LE MARATHON DES INCONTINENTS
29.7.06
A ceux qui s'inquiètent de mon absence et qui ont tenté de laisser des messages sur mon répondeur, je dois toute la vérité.
Je n’en voudrais à personne de ne pas me croire, et pourtant, voici, sans délai ni ristourne, ce qui m’est arrivé :
Le 30 juin dernier, veille du départ du Tour de France, épuisé par plusieurs semaines de travail intensif (je venais d’aménager un garage en taule chez un ami pour qu’il y loge une jeune fille au pair), et souhaitant être au mieux de ma forme pour livrer au quotidien mes chroniques sur la course, je décidai de me coucher de bonne heure.
Volets fermés, téléphone décroché, j’enfilai pyjama et masque de sommeil, et je fermai la lumière.
Quelle forme j’allais tenir, les amis !
J'en avais des frissons.
A l'issue de deux heures passées à chercher la meilleure position, je dus faire ce constat: Il m'était plus difficile de fermer l'oeil qu'aux T-Mobile d'appliquer une stratégie constructive. Le peloton paradait dans les rues du village englouti de ma conscience. En guise de rêves, les pronostics allaient bon train. Qui allait succéder à Armstrong ? Un Basso sautait la barrière. Je comptais les Leipheimer. Pfff…
Bon dieu ! L’insomnie était le diable dans la pente, j’étais Jimmy Casper.
Sur ordre de moi-même, je me laissai glisser à la hauteur de ma vanity case, où je me résolus à attrapper une boîte de somnifères. Une vieille plaquette de Noctinox, conseillé par Laurent Dufaux, qui partagea longtemps la chambre du ronfleur Brochard.
J’embarquai alors dans un sommeil profond, bien qu'agité, car la brutalité du Noctinox m’avait empêché d’éteindre à temps mon petit poste.
…
Il est des réveils superbes, où l’on se lève d’un pied grandiose, prêt à affronter son agenda comme une pièce montée.
D'autres où l'on est immédiatement pris par la panique d'avoir raté sa vie.
Visualisez qu’avant-hier, un pompier me sortit du lit en me demandant mon nom, tandis que derrière lui, ma voisine, sceptique, expliquait que ne m’ayant plus vu sortir depuis trois semaines, elle pensait que l’odeur venait de chez moi et que j’étais mort.
« Hypersomnie à tendance cataleptique ! », la maladie de la marmotte.
Selon le docteur Schultz, mon corps a réagi à une molécule du Noctinox de façon excessive, me privant de l’intégralité d’un Tour de France haut en couleurs. « Trois semaines de sommeil non-stop !... Bah, mon vieux D’Huez, vous avez tout loupé ! »
Dur.
L’éviction surprise des ténors, l’échappée de Pereiro, la victoire de Calzati, tous événements invraisemblables à jamais dérobés à ma joie, dont le bon docteur Schultz, ancien de la Gewiss, trouvait la bonté de me faire le récit, afin de m’éviter la dépression.
Et le voilà parti, énumérant les porteurs du maillot jaune comme autant de mains PMU. Manque de bol, le Tour avait été fou. « Fou ! », cria-t-il à plusieurs reprises, les yeux sortis de leur orbite d’un boyau.
Chaque jour avait été une aventure nouvelle, où le héros de la veille devenait le paria du jour, et vice et versa. La course s’était déroulée comme le marathon des incontinents, décrit par les Monty Pythons ; chaque leader disparaissant dans la forêt, sitôt avoir pris la tête.
A l’ancienne, comme peuvent l’être quelquefois les quenelles, cette édition 2006 avait salué la victoire d’une nouvelle figure du Panthéon cycliste, un ménnonite élevé sans cuissard à la dure école de la ferme, Floyd Landis. Champion d’orgueil, ravalé à l’état de molard sur la chaussée de la Toussuire, évaporé en nuage d’altitude vers Morzine, tels les Ocana, les Merckx d’autrefois, et ceci, malgré une hanche défectueuse, à faire changer d’urgence à l’automne, sans garantie de résultats.
Il était beau, notre nouveau champion. Il cocotait bon la gloire, jusqu'à ce qu'il se mette à fouetter la Despérado, jeudi, dans l'après-midi, sous l'effet d'une dépêche.
Pour les cyclistes modernes, nouveaux Sysiphe des cols hors-catégories, la course ne s’arrête jamais, et surtout pas après l’arrivée.
Les speakers ne se prononcent plus. Le public attend la détérioration irréversible des cellules sanguines congelées avant d’applaudir, ce qui donne lieu à des scènes étranges, comme cette ovation spontanée, l’autre dimanche, à Roubaix, pour saluer la victoire confirmée de Duclos-Lassale.
Comme Heras, comme bientôt Basso, Landis venait de plonger à posteriori, pour un petit surplus de testostérone, consécutif ou bien à un problème de thyroïde, ou bien à un abus d’alcool.
En ayant terminé avec moi, Schultz fit suinter le bout de la seringue où m’attendait un petit remontant, car mon hypersomnie avait eu pour effet de faire fondre la masse musculaire patiemment accumulée durant l’hiver.
Août s’annonçe difficile.
Comme il fallait s’y attendre, la radio débite les témoignages effarouchés et les mises à mort prononcées par des quidams sûrs de leur fait, qui se régalent de cette nouvelle affaire.
Or, qui parmi eux sait seulement ce qui se trame dans le corps d’un champion pendant l’exploit ? Qui connaît les secrétions subtiles des glandes excitées par l’approche du sommet ? Les événements secrets qui régissent notre métabolisme dans la transe ? L’état de folie complète dans lequel se trouve un homme à vélo, lorsqu’il est en train de gagner le Tour de France ?
N’a-t-on pas vu clairement Floyd Landis faire l’amour à Joux-Plane ?
N’a-t-on pas vu, bien avant l’analyse, ses testicules en faire des tonnes ?
Passionnant cyclisme, dont les héros, non contents de nous divertir, nous ramènent régulièrement au mystère même des origines de la vie.
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
Je n’en voudrais à personne de ne pas me croire, et pourtant, voici, sans délai ni ristourne, ce qui m’est arrivé :
Le 30 juin dernier, veille du départ du Tour de France, épuisé par plusieurs semaines de travail intensif (je venais d’aménager un garage en taule chez un ami pour qu’il y loge une jeune fille au pair), et souhaitant être au mieux de ma forme pour livrer au quotidien mes chroniques sur la course, je décidai de me coucher de bonne heure.
Volets fermés, téléphone décroché, j’enfilai pyjama et masque de sommeil, et je fermai la lumière.
Quelle forme j’allais tenir, les amis !
J'en avais des frissons.
A l'issue de deux heures passées à chercher la meilleure position, je dus faire ce constat: Il m'était plus difficile de fermer l'oeil qu'aux T-Mobile d'appliquer une stratégie constructive. Le peloton paradait dans les rues du village englouti de ma conscience. En guise de rêves, les pronostics allaient bon train. Qui allait succéder à Armstrong ? Un Basso sautait la barrière. Je comptais les Leipheimer. Pfff…
Bon dieu ! L’insomnie était le diable dans la pente, j’étais Jimmy Casper.
Sur ordre de moi-même, je me laissai glisser à la hauteur de ma vanity case, où je me résolus à attrapper une boîte de somnifères. Une vieille plaquette de Noctinox, conseillé par Laurent Dufaux, qui partagea longtemps la chambre du ronfleur Brochard.
J’embarquai alors dans un sommeil profond, bien qu'agité, car la brutalité du Noctinox m’avait empêché d’éteindre à temps mon petit poste.
…
Il est des réveils superbes, où l’on se lève d’un pied grandiose, prêt à affronter son agenda comme une pièce montée.
D'autres où l'on est immédiatement pris par la panique d'avoir raté sa vie.
Visualisez qu’avant-hier, un pompier me sortit du lit en me demandant mon nom, tandis que derrière lui, ma voisine, sceptique, expliquait que ne m’ayant plus vu sortir depuis trois semaines, elle pensait que l’odeur venait de chez moi et que j’étais mort.
« Hypersomnie à tendance cataleptique ! », la maladie de la marmotte.
Selon le docteur Schultz, mon corps a réagi à une molécule du Noctinox de façon excessive, me privant de l’intégralité d’un Tour de France haut en couleurs. « Trois semaines de sommeil non-stop !... Bah, mon vieux D’Huez, vous avez tout loupé ! »
Dur.
L’éviction surprise des ténors, l’échappée de Pereiro, la victoire de Calzati, tous événements invraisemblables à jamais dérobés à ma joie, dont le bon docteur Schultz, ancien de la Gewiss, trouvait la bonté de me faire le récit, afin de m’éviter la dépression.
Et le voilà parti, énumérant les porteurs du maillot jaune comme autant de mains PMU. Manque de bol, le Tour avait été fou. « Fou ! », cria-t-il à plusieurs reprises, les yeux sortis de leur orbite d’un boyau.
Chaque jour avait été une aventure nouvelle, où le héros de la veille devenait le paria du jour, et vice et versa. La course s’était déroulée comme le marathon des incontinents, décrit par les Monty Pythons ; chaque leader disparaissant dans la forêt, sitôt avoir pris la tête.
A l’ancienne, comme peuvent l’être quelquefois les quenelles, cette édition 2006 avait salué la victoire d’une nouvelle figure du Panthéon cycliste, un ménnonite élevé sans cuissard à la dure école de la ferme, Floyd Landis. Champion d’orgueil, ravalé à l’état de molard sur la chaussée de la Toussuire, évaporé en nuage d’altitude vers Morzine, tels les Ocana, les Merckx d’autrefois, et ceci, malgré une hanche défectueuse, à faire changer d’urgence à l’automne, sans garantie de résultats.
Il était beau, notre nouveau champion. Il cocotait bon la gloire, jusqu'à ce qu'il se mette à fouetter la Despérado, jeudi, dans l'après-midi, sous l'effet d'une dépêche.
Pour les cyclistes modernes, nouveaux Sysiphe des cols hors-catégories, la course ne s’arrête jamais, et surtout pas après l’arrivée.
Les speakers ne se prononcent plus. Le public attend la détérioration irréversible des cellules sanguines congelées avant d’applaudir, ce qui donne lieu à des scènes étranges, comme cette ovation spontanée, l’autre dimanche, à Roubaix, pour saluer la victoire confirmée de Duclos-Lassale.
Comme Heras, comme bientôt Basso, Landis venait de plonger à posteriori, pour un petit surplus de testostérone, consécutif ou bien à un problème de thyroïde, ou bien à un abus d’alcool.
En ayant terminé avec moi, Schultz fit suinter le bout de la seringue où m’attendait un petit remontant, car mon hypersomnie avait eu pour effet de faire fondre la masse musculaire patiemment accumulée durant l’hiver.
Août s’annonçe difficile.
Comme il fallait s’y attendre, la radio débite les témoignages effarouchés et les mises à mort prononcées par des quidams sûrs de leur fait, qui se régalent de cette nouvelle affaire.
Or, qui parmi eux sait seulement ce qui se trame dans le corps d’un champion pendant l’exploit ? Qui connaît les secrétions subtiles des glandes excitées par l’approche du sommet ? Les événements secrets qui régissent notre métabolisme dans la transe ? L’état de folie complète dans lequel se trouve un homme à vélo, lorsqu’il est en train de gagner le Tour de France ?
N’a-t-on pas vu clairement Floyd Landis faire l’amour à Joux-Plane ?
N’a-t-on pas vu, bien avant l’analyse, ses testicules en faire des tonnes ?
Passionnant cyclisme, dont les héros, non contents de nous divertir, nous ramènent régulièrement au mystère même des origines de la vie.
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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