DITES-MOI, AVEZ-VOUS CONNU CHARLY ?
16.12.05
Réunie au siège des Nations-Unies début décembre, la direction de Sport&Erotism remettait son Vélo d’Or, devant un prestigieux parterre d'invités.
Ce trophée, -ce n’est un secret pour personne- est attribué à n'importe qui, et devient à chaque édition plus convoité, notamment par celles et ceux qui seraient passés à côté de leur saison.
Tradition oblige, c’était l’occasion de revivre les grands moments de l'exercice 2005 à travers un diaporama, dans une ambiance créole des plus charmantes. Boudins antillais et cochons au miel se disputaient le sprint du goût. Des femmes légères riaient aux éclats. Jean-Marie Leblanc, passablement émêché, avait trouvé bon de monter sur mes épaules, et faisait tourner sur son doigt le maillot arc-en-ciel qu’il avait arraché du torse d’un Musseuw déchaîné.
Il demandait à descendre pour aller reprendre du Champagne, quand un téléphone vibra dans sa poche arrière. On vit alors une par une les mains cesser d’applaudir. Au guitariste rigolard, j’ordonnai sur le champ de jouer la Grande Marche des Luxembourgeois.
Charly Gaul était mort.
La musique laissa place à la consternation. Puis la consternation à DJ Galibier.
« Dites-moi, avez-vous connu Charly ? », chantait Serge Gainsbourg en 1958, « le contraire m’eut étonné…Il n’est pas une femme qui lui ait résisté…Quel grimpeur ! ».
Coureur surdoué au point de gagner le Tour de France en une journée, sans avoir rien révisé, ami des intempéries, Charly Gaul est l’auteur d’exploits multiples, largement retracés ces jours-ci dans la presse spécialisée. On abonde en Monte Bondone, Ventoux, Petit Saint-Bernard, oubliant volontiers que l’admiration d’autrefois serait aujourd’hui changé en soupçon immédiat.
En cyclisme, on est prompts à fabriquer des légendes sur le dos des gens, qu’ils soient d’accord ou non. Après, on ne veut plus les entendre. Ils ne s’appartiennent même plus. Des individus en chair et en os deviennent des figures en deux dimensions collées dans un livre d’images qu’on appelle l’histoire du cyclisme.
Que sait-on vraiment de Charly Gaul ?
Le costume d’ « ange de la montagne » dans lequel on l’a enterré, lui pesait-il quelquefois ?
Probable, puisqu’il choisit de passer les années 80 isolé dans la forêt, privé de télévision, ne sachant rien d’Hinault, ratant tout Fignon. Il se nourrissait des fruits de sa cueillette, et d’heureux lapins, piègés au collet comme Géminiani dans le Lautaret.
Tandis qu’on découvrait le hip-hop, les disques lasers, et la pédale sans lanières, que des amours se faisaient et se défaisaient dans le temps d’une carrière cycliste, le grand romantique des années 50, contemporain de la naissance du rock’n’roll, vivait en silence –selon la légende- dans un bungalow perdu des Ardennes, ou dans une cabane, rangé des affaires non seulement cyclistes, mais humaines, tel Syd Barrett. Grillé, peinard.
Il traversait des semaines sans broncher, imagine-t-on, car ancien garçon-boucher, il n’avait pas l’habitude de finasser, c’était un taiseux. Revivait-il alors les grandes chevauchées alpestres qui lui avaient valu gloire et fortune ? Ou, attendant en vain l’ardoisier, était-il seulement passé de l’autre côté du col, dans une casse infiniment déserte, l’objectif de l’échappé dépassé au-delà de toutes limites ?
Entré fringant, il était sorti du bois méconnaissable. Devenu soudain vieux et ventru, il avait eu la peau de l’ « archange des cimes », et revenait participer au repas des anciens, où il affectionnait la compagnie des grimpeurs, qui, il est vrai, ne sont pas soûlants.
A quarante ans d’écart, dans un sport qui n’a finalement guère évolué, Charly Gaul s’était pris de sympathie pour Marco Pantani, en qui il reconnaissait un compagnon de style, et qui lui permettait de regagner le peloton par procuration.
Sans doute retrouvait-il dans le Pirate la figure du grimpeur tragique, déjà aperçu en Luis Ocana, et qui, jamais terrassé, réapparaîtra par surprise, un jour de juillet, dans une étape qu’on aura cru de transition.
Pour clôturer la soirée, je décernai son Vélo d’Or à la chanteuse Madonna, pour son album « Confessions on a dancefloor ».
Hélàs, n’ayant pas pu se déplacer, elle était représentée par Richard Virenque, lequel, visiblement bouleversé, est reparti sans un merci.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
*Profitant d'un stage en compagnie de l'équipe CSC de Bjarne Riis, Pascal D'Huez vous souhaite de bonnes fêtes de fin d'année, et vous donne rendez-vous le 15 janvier pour un petit décrassage.
Ce trophée, -ce n’est un secret pour personne- est attribué à n'importe qui, et devient à chaque édition plus convoité, notamment par celles et ceux qui seraient passés à côté de leur saison.
Tradition oblige, c’était l’occasion de revivre les grands moments de l'exercice 2005 à travers un diaporama, dans une ambiance créole des plus charmantes. Boudins antillais et cochons au miel se disputaient le sprint du goût. Des femmes légères riaient aux éclats. Jean-Marie Leblanc, passablement émêché, avait trouvé bon de monter sur mes épaules, et faisait tourner sur son doigt le maillot arc-en-ciel qu’il avait arraché du torse d’un Musseuw déchaîné.
Il demandait à descendre pour aller reprendre du Champagne, quand un téléphone vibra dans sa poche arrière. On vit alors une par une les mains cesser d’applaudir. Au guitariste rigolard, j’ordonnai sur le champ de jouer la Grande Marche des Luxembourgeois.
Charly Gaul était mort.
La musique laissa place à la consternation. Puis la consternation à DJ Galibier.
« Dites-moi, avez-vous connu Charly ? », chantait Serge Gainsbourg en 1958, « le contraire m’eut étonné…Il n’est pas une femme qui lui ait résisté…Quel grimpeur ! ».
Coureur surdoué au point de gagner le Tour de France en une journée, sans avoir rien révisé, ami des intempéries, Charly Gaul est l’auteur d’exploits multiples, largement retracés ces jours-ci dans la presse spécialisée. On abonde en Monte Bondone, Ventoux, Petit Saint-Bernard, oubliant volontiers que l’admiration d’autrefois serait aujourd’hui changé en soupçon immédiat.
En cyclisme, on est prompts à fabriquer des légendes sur le dos des gens, qu’ils soient d’accord ou non. Après, on ne veut plus les entendre. Ils ne s’appartiennent même plus. Des individus en chair et en os deviennent des figures en deux dimensions collées dans un livre d’images qu’on appelle l’histoire du cyclisme.
Que sait-on vraiment de Charly Gaul ?
Le costume d’ « ange de la montagne » dans lequel on l’a enterré, lui pesait-il quelquefois ?
Probable, puisqu’il choisit de passer les années 80 isolé dans la forêt, privé de télévision, ne sachant rien d’Hinault, ratant tout Fignon. Il se nourrissait des fruits de sa cueillette, et d’heureux lapins, piègés au collet comme Géminiani dans le Lautaret.
Tandis qu’on découvrait le hip-hop, les disques lasers, et la pédale sans lanières, que des amours se faisaient et se défaisaient dans le temps d’une carrière cycliste, le grand romantique des années 50, contemporain de la naissance du rock’n’roll, vivait en silence –selon la légende- dans un bungalow perdu des Ardennes, ou dans une cabane, rangé des affaires non seulement cyclistes, mais humaines, tel Syd Barrett. Grillé, peinard.
Il traversait des semaines sans broncher, imagine-t-on, car ancien garçon-boucher, il n’avait pas l’habitude de finasser, c’était un taiseux. Revivait-il alors les grandes chevauchées alpestres qui lui avaient valu gloire et fortune ? Ou, attendant en vain l’ardoisier, était-il seulement passé de l’autre côté du col, dans une casse infiniment déserte, l’objectif de l’échappé dépassé au-delà de toutes limites ?
Entré fringant, il était sorti du bois méconnaissable. Devenu soudain vieux et ventru, il avait eu la peau de l’ « archange des cimes », et revenait participer au repas des anciens, où il affectionnait la compagnie des grimpeurs, qui, il est vrai, ne sont pas soûlants.
A quarante ans d’écart, dans un sport qui n’a finalement guère évolué, Charly Gaul s’était pris de sympathie pour Marco Pantani, en qui il reconnaissait un compagnon de style, et qui lui permettait de regagner le peloton par procuration.
Sans doute retrouvait-il dans le Pirate la figure du grimpeur tragique, déjà aperçu en Luis Ocana, et qui, jamais terrassé, réapparaîtra par surprise, un jour de juillet, dans une étape qu’on aura cru de transition.
Pour clôturer la soirée, je décernai son Vélo d’Or à la chanteuse Madonna, pour son album « Confessions on a dancefloor ».
Hélàs, n’ayant pas pu se déplacer, elle était représentée par Richard Virenque, lequel, visiblement bouleversé, est reparti sans un merci.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
*Profitant d'un stage en compagnie de l'équipe CSC de Bjarne Riis, Pascal D'Huez vous souhaite de bonnes fêtes de fin d'année, et vous donne rendez-vous le 15 janvier pour un petit décrassage.
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