez", il agitait sous mon nez le trousseau où pendait la clef de l'énigme. Chacun allait pouvoir rentrer chez soi, car le bon Pasteur Daniels venait d'avouer.
Fana du Tour qu'il suivait -exceptionnellement- à la radio, c'est avec bonheur que le patriarche avait vécu la victoire du premier maillot jaune baptisé mennonite, et une grande fête avait pour l'occasion été donnée à l'abbaye en l'honneur du héros.
Hélàs, depuis que son champion avait été déchu, son comportement devenait parfois excessif et on avait du le mettre sous médocs.
Considérant le recours à la technologie comme responsable du gâchis, il ne supportait plus aucun perfectionnement et avait définitivement interdit l'électricité. En août, il avait chassé deux cyclos qui visitaient l'abbaye sur des roues à bâtons, avant d'être poursuivi en octobre par un professionnel de la Lampre qui s'était plaint d'avoir eu le casque caillassé.
Plus dangereux que l'amiante en la circonstance, c'est la fibre de carbone, dont était fait le cadre de sa bicyclette, qui avait, semble-t-il, tué le malheureux Kevin.
Dimanche 31, tandis qu'il se rendait à la messe du Nouvel An donnée à Colmar, Daniels avait vu rouge à un croisement; la priorité coupée par le jeune espoir sur son cadre plongeant dernier cri. Ajoutons à sa décharge que des flocons voltigeaient dans la nuit noire, et, qu'un peu plus tôt, on avait forcé le brave pasteur à boire un schnaps maison, dans une communauté de Lorraine. Le reste était pur malentendu, car s'il avait coupé la jambe de Kevin, c'était uniquement dans le modeste but de l'empêcher de devenir cycliste. Que son geste ait pu entraîner la mort le désolait au plus haut point.
Comme je faisais part à Ringenbach de mes doutes et de certaines zones d'ombre, il me mit sous le menton la hache du crime. Le labo était formel. Elle portait les empreintes du pasteur, et plusieurs voisins reconnaissaient l'avoir déjà vu coupé du bois avec.
"Néanmoins, cher D'Huez, puisque vous semblez en connaître un rayon, libre à vous de prendre le relais..."
La police partie, j'acceptais l'invitation de l'épouse Daniels à prendre un thé. C'était une grande femme athlétique, habituée à l'ingrat labeur de la vaisselle au feu de bois. J'aurais aimé lui poser des questions, savoir ce que c'était que sa vie, mais fatigué, je lui demandai plutôt l'autorisation de checker mes mails, avant de me rendre compte de ma bévue, puisque dans cette abbaye où l'on éclairait encore à la bougie, "internet" devait sonner comme le nom d'une équipe italienne de seconde zone.
Je m'attendais à ce qu'elle me propose une autre tartine de miel, au lieu de quoi, connivente, elle se dirigea vers une armoire de style flamand, d'où elle sortit un bon vieux laptop équipé du wi-fi. En secret de son mari, me confia-t-elle, elle s'était mise à surfer afin de communiquer avec d'autres mennonites de par le monde. Depuis quelques temps, elle s'était même pourvue d'une page MySpace.
D'après elle, le pasteur n'y était pour rien. Il avait menti pour protéger la communauté.
"Vraiment ?" fis-je, en tapant l'adresse du Skyblog de Kevin.
- Oui, insista-t-elle. Il s'était fait volé sa hache il y a un mois, et avait toujours refusé de porter plainte. Quant au Range Rover prêté par la mairie, il ne le poussait jamais au-delà des 60.
"Bigre !"
Ce que je découvrais alors sur la page d'accueil jaune tournesol du jeune Kevin, achevait de me convaincre que la vérité attendait encore son heure, tapie au milieu du peloton comme Armstrong dans le Glandon.
A l'épouse Daniels, assise auprès de moi, qui tenait ma main serrée contre sa poitrine, j'annonçai mon échappée immédiate.
Pascal D'Huez, envoyé spécial depuis Saint-Quentin.
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