BOUQUETS GÂTÉS
3.6.06
Il existe des tempéraments pour qui le bonheur est impossible.
Toutes les fois où ces personnes font une rencontre prometteuse, qu’un après-midi de beau temps leur laisse entrevoir la joie d’être au monde, qu’un amour se dessine, elles s’appliquent à réduire à néant cet espoir, perçu comme une alerte, par des propos maladroits ou une conduite aberrante, qu’elles-mêmes ne s’expliquent pas.
Il est alors temps de réintégrer son appartement humide, ses courbatures. Cette vie-là n’est pas terrible, mais au moins est-elle familière.
Ainsi va le cyclisme (que pour les besoins de ma démonstration, nous appellerons Jean-Guy).
Quand son cousin le football, que nous nommerons Carlos, plane sur le globe, dîne chaque soir dans des palaces, laisse ses empreintes digitales dans le cou des femmes du monde sans qu’on lui en tienne rigueur, Jean-Guy lui, va de plans galères en coups foireux.
Ce n’est pourtant pas le mauvais mec.
Jean-Guy, -ses anciens amis s’accordent à le reconnaître- n’est jamais avare de ses efforts. Dans les déménagements, qu'il ne loupe sous aucun prétexte, il est plutôt du genre à emporter deux cartons à la fois, continuellement à l'affût d'un défi dont personne ne veut.
Proposez-lui un job bien ingrat, qui donne la garantie de puer la transpiration au-delà de toute mesure, le tout payé moins que rien, et voilà déjà Jean-Guy sur le pas de la porte, pressé de plonger l’avant-bras dans le trou des toilettes où Carlos a laissé échapper sa gourmette.
Le cocktail qui suit, organisé pour l'encourager à se reprendre en mains, lui fournira l’occasion de se faire détester. Aux dames, charmées par sa bravoure, qui voudraient le connaître mieux, Jean-Guy répondra sèchement, tandis qu'un oubli malencontreux lui aura laissé la braguette ouverte.
Suite à un début de bagarre, il repartira dès 21h, soulagé d’être de nouveau seul, tandis que Carlos se verra réclamer par un public en transe la fameuse roulette à Zidane suivi d’un passement de jambes.
Cette limpide parabole de Carlos et Jean-Guy tend à illustrer le désarroi où le passionné cyclophile est plongé ce matin.
Des affaires Armstrong et Heras de l’automne dernier, jusqu’au scandale Fuentes qui nous afflige depuis une semaine, nous n’aurons connu que six petits mois de douceur précaire, un printemps correct que les révélations à venir pourraient encore gâcher rétroactivement.
L’enquête aura beau suivre son cours, disculper ceux dont les noms ont été prononcés hâtivement, le mal est fait. Le malheur est là, habituel. Le quotidien du cyclisme.
Réapparu de sa chute dans le fossé, Jean-Guy nous rapporte le bâton avec lequel il fait si bon le fouetter.
Il y a dix ans, au terme d’une course épatante, Bjarne Riis remportait le maillot jaune. 1996 ayant été à l’EPO ce que 1977 fut au disco, les soupçons n’ont jamais cessé, au point qu’aujourd’hui encore, des intrépides qui le croisent dans les aéroports, claquent le dos du champion danois en l’appelant Monsieur 60%, son taux estimé de globules rouges à l’époque.
De même, tout brillant qu’il était sur les pentes du Monte Bodone, il y a fort à parier qu’Ivan Basso aura du mal à effacer la tache de gros rouge apparu sur son maillot rose. Innocent ou non, a-t-on parlé de légende à son propos ? A-t-on évoqué le souvenir de Charly Gaul ?
Tant qu'on n'a pas fait disparaître l'haleine tenace qui gâte la bise des Miss et de ses dauphines, l’exploit reste sujet à caution. Personne ne gagne plus.
Le doute écrase le vélo mieux que le dopage. Une malédiction dont on ne voit pas le bout semble s’être abattue sur un sport aux penchants naturellement masochistes.
Par cette météo de plomb, où les poches de sang du bon docteur Fuentes bouchent le sommet du col plus sûrement que des cumulus, comment dire en société qu'on attend avec impatience le départ du Tour, sans provoquer les ricanements de ceux qui attendent la coupe du monde ?
En attendant, Jean-Guy s'en fout.
Sa préparation suit son cours, imperturbable, et les voisins, jamais vraiment fâchés, préparent leurs pliants pour aller le voir passer.
Pascal D'Huez, envoyé spécial.
Toutes les fois où ces personnes font une rencontre prometteuse, qu’un après-midi de beau temps leur laisse entrevoir la joie d’être au monde, qu’un amour se dessine, elles s’appliquent à réduire à néant cet espoir, perçu comme une alerte, par des propos maladroits ou une conduite aberrante, qu’elles-mêmes ne s’expliquent pas.
Il est alors temps de réintégrer son appartement humide, ses courbatures. Cette vie-là n’est pas terrible, mais au moins est-elle familière.
Ainsi va le cyclisme (que pour les besoins de ma démonstration, nous appellerons Jean-Guy).
Quand son cousin le football, que nous nommerons Carlos, plane sur le globe, dîne chaque soir dans des palaces, laisse ses empreintes digitales dans le cou des femmes du monde sans qu’on lui en tienne rigueur, Jean-Guy lui, va de plans galères en coups foireux.
Ce n’est pourtant pas le mauvais mec.
Jean-Guy, -ses anciens amis s’accordent à le reconnaître- n’est jamais avare de ses efforts. Dans les déménagements, qu'il ne loupe sous aucun prétexte, il est plutôt du genre à emporter deux cartons à la fois, continuellement à l'affût d'un défi dont personne ne veut.
Proposez-lui un job bien ingrat, qui donne la garantie de puer la transpiration au-delà de toute mesure, le tout payé moins que rien, et voilà déjà Jean-Guy sur le pas de la porte, pressé de plonger l’avant-bras dans le trou des toilettes où Carlos a laissé échapper sa gourmette.
Le cocktail qui suit, organisé pour l'encourager à se reprendre en mains, lui fournira l’occasion de se faire détester. Aux dames, charmées par sa bravoure, qui voudraient le connaître mieux, Jean-Guy répondra sèchement, tandis qu'un oubli malencontreux lui aura laissé la braguette ouverte.
Suite à un début de bagarre, il repartira dès 21h, soulagé d’être de nouveau seul, tandis que Carlos se verra réclamer par un public en transe la fameuse roulette à Zidane suivi d’un passement de jambes.
Cette limpide parabole de Carlos et Jean-Guy tend à illustrer le désarroi où le passionné cyclophile est plongé ce matin.
Des affaires Armstrong et Heras de l’automne dernier, jusqu’au scandale Fuentes qui nous afflige depuis une semaine, nous n’aurons connu que six petits mois de douceur précaire, un printemps correct que les révélations à venir pourraient encore gâcher rétroactivement.
L’enquête aura beau suivre son cours, disculper ceux dont les noms ont été prononcés hâtivement, le mal est fait. Le malheur est là, habituel. Le quotidien du cyclisme.
Réapparu de sa chute dans le fossé, Jean-Guy nous rapporte le bâton avec lequel il fait si bon le fouetter.
Il y a dix ans, au terme d’une course épatante, Bjarne Riis remportait le maillot jaune. 1996 ayant été à l’EPO ce que 1977 fut au disco, les soupçons n’ont jamais cessé, au point qu’aujourd’hui encore, des intrépides qui le croisent dans les aéroports, claquent le dos du champion danois en l’appelant Monsieur 60%, son taux estimé de globules rouges à l’époque.
De même, tout brillant qu’il était sur les pentes du Monte Bodone, il y a fort à parier qu’Ivan Basso aura du mal à effacer la tache de gros rouge apparu sur son maillot rose. Innocent ou non, a-t-on parlé de légende à son propos ? A-t-on évoqué le souvenir de Charly Gaul ?
Tant qu'on n'a pas fait disparaître l'haleine tenace qui gâte la bise des Miss et de ses dauphines, l’exploit reste sujet à caution. Personne ne gagne plus.
Le doute écrase le vélo mieux que le dopage. Une malédiction dont on ne voit pas le bout semble s’être abattue sur un sport aux penchants naturellement masochistes.
Par cette météo de plomb, où les poches de sang du bon docteur Fuentes bouchent le sommet du col plus sûrement que des cumulus, comment dire en société qu'on attend avec impatience le départ du Tour, sans provoquer les ricanements de ceux qui attendent la coupe du monde ?
En attendant, Jean-Guy s'en fout.
Sa préparation suit son cours, imperturbable, et les voisins, jamais vraiment fâchés, préparent leurs pliants pour aller le voir passer.
Pascal D'Huez, envoyé spécial.
1 Comments:
T'inquiètes pas, l'ami! Les chiens aboient, la caravane (du tour) continue à passer et ceux qui, une fois au moins, ont gravi un col dans leur vie (et pas seulement au volant d'une Xanthia) continueront à chérir Pantani ou Ullrich comme d'autres chérissent Hendrix ou Morrisson
Enregistrer un commentaire
<< Home