TENTATIVE DE RECORD DE L’HEURE DERRIÈRE DERNY
15.11.05
En cette période agitée, il est pertinent de remarquer que le vainqueur de Paris-Roubaix 2004 est l’un des rares coureurs capables de lancer le pavé à plus de dix mètres.
Pour un cycliste, Magnus Backstedt n’a pas un physique facile. Massif, inutilement grand, il court toute l’année, du Qatar à la Flandre, donnant l’impression de chercher encore le terrain où son profil sera le mieux toléré.
Au cinéma, c’est simple, on lui confierait des rôles d’homme de main ou de créatures androïdes, mais à vélo ?
Cet automne, Magnus s’alignait sur un nouveau casting.
A Newport, au Pays de Galles où il s’est installé avec sa famille, il tentait de battre le record de l’heure derrière derny. J’atterrissais la veille, par un vol bon marché parti de Beauvais.
En ce soir d’Halloween, le vélodrome flambant neuf proposait un programme de courses de vitesse, keirins et poursuites auxquels se prêtaient gentiment des équipiers italiens non-spécialistes, dans le but de chauffer le public.
Famille, amis, supporters suèdois, fanatiques de l’exercice portant des montres monstrueuses, s’étaient rassemblés dans les gradins, ou mieux encore, au centre de l’arêne, où l’on servait à boire.
On se livrait à des paris sur le temps, confiants, car Magnus, relax à 19h, était réapparu sur la piste avec le regard d’un affamé, aux commandes d’un terrifiant 60X13.
« Regardez bien Pascal ! », me confia à l’oreille un petit homme à moustache dans un costume Prince-de-Galles, « Le bois de la piste semble se détendre, les préliminaires commencent ».
Si le vélodrome de Saint-Quentin voit le jour, il y a des chances pour qu’il soit dessiné par le maître du genre, l’architecte des pistes olympiques de Sydney et d’Athènes, l’ébéniste des records de vitesse, Ron Webb.
Nous décidons de partager un welsh, car Ron est un homme de goût, amateur de cognac et de cigares hecho a mano. Il compte parmi ses amis des parfumeurs, et le Prince Albert . Son humour, recherché, provoque la gaieté des femmes, qu’il aime, et qui l’adorent. C’est un fanatique des courbes. Il ne résiste pas à m’avouer avoir bâti le vélodrome de Newport sur le modèle du bassin de Monica Belluci. Ce que j’avais pressenti.
Selon lui, la réussite d’une piste tient à la douceur de la sortie du virage. La tendre fermeté avec laquelle vous êtes expulsé dans la ligne droite. Et cela, c’est de sa mère qu’il le tient.
Sous une techno abrutissante qu’il a lui-même exigée, et qui nous oblige à pousser la voix, Magnus enchaîne les tours, bien posé sur la ligne bleue, dans le sillage exclusif de son pacer, Paul Daniels, un ancien proxénète.
L’effort hypnotique du poursuiteur rappelle certains exercices offerts aux cosmonautes pour s’habituer à l’apesanteur.
La transe nous gagne. La danse galvanisante des boucles du DJ Liquigas couvre le bourdonnement du derny, si bien qu’on le croirait mu par une force électro-magnétique.
La science-fiction rattrappe le champion. La vitesse (autour de 60km/h) dessine dans son dos une traînée fluorescente, et son visage a pris le rictus qu’on attrape à voyager dans l’hyper-espace.
« Ce qui fait avancer le pistard », dit Ron, « C’est la volonté de sortir de l’anneau ». Or, il n’en sortira pas. Mais le combat têtu qu’il aura livré pour dilater à l’infini les dimensions de sa geôle est toujours victorieux. Comme le Prisonnier, dont le village n’est qu’à quelques kilomètres, Magnus est un coureur libre.
Ron et moi entamons une hola. Pourtant, tandis qu’il se lève, et que je me rassieds, l’ambiance se grippe et le rythme de la course connaît des ratés. Une première fois, Backstedt lâche prise, son pacer doit décélérer, l’attendre. Backstedt revient, sans rythme, descend sur la ligne rouge où le parcours est moins long, remonte, lâche à nouveau, recolle. Comme je m’assieds, Ron s’assied aussi, notre hola part en vrac, c’est la panique.
Accomplissant un kilomètre en 58 secondes au début, il passe à présent en 1 minute 02, puis 03, 04, revient sous la minute au prix d’un violent effort, avant de décrocher à nouveau.
A la mi-course, le record est envolé. Les lauriers se sont rétractés dans leur tige, et c’est l’heure malheureuse où l’on recommande au champion de ne surtout pas réfléchir à sa condition. N’importe comment, impensable de se dérober.
Justifiant sa réputation, Magnus accomplit sa tournée jusqu’au bout, bien qu’il n’ait de courrier pour personne.
L’heure révolue, il continue à rouler, déçu, jusqu’à ce que son coach l’intercepte et le détache de sa machine.
Ça n’est que bien plus tard, de retour à l’hôtel, qu’il consentira à chausser ses sandales après-effort.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
Au cinéma, c’est simple, on lui confierait des rôles d’homme de main ou de créatures androïdes, mais à vélo ?
Cet automne, Magnus s’alignait sur un nouveau casting.
A Newport, au Pays de Galles où il s’est installé avec sa famille, il tentait de battre le record de l’heure derrière derny. J’atterrissais la veille, par un vol bon marché parti de Beauvais.
En ce soir d’Halloween, le vélodrome flambant neuf proposait un programme de courses de vitesse, keirins et poursuites auxquels se prêtaient gentiment des équipiers italiens non-spécialistes, dans le but de chauffer le public.
Famille, amis, supporters suèdois, fanatiques de l’exercice portant des montres monstrueuses, s’étaient rassemblés dans les gradins, ou mieux encore, au centre de l’arêne, où l’on servait à boire.
On se livrait à des paris sur le temps, confiants, car Magnus, relax à 19h, était réapparu sur la piste avec le regard d’un affamé, aux commandes d’un terrifiant 60X13.
« Regardez bien Pascal ! », me confia à l’oreille un petit homme à moustache dans un costume Prince-de-Galles, « Le bois de la piste semble se détendre, les préliminaires commencent ».
Si le vélodrome de Saint-Quentin voit le jour, il y a des chances pour qu’il soit dessiné par le maître du genre, l’architecte des pistes olympiques de Sydney et d’Athènes, l’ébéniste des records de vitesse, Ron Webb.
Nous décidons de partager un welsh, car Ron est un homme de goût, amateur de cognac et de cigares hecho a mano. Il compte parmi ses amis des parfumeurs, et le Prince Albert . Son humour, recherché, provoque la gaieté des femmes, qu’il aime, et qui l’adorent. C’est un fanatique des courbes. Il ne résiste pas à m’avouer avoir bâti le vélodrome de Newport sur le modèle du bassin de Monica Belluci. Ce que j’avais pressenti.
Selon lui, la réussite d’une piste tient à la douceur de la sortie du virage. La tendre fermeté avec laquelle vous êtes expulsé dans la ligne droite. Et cela, c’est de sa mère qu’il le tient.
Sous une techno abrutissante qu’il a lui-même exigée, et qui nous oblige à pousser la voix, Magnus enchaîne les tours, bien posé sur la ligne bleue, dans le sillage exclusif de son pacer, Paul Daniels, un ancien proxénète.
L’effort hypnotique du poursuiteur rappelle certains exercices offerts aux cosmonautes pour s’habituer à l’apesanteur.
La transe nous gagne. La danse galvanisante des boucles du DJ Liquigas couvre le bourdonnement du derny, si bien qu’on le croirait mu par une force électro-magnétique.
La science-fiction rattrappe le champion. La vitesse (autour de 60km/h) dessine dans son dos une traînée fluorescente, et son visage a pris le rictus qu’on attrape à voyager dans l’hyper-espace.
« Ce qui fait avancer le pistard », dit Ron, « C’est la volonté de sortir de l’anneau ». Or, il n’en sortira pas. Mais le combat têtu qu’il aura livré pour dilater à l’infini les dimensions de sa geôle est toujours victorieux. Comme le Prisonnier, dont le village n’est qu’à quelques kilomètres, Magnus est un coureur libre.
Ron et moi entamons une hola. Pourtant, tandis qu’il se lève, et que je me rassieds, l’ambiance se grippe et le rythme de la course connaît des ratés. Une première fois, Backstedt lâche prise, son pacer doit décélérer, l’attendre. Backstedt revient, sans rythme, descend sur la ligne rouge où le parcours est moins long, remonte, lâche à nouveau, recolle. Comme je m’assieds, Ron s’assied aussi, notre hola part en vrac, c’est la panique.
Accomplissant un kilomètre en 58 secondes au début, il passe à présent en 1 minute 02, puis 03, 04, revient sous la minute au prix d’un violent effort, avant de décrocher à nouveau.
A la mi-course, le record est envolé. Les lauriers se sont rétractés dans leur tige, et c’est l’heure malheureuse où l’on recommande au champion de ne surtout pas réfléchir à sa condition. N’importe comment, impensable de se dérober.
Justifiant sa réputation, Magnus accomplit sa tournée jusqu’au bout, bien qu’il n’ait de courrier pour personne.
L’heure révolue, il continue à rouler, déçu, jusqu’à ce que son coach l’intercepte et le détache de sa machine.
Ça n’est que bien plus tard, de retour à l’hôtel, qu’il consentira à chausser ses sandales après-effort.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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