NOUVELLE VAGUE
15.4.06
Parmi les commentaires enthousiastes provoqués par les victoires successives de Tom Boonen dans le Tour des Flandres puis de Fabian Cancellara dans Paris-Roubaix, il est curieux d’observer le succès de la formule « course limpide », tandem à la mode, qui envahissait les pages sportives ces derniers jours.
Limpide, course, limpide, répétaient les reporters au sujet pourtant d’épreuves sinueuses et salissantes, mélanges pas très homogènes de poussière, de cuisses et d'eau.
Certainement doit-on chercher la raison de cet engouement dans l’impression générale d’un printemps du cyclisme, incarné par une flopée de frais gaillards dans la fleur de l’âge, bien de leur époque avec ce soupçon de revival seventies qui leur fait préférer les couleurs vives et les attaques à la Merckx aux délices de l’EPO.
La cloche a sonné de l’école « Eau claire ». La nouvelle vague. Boonen, Cancellara, Pozzato, Ballan, poulains nourris au Nesquik, toujours prêts à en découdre et capables de jours sans. Ce sont eux, les limpides, qui font disparaître les années noires sous les douches du vélodrome de Roubaix, beaux, quand ils sont égouttés, comme les salades bios du jardin de Christophe Bassons.
Une belle bande de jeunes
A une époque, je l’avoue en prenant sur moi, Paris-Roubaix avait cessé de m’intéresser.
Comparée à la dentelle des Ardennaises, cette course me semblait présenter l’inconvénient d’avoir pour spécialistes des coureurs qui, s’ils étaient footballeurs, joueraient arrières gauches.
Dans cette mise en scène à peine stylisée de la Grande Guerre, ça sent souvent le boudin et les flageolets, il faut le reconnaître. On n’est pas toujours regardant sur la manière.
La course de dimanche dernier a suivi un scénario haut en couleurs, dont deux rebondissements saisissants : la volatilisation subite du nouveau train bleu Quick Step, puis la fourche rompue de George Hincapie qui, le temps d’une seconde, a donné l’impression de faire du monocycle, avant d’échouer dans le pré.
Douloureux, prostré comme un enfant que ses parents auraient abandonné au rayon surgelés d’une grande surface, le vainqueur de Luz-Ardiden (qui jusque-là souffrait d'un désamour du public français du fait de sa soumission totale à Lance Armstrong) attendait qu’on vienne le chercher, avec une détresse que rien ne saurait soulager.
Sous l’impulsion des limpides, ce Paris-Roubaix a offert une cavalcade grandiose, magistralement conclu par l’épisode du train.
Van Petegem, Hoste et Gusev, moins rapides, piégés devant le passage à niveau, n’ont pas hésité à violer les barrières, ce que le règlement défend. Il faudra vite réhabiliter ces trois valeureux, déclassés à l’arrivée, car si l’on admet que le chemin de fer fait partie de la course, la volonté des coureurs à arriver premiers aussi.
Vélo contre train, homme contre machine, chair contre acier.
Mieux encore, en battant au sprint un train de marchandises traversant l’Eurozone, Cancellara affirme la prééminence du destin individuel sur le mouvement anonyme des délocalisations.
« Je demande juste qu’on ne me colle pas l’étiquette de gaucho », souriait le vainqueur, embarrassé par son pavé.■
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
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