BOYAU NATUREL
7.1.07
Le territoire que je traverse regorge de mythes et de légendes.
Pas un bosquet qui n’ait eu son loup, ni aucun village des environs qui n’ait eu un jour son sprint-bonification, remporté ici par Eric Vanderaerden, là par Darrigade.
Des individus au destin prestigieux vivent parmi nous et mangent à nos côtés, déguisés en gens ordinaires pour n’intimider personne. Tel est le cas de Vincent Barteau, porteur du maillot jaune douze jours d’affilée lors de l’édition 84, et désormais reconverti en responsable com’ pour le compte de la société Cochonou.
L’ayant joint par téléphone ce matin, je le rencontrai dans l’après-midi, à l’occasion d’une visite de l’usine de Vitré, en compagnie d’une délégation d’acheteurs japonais. Il avait côtoyé Kevin durant le dernier Tour, et, sous réserve que je sois bref, consentait avec joie à répondre à mes questions.
« Ici… », nous prévenait-il en lissant sa cravate Vichy aux couleurs du groupe, « Ni arômes ni colorants ! 15 000 saucissons sont fabriqués chaque jour à destination du monde entier, sous la seule appellation pur porc ! »
Je profitai du passage parmi nous d’une assiette dégustation pour faire bifurquer la conversation sur Kevin.
Voici peu ou prou ce qu’en a retenu mon recorder MP3, déclenché à la hâte :
« ... Malheureux tout ça… gars sympa… Un peu foufou des fois… lunatique. Un soir, c’était On est tous copains, et le lendemain plus personne. C’est à peine s’il se rappelait de toi… c’est pas une critique, il faut le savoir c’est tout ».
- Pas de choses étranges ?
- Comme ?...
- Une conduite bizarre ?… des choses qu’il aurait dites ?…
Non, Kevin faisait sérieusement son job, qui consistait à permettre à une jeune femme attachée à l’arrière d’une 2CV par un harnais, de distribuer des mini-saucissons à des populations en liesse amassées au bord de la route. Ralentissant dans les villes, accélérant en rase campagne, il avait fait un bon travail, à l’exception d’un accrochage du côté de Gap avec le camion du Faillitaire, qui le précédait dans le cortège.
Vincent Barteau devint soudain plus grave.
L’univers du saucisson était en train de changer. On réclamait dorénavant des produits meilleurs, mais plus légers, assurant à la fois un plaisir gustatif varié et repoussant l’infarctus. Cochonou, s’engageant dans la bataille, venait de révolutionner sa chaîne de fabrication. Le labo bouillonnait. Maîtrise de l’acidification, coagulation des protéines, nano-noisettes…
« Si tout ça avait existé quand j’étais coureur, sûr que j’en aurais emporté dans ma musette ! » conclut le champion dans un sourire, avant de nous donner congé et de me souhaiter bon courage.
Toutefois, n’ayant pas réservé d’hôtel, je lui proposai de passer la nuit chez lui, où son fils Chris, après quelques palabres, a accepté de partager la chambre d’où je vous écris maintenant.
A table, autour d’une salade de saucisse sèche à la fleur de rosette, j’en obtenais davantage.
« Si vous voulez mon avis, Pascal… C’est un gosse qui faisait trop la java… Dès les Pyrénées, il était sur les rotules… Un matin, il s’est même pointé en retard, j’étais furibard. »
Gagné par la toux sur la route de Montélimar, Kevin avait finalement du être remplacé au matin de l’étape de Morzine. Victime d’une bronchite. Incapable de repartir. Vincent ne l’avait plus revu, et, d’après la compta, le jeune espoir n’avait même jamais réclamé son chèque.
« Ca n’a l’air de rien… », ponctua Vincent, triste, en m’offrant un cure-dent, « mais la caravane, c’est costaud… Ne pas finir, c’est dur… »
Après avoir obtenu de mon hôte les portables des collègues Cochonou de Kevin supposés les plus proches, je suis monté me coucher. Malgré l’heure, Chris demeurait voûté sur son ordinateur, occupé à cracker des logiciels par pur plaisir, car, m’avait-prévenu son père, c’est un geek, un fou du pixel, un bon à rien que n’intéressent ni le sport ni l’andouillette.
L’idée m’est venue de lui demander comme un défi, s’il serait capable d’accéder à l’énigmatique Coin Perso de Kevin, sécurisé par un password. Je lui offrais en échange une photo dédicacée de Jeannie Longo, dont je possède plusieurs exemplaires, et qui m’a souvent servi de monnaie d’échange dans les coins les plus reculés du monde.
Pendant que le programme manoeuvrait, semblant ronger peu-à-peu une palissade, j’ai reçu un appel de Patouche. Elle avait assisté dans l’après-midi à l’inhumation de Kevin, suivie par un grand nombre de Strasbourgeois, et déplorait qu’elle fut gâchée sur sa fin par des slogans anti-mennonites.
J’ai raccroché fissa en lui promettant de la rappeler depuis une cabine.
Au même instant, Chris s’est écarté de l’écran en poussant un « Yes ! ». Il venait d’accéder en toute illégalité au jardin secret de Kevin : Un album photo où revenait sans cesse la même jeune femme, une ravissante hôtesse Aquarel du nom de Salomé.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Vitré.
Pas un bosquet qui n’ait eu son loup, ni aucun village des environs qui n’ait eu un jour son sprint-bonification, remporté ici par Eric Vanderaerden, là par Darrigade.
Des individus au destin prestigieux vivent parmi nous et mangent à nos côtés, déguisés en gens ordinaires pour n’intimider personne. Tel est le cas de Vincent Barteau, porteur du maillot jaune douze jours d’affilée lors de l’édition 84, et désormais reconverti en responsable com’ pour le compte de la société Cochonou.
L’ayant joint par téléphone ce matin, je le rencontrai dans l’après-midi, à l’occasion d’une visite de l’usine de Vitré, en compagnie d’une délégation d’acheteurs japonais. Il avait côtoyé Kevin durant le dernier Tour, et, sous réserve que je sois bref, consentait avec joie à répondre à mes questions.
« Ici… », nous prévenait-il en lissant sa cravate Vichy aux couleurs du groupe, « Ni arômes ni colorants ! 15 000 saucissons sont fabriqués chaque jour à destination du monde entier, sous la seule appellation pur porc ! »
Je profitai du passage parmi nous d’une assiette dégustation pour faire bifurquer la conversation sur Kevin.
Voici peu ou prou ce qu’en a retenu mon recorder MP3, déclenché à la hâte :
« ... Malheureux tout ça… gars sympa… Un peu foufou des fois… lunatique. Un soir, c’était On est tous copains, et le lendemain plus personne. C’est à peine s’il se rappelait de toi… c’est pas une critique, il faut le savoir c’est tout ».
- Pas de choses étranges ?
- Comme ?...
- Une conduite bizarre ?… des choses qu’il aurait dites ?…
Non, Kevin faisait sérieusement son job, qui consistait à permettre à une jeune femme attachée à l’arrière d’une 2CV par un harnais, de distribuer des mini-saucissons à des populations en liesse amassées au bord de la route. Ralentissant dans les villes, accélérant en rase campagne, il avait fait un bon travail, à l’exception d’un accrochage du côté de Gap avec le camion du Faillitaire, qui le précédait dans le cortège.
Vincent Barteau devint soudain plus grave.
L’univers du saucisson était en train de changer. On réclamait dorénavant des produits meilleurs, mais plus légers, assurant à la fois un plaisir gustatif varié et repoussant l’infarctus. Cochonou, s’engageant dans la bataille, venait de révolutionner sa chaîne de fabrication. Le labo bouillonnait. Maîtrise de l’acidification, coagulation des protéines, nano-noisettes…
« Si tout ça avait existé quand j’étais coureur, sûr que j’en aurais emporté dans ma musette ! » conclut le champion dans un sourire, avant de nous donner congé et de me souhaiter bon courage.
Toutefois, n’ayant pas réservé d’hôtel, je lui proposai de passer la nuit chez lui, où son fils Chris, après quelques palabres, a accepté de partager la chambre d’où je vous écris maintenant.
A table, autour d’une salade de saucisse sèche à la fleur de rosette, j’en obtenais davantage.
« Si vous voulez mon avis, Pascal… C’est un gosse qui faisait trop la java… Dès les Pyrénées, il était sur les rotules… Un matin, il s’est même pointé en retard, j’étais furibard. »
Gagné par la toux sur la route de Montélimar, Kevin avait finalement du être remplacé au matin de l’étape de Morzine. Victime d’une bronchite. Incapable de repartir. Vincent ne l’avait plus revu, et, d’après la compta, le jeune espoir n’avait même jamais réclamé son chèque.
« Ca n’a l’air de rien… », ponctua Vincent, triste, en m’offrant un cure-dent, « mais la caravane, c’est costaud… Ne pas finir, c’est dur… »
Après avoir obtenu de mon hôte les portables des collègues Cochonou de Kevin supposés les plus proches, je suis monté me coucher. Malgré l’heure, Chris demeurait voûté sur son ordinateur, occupé à cracker des logiciels par pur plaisir, car, m’avait-prévenu son père, c’est un geek, un fou du pixel, un bon à rien que n’intéressent ni le sport ni l’andouillette.
L’idée m’est venue de lui demander comme un défi, s’il serait capable d’accéder à l’énigmatique Coin Perso de Kevin, sécurisé par un password. Je lui offrais en échange une photo dédicacée de Jeannie Longo, dont je possède plusieurs exemplaires, et qui m’a souvent servi de monnaie d’échange dans les coins les plus reculés du monde.
Pendant que le programme manoeuvrait, semblant ronger peu-à-peu une palissade, j’ai reçu un appel de Patouche. Elle avait assisté dans l’après-midi à l’inhumation de Kevin, suivie par un grand nombre de Strasbourgeois, et déplorait qu’elle fut gâchée sur sa fin par des slogans anti-mennonites.
J’ai raccroché fissa en lui promettant de la rappeler depuis une cabine.
Au même instant, Chris s’est écarté de l’écran en poussant un « Yes ! ». Il venait d’accéder en toute illégalité au jardin secret de Kevin : Un album photo où revenait sans cesse la même jeune femme, une ravissante hôtesse Aquarel du nom de Salomé.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Vitré.
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