SUIVRE LE TOUR PEUT NUIRE / ÉTAPE 16
19.7.05
Pour rallier Saint-Lary, j’embarque aux côtés d’un transporteur de pêches, un basque fanatique d’Iban Mayo, qui a prévu de faire un crochet par Andorre.
Son cousin, qui bosse dans l’électricité, a eu l’occasion de refaire l’installation d’Armstrong, à Gérone. « Chez lui, tout est en forme de vélo ! », m’explique-t-il, « les interrupteurs, c’est des manettes de freins…C’est jaune partout ».
L’idée lui serait venue en allant visiter la maison voisine de Salvador Dali, dont il est fan, à Figueras.
Il laisse la lumière allumée en permanence, il s’en fout, il recharge chaque hiver les accus en s’entraînant sur son home-trainer. Lorsque le courant a été coupé l’hiver dernier à cause d’un pylône effondré, les gens du coin ont pu continuer à se laver à l’eau chaude grâce à de vieux échauffements de l’Américain, emmagasinés dans des galettes de cuivre.
Du coup, les habitants l’aiment bien. Il leur amène aussi des touristes, en général des militants anti-dopages qui viennent fouiller les poubelles, et, bredouilles, restent pour la semaine.
Brouillard épais. Les phares d’autres camions surgissent au dernier moment dans de tonitruants coups de klaxon. Nous empruntons le Port d’Envalira où une plaque déposée par les Amis de Jacques Anquetil rappelle qu’il faillit perdre ici le Tour 1964 pour un méchoui consommé lors de la journée de repos, et quelques gorgées de sangria bues à la paille dans une baignoire.
En souvenir de cet épisode, se tient ici chaque été le concours du plus gros mangeur de rognons. Mon chauffeur connaissait le dernier lauréat, un Aragonnais de 19 ans, qui s’est tué en revenant, dans la descente.
Le Tour qui s’achève cette semaine constituerait un bon stage d’été pour les apprentis infirmiers. Bronchites, furoncles et prurits ; en plus de l’otite de Botero, on trouve pas moins de trois vers solitaires (Karpets, Tombak, Botero encore), ainsi qu’un très bel exemplaire du vulgus cariossa, un champignon plantaire rare (le Colombien Botero).
Je ne m’étendrai pas sur la liste des soucis d’ordre psychologique : mélancolie, double-personnalité (rouleurs se découvrant grimpeurs, et inversement), sentiment d’invisibilité (un cas, celui de Vinokourov, repris par ses coéquipiers chaque fois qu’il tente de s’échapper), blues du grupetto, insomnies, crétinerie des Alpes.
Les derniers enjeux de ce Tour 2005, le maillot vert, la troisième place, le deuxième meilleur Français, ne sont rien par rapport à l’unique question qui taraude encore les rivaux lessivés de Lance Armstrong : Que faire en août ?
« Vivre en Andorre », peut-être, comme nous y invite la banderole sous laquelle nous nous garons.
Au cours de la fameuse quatrième semaine, toutes les attitudes sont permises. Il y a ceux qui dorment, ceux qui repartent à l’échauffement, ceux, enfin, qui se laissent aller à la décadence la plus débridée, afin de brûler le stress accumulé pendant la course. Pour les courageux qui avaient fait une préparation idéale en juin, et qui finiront dimanche à plus de deux heures, la tentation est belle de se mettre à la boisson.
Nous chargeons des cartons remplis de cigarettes.
Il y en a pour une vraie fortune, que nous glissons sous les cageots de pêches, là où ils sont supposés inreniflables.
Le temps de se reconforter d’un verre de vin et de chorizo, nous repartons, franchissant tour-à-tour le Portillon, Bagnères-de-Luchon, puis Peyresourde.
Les noms des coureurs peints sur la route forment une dentelle serrée et illisible. Parmi eux se trouve sans doute celui du vainqueur du Tour. Mais comment le reconnaître ?
Tandis qu’à la radio, le vaillant Oscar Pereiro rend justice à l’attaque en s’offrant l’étape, notre vaisseau, pris dans les derniers lacets, commence à marquer de sérieux signes de fatigue.
Nous calons dix fois, jusqu’à ce qu’un barrage routier, caché au sommet, nous demande de stationner.
Contrôle-surprise.
Je sors de l’habitacle en riant.
« Rangez vos fusils, gendarmes !…Je suis Pascal D’Huez, l’ami des champions, et je vous apporte ce chorizo en ami. »
Pascal D’Huez, envoyé spécial. Préfecture de Police de Saint-Lary Soulan.
Son cousin, qui bosse dans l’électricité, a eu l’occasion de refaire l’installation d’Armstrong, à Gérone. « Chez lui, tout est en forme de vélo ! », m’explique-t-il, « les interrupteurs, c’est des manettes de freins…C’est jaune partout ».
L’idée lui serait venue en allant visiter la maison voisine de Salvador Dali, dont il est fan, à Figueras.
Il laisse la lumière allumée en permanence, il s’en fout, il recharge chaque hiver les accus en s’entraînant sur son home-trainer. Lorsque le courant a été coupé l’hiver dernier à cause d’un pylône effondré, les gens du coin ont pu continuer à se laver à l’eau chaude grâce à de vieux échauffements de l’Américain, emmagasinés dans des galettes de cuivre.
Du coup, les habitants l’aiment bien. Il leur amène aussi des touristes, en général des militants anti-dopages qui viennent fouiller les poubelles, et, bredouilles, restent pour la semaine.
Brouillard épais. Les phares d’autres camions surgissent au dernier moment dans de tonitruants coups de klaxon. Nous empruntons le Port d’Envalira où une plaque déposée par les Amis de Jacques Anquetil rappelle qu’il faillit perdre ici le Tour 1964 pour un méchoui consommé lors de la journée de repos, et quelques gorgées de sangria bues à la paille dans une baignoire.
En souvenir de cet épisode, se tient ici chaque été le concours du plus gros mangeur de rognons. Mon chauffeur connaissait le dernier lauréat, un Aragonnais de 19 ans, qui s’est tué en revenant, dans la descente.
Le Tour qui s’achève cette semaine constituerait un bon stage d’été pour les apprentis infirmiers. Bronchites, furoncles et prurits ; en plus de l’otite de Botero, on trouve pas moins de trois vers solitaires (Karpets, Tombak, Botero encore), ainsi qu’un très bel exemplaire du vulgus cariossa, un champignon plantaire rare (le Colombien Botero).
Je ne m’étendrai pas sur la liste des soucis d’ordre psychologique : mélancolie, double-personnalité (rouleurs se découvrant grimpeurs, et inversement), sentiment d’invisibilité (un cas, celui de Vinokourov, repris par ses coéquipiers chaque fois qu’il tente de s’échapper), blues du grupetto, insomnies, crétinerie des Alpes.
Les derniers enjeux de ce Tour 2005, le maillot vert, la troisième place, le deuxième meilleur Français, ne sont rien par rapport à l’unique question qui taraude encore les rivaux lessivés de Lance Armstrong : Que faire en août ?
« Vivre en Andorre », peut-être, comme nous y invite la banderole sous laquelle nous nous garons.
Au cours de la fameuse quatrième semaine, toutes les attitudes sont permises. Il y a ceux qui dorment, ceux qui repartent à l’échauffement, ceux, enfin, qui se laissent aller à la décadence la plus débridée, afin de brûler le stress accumulé pendant la course. Pour les courageux qui avaient fait une préparation idéale en juin, et qui finiront dimanche à plus de deux heures, la tentation est belle de se mettre à la boisson.
Nous chargeons des cartons remplis de cigarettes.
Il y en a pour une vraie fortune, que nous glissons sous les cageots de pêches, là où ils sont supposés inreniflables.
Le temps de se reconforter d’un verre de vin et de chorizo, nous repartons, franchissant tour-à-tour le Portillon, Bagnères-de-Luchon, puis Peyresourde.
Les noms des coureurs peints sur la route forment une dentelle serrée et illisible. Parmi eux se trouve sans doute celui du vainqueur du Tour. Mais comment le reconnaître ?
Tandis qu’à la radio, le vaillant Oscar Pereiro rend justice à l’attaque en s’offrant l’étape, notre vaisseau, pris dans les derniers lacets, commence à marquer de sérieux signes de fatigue.
Nous calons dix fois, jusqu’à ce qu’un barrage routier, caché au sommet, nous demande de stationner.
Contrôle-surprise.
Je sors de l’habitacle en riant.
« Rangez vos fusils, gendarmes !…Je suis Pascal D’Huez, l’ami des champions, et je vous apporte ce chorizo en ami. »
Pascal D’Huez, envoyé spécial. Préfecture de Police de Saint-Lary Soulan.
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