LE COUREUR SANS COURSES
1.5.06
Un entraîneur de patinage artistique obtiendrait de Jan Ullrich qu'il se mette en danseur. Ce qui représenterait déjà un progrès.
Hélàs, faute de Candeloro dans l'entourage du champion, ses plis sont devenus irrepassables.
Jan est pourtant un gars attachant. Chaque été, je me prends à espérer qu'il gagne le Tour. Chaque été, il le perd, souvent à plates coutures, ne fournit aucune justification valable, promet de mieux se préparer, jusqu'au cycle suivant. Imperturbable. Il aura ainsi passé le gros de sa carrière sur home-trainer.
Il est saisissant d'observer comme le destin de ce jeune athlète extrait de RDA, découvert il y a dix ans, a pu dériver loin des pronostics.
Alors qu'à la sortie des années de plomb Indurain, on appréhendait d'être tombé sur une machine à enfiler les maillots jaunes, Ullrich a revêtu la casaque du loser, un air un peu français qui lui vaut même le surnom de Poupullrich dans certaines régions reculées de France où l'on ne craint ni le loup ni le néologisme.
Son secret ? Il l'emportera dans sa cabine de consultant.
Le fascinant vainqueur de 1997, aux lèvres framboise et à la frimousse ambigue, Heidi de Courchevel dont Cocteau aurait fait son chouchou, est devenu Brice de Nice. Il se laisse mollement vieillir, simplement heureux d'être de la partie, ne justifiant sa présence que par l'attente d'une vague qui n'arrivera pas.
L'insupportable avec lui, c'est de le voir tomber dans les mêmes panneaux sans qu'il montre jamais aucun signe de révolte.
A la sortie du dernier tour, où il avait laissé échappé sa dernière chance de battre Armstrong, on aurait pu l'imaginer revanchard, sanguinaire. Au lieu de quoi, il a félicité son vainqueur, promis de revenir pour gagner, avant de s'évaporer dans les semi-classiques du mois d'août, puis de quitter plus tôt que les autres une saison qu'il avait démarré plus tard.
Le traumatisme était profond, chuchotaient certains proches.
Durant l'automne, en effet, on apprit que Jan avait eu une prise de conscience : la route vers un nouveau succès à Paris démarrait sitôt le Tour fini. Frottez-vous les mains, disait en substance le Bilder Zeitung, Jan est déjà sur le pied de guerre. Si Basso finit sous les dix minutes, ce sera un exploit.
Mais janvier, février passent, et Jan n'y est pas. Les courses sont mineures, c'est vrai, mais mars, Paris-Nice (qu'il n'a jamais couru), Milan-San Remo, puis avril, les Flandriennes, et les Ardennaises (où je ne l'ai jamais vu) passent sans qu'aucun dossard ne lui soit distribué.
Un jour, on l'annonce à la Semaine Internationale, où notre champion du faux-bond nous offre un tour gratuit. Un homme prétend l'avoir vu. Il est aussitôt conduit au poste de police.
Le lendemain tombe la dépêche de sa présence au Circuit de la Sarthe, où Jan se montre tous les ans.
Hélàs, à quelques jours du départ, il renonce, souffrant de douleurs aux genoux contractées suite à de lourdes charges de travail.
Il y a du Pete Doherty dans ce Jan Ullrich.
A l'instar des artistes sans oeuvres, il est un coureur sans courses. Un statut qui ne manque pas de charme.
Son peu d'attrait pour la compétition serait compréhensible si, comme pour Marat Safin, on lui soupçonnait une vie en marge du sport, plus intense. Le problème, c'est que Jan semble ne vivre que pour le cyclisme. C'est un nerd de l'effort solitaire assisté par ordinateur, au point que la course au contact des autres doit lui sembler une jungle.
Y aurait-il chez lui un fond de culpabilité chrétienne à exploiter à fond des vertus trop généreusement accordées ? Ou bien, comme Yannick Noah et son Roland-Garros, Jan Ullrich cherche-t-il inconsciemment à ne pas corrompre son unique succès par un second qui risquerait de dévaluer la beauté de ses 23 ans ?
Voilà qui se défend.
Pourquoi ne pas préférer un poème à l'épopée en 7 tomes d'un auteur américain de ses rivaux, idéale cale à commode et parfait coupe-faim ? ■
Pascal D'Huez, envoyé spécial.
Hélàs, faute de Candeloro dans l'entourage du champion, ses plis sont devenus irrepassables.
Jan est pourtant un gars attachant. Chaque été, je me prends à espérer qu'il gagne le Tour. Chaque été, il le perd, souvent à plates coutures, ne fournit aucune justification valable, promet de mieux se préparer, jusqu'au cycle suivant. Imperturbable. Il aura ainsi passé le gros de sa carrière sur home-trainer.
Il est saisissant d'observer comme le destin de ce jeune athlète extrait de RDA, découvert il y a dix ans, a pu dériver loin des pronostics.
Alors qu'à la sortie des années de plomb Indurain, on appréhendait d'être tombé sur une machine à enfiler les maillots jaunes, Ullrich a revêtu la casaque du loser, un air un peu français qui lui vaut même le surnom de Poupullrich dans certaines régions reculées de France où l'on ne craint ni le loup ni le néologisme.
Son secret ? Il l'emportera dans sa cabine de consultant.
Le fascinant vainqueur de 1997, aux lèvres framboise et à la frimousse ambigue, Heidi de Courchevel dont Cocteau aurait fait son chouchou, est devenu Brice de Nice. Il se laisse mollement vieillir, simplement heureux d'être de la partie, ne justifiant sa présence que par l'attente d'une vague qui n'arrivera pas.
L'insupportable avec lui, c'est de le voir tomber dans les mêmes panneaux sans qu'il montre jamais aucun signe de révolte.
A la sortie du dernier tour, où il avait laissé échappé sa dernière chance de battre Armstrong, on aurait pu l'imaginer revanchard, sanguinaire. Au lieu de quoi, il a félicité son vainqueur, promis de revenir pour gagner, avant de s'évaporer dans les semi-classiques du mois d'août, puis de quitter plus tôt que les autres une saison qu'il avait démarré plus tard.
Le traumatisme était profond, chuchotaient certains proches.
Durant l'automne, en effet, on apprit que Jan avait eu une prise de conscience : la route vers un nouveau succès à Paris démarrait sitôt le Tour fini. Frottez-vous les mains, disait en substance le Bilder Zeitung, Jan est déjà sur le pied de guerre. Si Basso finit sous les dix minutes, ce sera un exploit.
Mais janvier, février passent, et Jan n'y est pas. Les courses sont mineures, c'est vrai, mais mars, Paris-Nice (qu'il n'a jamais couru), Milan-San Remo, puis avril, les Flandriennes, et les Ardennaises (où je ne l'ai jamais vu) passent sans qu'aucun dossard ne lui soit distribué.
Un jour, on l'annonce à la Semaine Internationale, où notre champion du faux-bond nous offre un tour gratuit. Un homme prétend l'avoir vu. Il est aussitôt conduit au poste de police.
Le lendemain tombe la dépêche de sa présence au Circuit de la Sarthe, où Jan se montre tous les ans.
Hélàs, à quelques jours du départ, il renonce, souffrant de douleurs aux genoux contractées suite à de lourdes charges de travail.
Il y a du Pete Doherty dans ce Jan Ullrich.
A l'instar des artistes sans oeuvres, il est un coureur sans courses. Un statut qui ne manque pas de charme.
Son peu d'attrait pour la compétition serait compréhensible si, comme pour Marat Safin, on lui soupçonnait une vie en marge du sport, plus intense. Le problème, c'est que Jan semble ne vivre que pour le cyclisme. C'est un nerd de l'effort solitaire assisté par ordinateur, au point que la course au contact des autres doit lui sembler une jungle.
Y aurait-il chez lui un fond de culpabilité chrétienne à exploiter à fond des vertus trop généreusement accordées ? Ou bien, comme Yannick Noah et son Roland-Garros, Jan Ullrich cherche-t-il inconsciemment à ne pas corrompre son unique succès par un second qui risquerait de dévaluer la beauté de ses 23 ans ?
Voilà qui se défend.
Pourquoi ne pas préférer un poème à l'épopée en 7 tomes d'un auteur américain de ses rivaux, idéale cale à commode et parfait coupe-faim ? ■
Pascal D'Huez, envoyé spécial.
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