LES OCÉANES
9.1.07
En ce mardi 9 janvier, les liaisons vers Belle-Ile et Groix sont fermées pour cause d’intempéries. Difficile d’imaginer qu'en ce même lieu, six mois plus tôt, un Tour de France battant pavillon inconnu venait faire escale.
Pour ce second dimanche de canicule, soir de finale de coupe du monde, la municipalité avait fait installer, adossé à la capitainerie, un écran géant.
Si les coureurs étaient restés suivre le match à l’hôtel, les compagnons de la caravane publicitaire étaient descendus en ville, partager la tension ambiante dans la fumée des sardines grillées et la lueur des feux de détresse.
Comme le lendemain était jour de repos, et que l’issue de la partie ne faisait aucun doute, on envisageait de se mettre minable, cheveux colorés bleu-blanc-rouge, voire même, pour deux animateurs Vache qui rit, coupe à la Zidane et fesses peintes.
Salomé et Kevin avaient fait connaissance dès Strasbourg. Assis côte à côte dans le Palais des Congrès, à l’occasion de la soirée d’ouverture, ils avaient sympathisé tout au long de la première semaine, car, par tradition, les Aquarel faisaient bon ménage avec les Cochonou. Etant donné qu’ils se suivaient dans le cortège, garçons et filles des deux teams partageaient hôtels, petits-déjeûners, et plus encore, les après-repas du soir, quand on traînait ensemble autour d’un joint fumé en cachette, derrière les autocars.
Depuis le départ, Kevin Lebon amusait la galerie en racontant des histoires de blondes, ou en prenant d’innombrables photos qu’il promettait de publier sur son blog.
Ce soir de finale, il était particulièrement en verve. Pour avoir osé parier la victoire de Sylvain Calzati (quand tous les autres voyaient encore Mc Ewen) au jeu de pronostics quotidiennent organisé en interne par les gars du PMU, Kevin avait empoché un peu d'argent, qu’il se faisait une joie de redistribuer au plus grand nombre sous forme de bière en gobelets.
Au moment du pénalty fatal, comme on le cherchait pour déconner un peu, Kevin était introuvable, idéalement caché avec Salomé sur le pont d’une vedette. Elle le trouvait chou avec ses mèches, et n’émettait de réserves qu’à propos de son manque de biceps, qu’il expliquait par sa pratique assidue du cyclisme, prétendant même avoir failli passer pro.
Pour le reste, elle partageait l’avis général. Il était imprévisible, avait des absences.
Quelquefois, il disparaissait dès l’arrivée franchie, s’en allait manger seul on ne sait où.
De la même façon, il pouvait surgir au moment le plus inattendu. Ainsi, une paire de fois, s’était-il offert l’escalade d’un B&B pour frapper à la fenêtre de Salomé. D’une rare effronterie, il était capable de taper sur l’épaule de Jean-Marie Leblanc pour causer clarinette, comme d’essayer, sans sa permission, le maillot arc-en-ciel de Tom Boonen, pour le plaisir d’une photo.
Aussi, un soir, Salomé l’avait-elle surpris descendant du Pullman de l’équipe Phonak, simplement parce qu'à la bourre, il avait fait du stop pour rentrer à l’hôtel !
Hyperactif, il avait également la manie de parler dans son sommeil. A Carcassonne, Kevin n’avait pas cessé de parler de Jens Voigt. Salomé s’en rappelait, attendrie, car Voigt avait gagné le lendemain, et qu’elle lui en avait fait la remarque.
Tout ça avait toutefois été gâché par une fin en eau de boudin. Malade depuis quelques jours d’une gastro, il avait quitté Salomé sans explications, comme Bernard Hinault s’échappant du Tour, une nuit de juillet 1980.
Ses souvenirs l’avaient rendu rêveuse, et Salomé bâillait.
Bras dessus bras dessous, je décidai de la conduire à l’Hôtel Les Océanes, où je commandai au garçon du desk une chambre double.
Salomé montait se doucher, tandis que je réglais par avance et par carte.
J’avais choisi de passer la nuit avec elle. Non pas, -comme d’aucuns parmi vous le penseront peut-être- pour satisfaire un plaisir malsain, mais tout au contraire pour mettre mes pas dans ceux de Kevin et m’approcher au plus près de la vérité.
Oui, chez les D’Huez, on est de ce bois-là.
Sur l’invitation de l’hôte d’accueil, je tapotai mon numéro quand je remarquai une présence derrière mon épaule.
Debout, près du desk, le nez juste relevé de son Vélo Magazine, un petit homme à chapeau m’attendait.
« Monsieur D’Huez ? » s’avança-t-il, avec un fort accent wallon, « Vous êtes, je crois, un homme de raison… »
J’acquièscai, sur mes gardes.
« Faites attention à vous, Monsieur D’Huez… Car à force de faire la course en tête, vous pourriez bien rencontrer une grosse défaillance… »
Ôtant son chapeau, il me salua, avant de disparaître dans un taxi.
De retour à ma chambre, je ne trouvai pas Salomé. Sur l’oreiller, elle m’avait laissé un petit mot d’encouragement, et un mini-saucisson Cochonou enrobé comme un bonbon.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Lorient.
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