LE PELOTON PERDU DU BÉNÉLUX
15.8.05
Chacun d’entre nous a pu constater à quel point il était facile de rire.
Et plus encore, de se moquer. Spécialement quand l’objet de vos sarcasmes est à vélo, sous une pluie battante ou qu’il porte sa casquette de traviole.
Lors du Tour du Bénélux, nouvelle épreuve du circuit Pro-Tour, le peloton lancé à la poursuite de trois échappés, s’est subitement égaré.
Pour des raisons encore non élucidées, pendant quelques kilomètres, il est sorti du parcours, jusqu’à ce que l’un des coureurs, qui habite le coin, ne s’en aperçoive et donne l’alerte.
Afin de rééquilibrer la course, les commissaires ont alors décidé de figer les positions, le temps de remettre poursuivis et poursuivants sur le droit chemin. Ils n’ont pas hésité à faire intervenir les forces de l’ordre pour intercepter les hommes de tête qui, n’étant au courant de rien, ont exprimé un vif mécontentement.
Tout devait définitivement se régler quelques heures plus tard,
à l’occasion d’un sprint massif et sans bavures.
Le réflexe qui nous pousse à insulter le cycliste dépassé sur une route de campagne n'a rien perdu de sa vigueur.
Le dimanche matin, celui dont l’aïeul se faisait hurler : « Baisse la tête, t’auras l’air moins con », est désormais traité de camé par des gens qui, est-ce utile de le préciser, ne connaissent rien à sa préparation ni à sa vie privée.
En chacun, plus ou moins consciemment, le pédaleur irrite par le spectacle grotesque qu’il offre de l’humanité tentant de se dépasser au moyen d’un bricolage désuet, que les innovations technologiques et casques profilés soulignent de façon encore plus criante.
C’est pourquoi les jeunes filles préfèrent les surfers, et pourquoi la foule, dans son désir fou d’effacer de sa vue toute forme de précarité, s'en prend si spontanément aux coureurs.
Dans la presse, le rire goguenard qui accompagne quelquefois l’actualité cycliste se décline sous la forme d’un persiflage souvent violent, et de toutes façons immérité.
Ainsi, les malheureux organisateurs du Tour du Bénélux ont été la cible de lynchages dans des rédactions qu’habituellement le vélo n’intéresse même pas. Pour avoir commis une erreur d’aiguillage, ils ont été traînés dans la boue avec une unanimité que les meurtriers d’enfants pourraient jalouser.
Jeter ainsi la pierre, avec la même énergie bardée de morale, au coureur dopé comme à l’organisateur déficient, c’est se priver de poésie, et méconnaître que le sport, -et particulièrement le cyclisme,- est un théâtre dans lequel la performance n’a qu’une petite part.
Le cheval qui traverse la route, les tentatives de tricherie, l’oreillette qui grésille, ce peloton conduit au précipice par un commissaire qui joue de la flûte en amateur, sauvent la compétition de n’être qu’un relevé de statistiques.
Sachons rendre gré aux péripéties dont le cyclisme fourmille par nature, et méditons sur l’exemple du tennis où, les fautes devenues rares et les caprices pourchassées à coups d’amendes, l’ennui a poussé comme une algue le long des chaises d’arbitre.
Au comptoir où nous avions rendez-vous l’autre soir, Luc Leblanc, derrière ses nouvelles petites lunettes, ne me le disait pas autrement : « Parmi tous les sports, le cyclisme se singularise par l’étendue de son décor. Le coureur est la proie infiniment vulnérable d’un hors-champ qui n’a pas de limites. Comme le skipper, le coureur peut être victime du vent, mais le skipper, lui, n’a à craindre ni le tireur embusqué ni le petit chien détaché de sa laisse ».
Voilà pourquoi lui et moi militerons dorénavant contre les barrières dans les arrivées en altitude.
Après le repas trop copieux de juillet, ce mois d’août se déroule comme une longue sieste que les semi-classiques du Pro Tour et les critériums dérangent à peine.
Les commerçants de mon quartier sont tous fermés, et je n'ai plus reçu un seul appel depuis deux semaines. Pour un peu, chacun se croirait seul au monde.
Remercions la Belgique de nous avoir offert, après le palmarès d’Eddy Merckx, cette nouvelle leçon d’humilité.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
Et plus encore, de se moquer. Spécialement quand l’objet de vos sarcasmes est à vélo, sous une pluie battante ou qu’il porte sa casquette de traviole.
Lors du Tour du Bénélux, nouvelle épreuve du circuit Pro-Tour, le peloton lancé à la poursuite de trois échappés, s’est subitement égaré.
Pour des raisons encore non élucidées, pendant quelques kilomètres, il est sorti du parcours, jusqu’à ce que l’un des coureurs, qui habite le coin, ne s’en aperçoive et donne l’alerte.
Afin de rééquilibrer la course, les commissaires ont alors décidé de figer les positions, le temps de remettre poursuivis et poursuivants sur le droit chemin. Ils n’ont pas hésité à faire intervenir les forces de l’ordre pour intercepter les hommes de tête qui, n’étant au courant de rien, ont exprimé un vif mécontentement.
Tout devait définitivement se régler quelques heures plus tard,
à l’occasion d’un sprint massif et sans bavures.
Le réflexe qui nous pousse à insulter le cycliste dépassé sur une route de campagne n'a rien perdu de sa vigueur.
Le dimanche matin, celui dont l’aïeul se faisait hurler : « Baisse la tête, t’auras l’air moins con », est désormais traité de camé par des gens qui, est-ce utile de le préciser, ne connaissent rien à sa préparation ni à sa vie privée.
En chacun, plus ou moins consciemment, le pédaleur irrite par le spectacle grotesque qu’il offre de l’humanité tentant de se dépasser au moyen d’un bricolage désuet, que les innovations technologiques et casques profilés soulignent de façon encore plus criante.
C’est pourquoi les jeunes filles préfèrent les surfers, et pourquoi la foule, dans son désir fou d’effacer de sa vue toute forme de précarité, s'en prend si spontanément aux coureurs.
Dans la presse, le rire goguenard qui accompagne quelquefois l’actualité cycliste se décline sous la forme d’un persiflage souvent violent, et de toutes façons immérité.
Ainsi, les malheureux organisateurs du Tour du Bénélux ont été la cible de lynchages dans des rédactions qu’habituellement le vélo n’intéresse même pas. Pour avoir commis une erreur d’aiguillage, ils ont été traînés dans la boue avec une unanimité que les meurtriers d’enfants pourraient jalouser.
Jeter ainsi la pierre, avec la même énergie bardée de morale, au coureur dopé comme à l’organisateur déficient, c’est se priver de poésie, et méconnaître que le sport, -et particulièrement le cyclisme,- est un théâtre dans lequel la performance n’a qu’une petite part.
Le cheval qui traverse la route, les tentatives de tricherie, l’oreillette qui grésille, ce peloton conduit au précipice par un commissaire qui joue de la flûte en amateur, sauvent la compétition de n’être qu’un relevé de statistiques.
Sachons rendre gré aux péripéties dont le cyclisme fourmille par nature, et méditons sur l’exemple du tennis où, les fautes devenues rares et les caprices pourchassées à coups d’amendes, l’ennui a poussé comme une algue le long des chaises d’arbitre.
Au comptoir où nous avions rendez-vous l’autre soir, Luc Leblanc, derrière ses nouvelles petites lunettes, ne me le disait pas autrement : « Parmi tous les sports, le cyclisme se singularise par l’étendue de son décor. Le coureur est la proie infiniment vulnérable d’un hors-champ qui n’a pas de limites. Comme le skipper, le coureur peut être victime du vent, mais le skipper, lui, n’a à craindre ni le tireur embusqué ni le petit chien détaché de sa laisse ».
Voilà pourquoi lui et moi militerons dorénavant contre les barrières dans les arrivées en altitude.
Après le repas trop copieux de juillet, ce mois d’août se déroule comme une longue sieste que les semi-classiques du Pro Tour et les critériums dérangent à peine.
Les commerçants de mon quartier sont tous fermés, et je n'ai plus reçu un seul appel depuis deux semaines. Pour un peu, chacun se croirait seul au monde.
Remercions la Belgique de nous avoir offert, après le palmarès d’Eddy Merckx, cette nouvelle leçon d’humilité.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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