PROTÉGER LES PALMARÈS
1.12.05
Dorénavant, les chutes les plus terribles se produisent après la ligne, dans la zone intensément glissante qui mène de la victoire au contrôle.
Roberto Héras est comme Laurent Jalabert sur la chaussée d’Armentières, abasourdi, défiguré, jeté au sol alors qu’il avait déjà les bras levés. Il est comme l’écrivain à succès soudain convaincu de plagiat. Il n’a plus qu’à aller se coucher seul. Les jolies filles des podiums le couvriront à l’occasion de leurs plus beaux mollards, et bientôt, il recevra des posters dépunaisés.
Malgré Pantani, les affaires de dopage légitiment toutes les cruautés. Héras est déchu d’à peu près tous les statuts. Il devra rapporter à l’UCI son vélo et son jeu de cuissards. Pire encore et sanction ultime, on lui arrachera bientôt ses épaulettes de quadruple vainqueur de la Vuelta.
S’en prendre aux palmarès est une idée nouvelle, surgie à l’occasion de l’examen rétroactif des urines d’Armstrong.
Pour certains, ce serait le moyen de dissuader les athlètes dopés, qui, en avance sur la technologie, sont impossibles à démasquer par leurs contemporains. La menace planerait d’une justice, à retardement peut-être, mais certaine.
Devant le danger d’une fonte des trophées dans leur vitrine, des voix s’élèvent. Celles, notamment, d’anciens champions.
Ainsi, à l’assemblée générale de l’association des coureurs, fin octobre, Francesco Moser a invité chacun à protèger les palmarès.
Selon lui, il faut à tout prix empêcher les révisions. Décréter le vainqueur du jour, lauréat à vie, et effacer les noms des flacons.
Ce point de vue, qu’on pourra trouver douteux, traduit
l’inquiétude actuelle des grands anciens.
Comme l’homme du XXème siècle harcelé par Darwin ou Freud, le coureur traverse une période de doute sans précédents : L’ancien champion ne sait plus s’il l’a vraiment été, et le champion d’avenir ignore s’il le restera.
Les cas de déphasage se multiplient. L’autre jour à table, lorsque j’ai demandé à Bernard Hinault combien de fois il avait remporté le tour, il a préfèré me donner une fourchette.
Quant à Pedro Delgado, c’est nu, au milieu de la Forêt Canadienne, qu’on l’a secouru, tandis qu’il prétendait se rendre au prologue du Tour 89.
Les palmarès sont les tableaux des éléments chimiques du cyclisme, son dogme. C’est peut-être même tout ce en quoi il consiste. La course fabrique du palmarès. Elle fabrique de grandes tours, qui s’élèvent de façon absurde, et dont le principe consiste justement à ne jamais être achevées.
En ce sens, les palmarès constituent un outil de mesure, non pas du temps qui passe, mais de la somme de réalité survenue.
En s’y attaquant, on risque d’anéantir définitivement un sport qui perdure par sa seule légende. Rien n’est plus faux que l’expression « course d’un jour », tant il est vrai que rien ne s’accomplit à bicyclette qui ne soit en relation étroite avec le passé.
C’est à peine concevable, mais figurez-vous que lors de sa première édition, le Tour de France n’avait pas de palmarès.
Aujourd’hui, pas un été sans qu’on revoit des images de Fausto Coppi. Une particularité propre au cyclisme, puisque même lorsqu’il pleut et qu’ils auraient beau jeu de le faire, les organisateurs de Roland-Garros ne nous abreuvent pas de Borg en noir et blanc. Du moins pas encore.
Le cyclisme est-il, avant les autres, un sport malade de la mythologie qu’il a lui-même engendré ?
Possible. Dans une optique similaire, le Real Madrid préfère faire le show avec quelques gloires, plutôt que de bâtir une équipe de jeunes.
ESPN Classic l’emporte sur le direct.
Pourrait-on, à l’occasion du Tour 2006, rêver d’une virginité retrouvée. Un tour sans mémoire, qui partirait chaque année pour la première fois ?
Non, assure-t-on en haut lieu.
Pat Mc Quaid aurait, des épaules au bas du dos, le palmarès intégral du Tour de France, tatoué en Arial 12.
D’année en année, le texte progresse sur la peau vierge. Dans cent ans, il sera tout bleu.
Il va sans dire qu’il apprécierait modérément de devoir procéder à des retouches.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
Roberto Héras est comme Laurent Jalabert sur la chaussée d’Armentières, abasourdi, défiguré, jeté au sol alors qu’il avait déjà les bras levés. Il est comme l’écrivain à succès soudain convaincu de plagiat. Il n’a plus qu’à aller se coucher seul. Les jolies filles des podiums le couvriront à l’occasion de leurs plus beaux mollards, et bientôt, il recevra des posters dépunaisés.
Malgré Pantani, les affaires de dopage légitiment toutes les cruautés. Héras est déchu d’à peu près tous les statuts. Il devra rapporter à l’UCI son vélo et son jeu de cuissards. Pire encore et sanction ultime, on lui arrachera bientôt ses épaulettes de quadruple vainqueur de la Vuelta.
S’en prendre aux palmarès est une idée nouvelle, surgie à l’occasion de l’examen rétroactif des urines d’Armstrong.
Pour certains, ce serait le moyen de dissuader les athlètes dopés, qui, en avance sur la technologie, sont impossibles à démasquer par leurs contemporains. La menace planerait d’une justice, à retardement peut-être, mais certaine.
Devant le danger d’une fonte des trophées dans leur vitrine, des voix s’élèvent. Celles, notamment, d’anciens champions.
Ainsi, à l’assemblée générale de l’association des coureurs, fin octobre, Francesco Moser a invité chacun à protèger les palmarès.
Selon lui, il faut à tout prix empêcher les révisions. Décréter le vainqueur du jour, lauréat à vie, et effacer les noms des flacons.
Ce point de vue, qu’on pourra trouver douteux, traduit
l’inquiétude actuelle des grands anciens.
Comme l’homme du XXème siècle harcelé par Darwin ou Freud, le coureur traverse une période de doute sans précédents : L’ancien champion ne sait plus s’il l’a vraiment été, et le champion d’avenir ignore s’il le restera.
Les cas de déphasage se multiplient. L’autre jour à table, lorsque j’ai demandé à Bernard Hinault combien de fois il avait remporté le tour, il a préfèré me donner une fourchette.
Quant à Pedro Delgado, c’est nu, au milieu de la Forêt Canadienne, qu’on l’a secouru, tandis qu’il prétendait se rendre au prologue du Tour 89.
Les palmarès sont les tableaux des éléments chimiques du cyclisme, son dogme. C’est peut-être même tout ce en quoi il consiste. La course fabrique du palmarès. Elle fabrique de grandes tours, qui s’élèvent de façon absurde, et dont le principe consiste justement à ne jamais être achevées.
En ce sens, les palmarès constituent un outil de mesure, non pas du temps qui passe, mais de la somme de réalité survenue.
En s’y attaquant, on risque d’anéantir définitivement un sport qui perdure par sa seule légende. Rien n’est plus faux que l’expression « course d’un jour », tant il est vrai que rien ne s’accomplit à bicyclette qui ne soit en relation étroite avec le passé.
C’est à peine concevable, mais figurez-vous que lors de sa première édition, le Tour de France n’avait pas de palmarès.
Aujourd’hui, pas un été sans qu’on revoit des images de Fausto Coppi. Une particularité propre au cyclisme, puisque même lorsqu’il pleut et qu’ils auraient beau jeu de le faire, les organisateurs de Roland-Garros ne nous abreuvent pas de Borg en noir et blanc. Du moins pas encore.
Le cyclisme est-il, avant les autres, un sport malade de la mythologie qu’il a lui-même engendré ?
Possible. Dans une optique similaire, le Real Madrid préfère faire le show avec quelques gloires, plutôt que de bâtir une équipe de jeunes.
ESPN Classic l’emporte sur le direct.
Pourrait-on, à l’occasion du Tour 2006, rêver d’une virginité retrouvée. Un tour sans mémoire, qui partirait chaque année pour la première fois ?
Non, assure-t-on en haut lieu.
Pat Mc Quaid aurait, des épaules au bas du dos, le palmarès intégral du Tour de France, tatoué en Arial 12.
D’année en année, le texte progresse sur la peau vierge. Dans cent ans, il sera tout bleu.
Il va sans dire qu’il apprécierait modérément de devoir procéder à des retouches.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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