L’ANNÉE DU CYCLISME
15.1.06
Le cyclisme est d’une régularité astronomique.
Tous les dix ans, à heure fixe, le peloton entre dans une nouvelle ère. Le règne d’un super champion termine et fait place à un intérim rafraîchissant.
Entre la pleine lune et son croissant, nous disons alors que la lune est gibbeuse. Et nous descendons au sous-sol ajouter deux dents au grand plateau.
Pour les pronostiqueurs s’ouvre une période d’effroi. Nos valeurs admises autrefois n’ont plus cours. Nous sommes en janvier, et pourtant, nous ignorons encore le nom du prochain vainqueur du Tour.
Jamais depuis le début de ce siècle, nous n’avions ressenti pareille incertitude. Faute de mieux, on avait pris l’habitude de s’émoustiller mutuellement par des « Alors, qui peut battre Armstrong ? » ou des « Paraît qu’il est fort cette année, Botero ? », prononcés comme un « bon appétit », et auxquels on répondait justement en reprenant des carottes râpées.
Réjouissons-nous, amis de la roue et des pignons. L’amateur de vélo ne fait l’amour qu’une fois tous les dix ans. Mais c’est cette année.
Pour clore le chapitre, admettons que nous n’étions pas si malheureux sous Armstrong. Il fut un souverain plus généreux qu’Indurain, par exemple, avec qui on crevait vraiment la dalle. En comparaison, l’Espagnol n’avait qu’un sens modéré du spectacle. Qu’un autre bout-en-train de sa trempe s’installe pour dix ans et on aura vite fait de regretter le Septuple.
Bref, le monde du cyclisme entre en concile. Il s’agit d’élire notre nouveau leader. Et les candidats se pressent au portillon.
Mieux que dans « Plus Belle la vie », les couples ont éclaté, les familles se sont défaites. Tout est prêt pour que la situation devienne dramatique.
Chez T-Mobile, comme au Real, l’accumulation des vedettes a déçu. Ullrich et Klöden partagent le maillot avec une bande de rouleurs émérites, qui auraient fait impression au contre-la-montre par équipes du Tour s’il n’avait pas été supprimé.
Une société allemande de lait, Milram, leur a racheté Zabel contre la recette du flan aux œufs. Les apprentis chimistes de cette nouvelle équipe ont imaginé l’associer à Alessandro Petacchi, afin de former un attelage prétendument explosif.
Espérons que la sauce prenne, sans quoi tout pourrait se finir dans les balustrades de la Via Roma.
Quant à la troisième dent de la fameuse fourche T-Mobile sensée il y a un an piquer Lance Armstrong à la fesse, -l’exaltant Vinokourov-, il a migré vers l’Espagne, en compagnie de quelques compatriotes. Se fera-t-il au climat ? Acceptera-t-il de revoir son panache à la baisse pour se conformer au sens tactique de Manolo Saiz ?
L’appellera-t-on bientôt « El Vino » ?
Plus audacieux encore, Paco Mancebo, l’homme à la tête penchée, a quitté Îles Baléares –devenue entre temps Caisse d’Epargne - pour l’équipe Française AG2R, où il partagera ses spaghetti avec Christophe Moreau, transfuge du Crédit Agricole. Toutes ces tractations de banque à banque, via des hommes des montagnes, sentent l’argent sale et le blanchiment.
A l’opposé de ces pratiques, la Rabobank propose une troupe homogène et bien rangée de vieux briscards et de jeunes loups. Une carte à jouer dans chaque partie. Un Freire dans les sprints, un Flecha dans les classiques, un Rasmussen dans la montagne, et un coureur pour chaque échappée. Il y a là une machine à gagner tous terrains que seule semble pouvoir concurrencer l’armada CSC, la seule équipe –faut-il le rappeler ?- à avoir roulé pendant la nuit du réveillon.
A l’heure qu’il est, profitant de l’habituel stage commando de début de saison, Ivan Basso rampe, joyeux, dans la boue, insouciant de la pression qui lui incombe.
Qu’il termine seulement second du Tour, et l’on se moquera de lui. Pire encore si la Squadra rate au même moment sa coupe du monde.
Reste Boonen. Qu’on attend tout casser. Pour lui aussi, les ennuis commencent. S’il laisse filer la moindre course, on parlera de déclin, de feu de paille, de bulle de Champagne Boonen. On fustigera ses fréquentations, et ses sorties avec des top-modèles. A peine aura-t-il changé de coiffure que les experts parleront de tensions avec Patrick Lefévère. Et c’est avec bonheur qu’on mouchera l’orgueilleux.
Le trône est un siège qu’on a tort de qualifier de confortable.
S’y asseoir engage à de lourdes responsabilités.
Celui qui vous en parle n’a jamais écrit autrement qu’en danseuse.
A toutes et tous, tous mes vœux.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
Tous les dix ans, à heure fixe, le peloton entre dans une nouvelle ère. Le règne d’un super champion termine et fait place à un intérim rafraîchissant.
Entre la pleine lune et son croissant, nous disons alors que la lune est gibbeuse. Et nous descendons au sous-sol ajouter deux dents au grand plateau.
Pour les pronostiqueurs s’ouvre une période d’effroi. Nos valeurs admises autrefois n’ont plus cours. Nous sommes en janvier, et pourtant, nous ignorons encore le nom du prochain vainqueur du Tour.
Jamais depuis le début de ce siècle, nous n’avions ressenti pareille incertitude. Faute de mieux, on avait pris l’habitude de s’émoustiller mutuellement par des « Alors, qui peut battre Armstrong ? » ou des « Paraît qu’il est fort cette année, Botero ? », prononcés comme un « bon appétit », et auxquels on répondait justement en reprenant des carottes râpées.
Réjouissons-nous, amis de la roue et des pignons. L’amateur de vélo ne fait l’amour qu’une fois tous les dix ans. Mais c’est cette année.
Pour clore le chapitre, admettons que nous n’étions pas si malheureux sous Armstrong. Il fut un souverain plus généreux qu’Indurain, par exemple, avec qui on crevait vraiment la dalle. En comparaison, l’Espagnol n’avait qu’un sens modéré du spectacle. Qu’un autre bout-en-train de sa trempe s’installe pour dix ans et on aura vite fait de regretter le Septuple.
Bref, le monde du cyclisme entre en concile. Il s’agit d’élire notre nouveau leader. Et les candidats se pressent au portillon.
Mieux que dans « Plus Belle la vie », les couples ont éclaté, les familles se sont défaites. Tout est prêt pour que la situation devienne dramatique.
Chez T-Mobile, comme au Real, l’accumulation des vedettes a déçu. Ullrich et Klöden partagent le maillot avec une bande de rouleurs émérites, qui auraient fait impression au contre-la-montre par équipes du Tour s’il n’avait pas été supprimé.
Une société allemande de lait, Milram, leur a racheté Zabel contre la recette du flan aux œufs. Les apprentis chimistes de cette nouvelle équipe ont imaginé l’associer à Alessandro Petacchi, afin de former un attelage prétendument explosif.
Espérons que la sauce prenne, sans quoi tout pourrait se finir dans les balustrades de la Via Roma.
Quant à la troisième dent de la fameuse fourche T-Mobile sensée il y a un an piquer Lance Armstrong à la fesse, -l’exaltant Vinokourov-, il a migré vers l’Espagne, en compagnie de quelques compatriotes. Se fera-t-il au climat ? Acceptera-t-il de revoir son panache à la baisse pour se conformer au sens tactique de Manolo Saiz ?
L’appellera-t-on bientôt « El Vino » ?
Plus audacieux encore, Paco Mancebo, l’homme à la tête penchée, a quitté Îles Baléares –devenue entre temps Caisse d’Epargne - pour l’équipe Française AG2R, où il partagera ses spaghetti avec Christophe Moreau, transfuge du Crédit Agricole. Toutes ces tractations de banque à banque, via des hommes des montagnes, sentent l’argent sale et le blanchiment.
A l’opposé de ces pratiques, la Rabobank propose une troupe homogène et bien rangée de vieux briscards et de jeunes loups. Une carte à jouer dans chaque partie. Un Freire dans les sprints, un Flecha dans les classiques, un Rasmussen dans la montagne, et un coureur pour chaque échappée. Il y a là une machine à gagner tous terrains que seule semble pouvoir concurrencer l’armada CSC, la seule équipe –faut-il le rappeler ?- à avoir roulé pendant la nuit du réveillon.
A l’heure qu’il est, profitant de l’habituel stage commando de début de saison, Ivan Basso rampe, joyeux, dans la boue, insouciant de la pression qui lui incombe.
Qu’il termine seulement second du Tour, et l’on se moquera de lui. Pire encore si la Squadra rate au même moment sa coupe du monde.
Reste Boonen. Qu’on attend tout casser. Pour lui aussi, les ennuis commencent. S’il laisse filer la moindre course, on parlera de déclin, de feu de paille, de bulle de Champagne Boonen. On fustigera ses fréquentations, et ses sorties avec des top-modèles. A peine aura-t-il changé de coiffure que les experts parleront de tensions avec Patrick Lefévère. Et c’est avec bonheur qu’on mouchera l’orgueilleux.
Le trône est un siège qu’on a tort de qualifier de confortable.
S’y asseoir engage à de lourdes responsabilités.
Celui qui vous en parle n’a jamais écrit autrement qu’en danseuse.
A toutes et tous, tous mes vœux.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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