LA VÉRITÉ SUR LE DOPAGE
1.9.05
Le cyclisme est comme un ado qu’on n’arrête plus d’aller récupérer au poste de police, avec à chaque fois la même consternation. Les menaces n’y font rien, « il a ça dans la peau », dit le brigadier qui nous raccompagne à la porte.
On jure de mettre en place des sanctions plus sévères, de l’interdire de sortie, mais notre grand dadais de cyclisme, dans son maillot à damier, faisant semblant de baisser la tête, ricane déjà, incapable de prendre la loi au sérieux.
A l’heure qu’il est, on ignore encore –et sans doute pour longtemps- si une nouvelle affaire de dopage a véritablement éclaté. L’EPO retrouvé dans les urines millésimées de Lance Armstrong a immédiatement déchaîné une furie médiatique et des réactions à l’emporte-pièce qui, suivant un cheminement habituel, se sont progressivement dissipées face à l’impossibilité de prouver quoi que ce soit de valable.
De fait, l’hystérie collective et le désir de lynchage ont décrédibiliser l’ «affaire». Ceux qui, en l’absence de toute contre-expertise, appelaient déjà au déclassement du champion américain, ont pris au piège leur propre camp, car on se rend bien compte de l’absurdité du projet qui consisterait à réviser les palmarès, à y remplacer chaque lauréat positif par son dauphin, voire son troisième, dont on ne peut être sûr qu’il ait lui-même roulé à l’eau plate. A ce compte, qui sait si, un jour, par le jeu des analyses d’urine rétrospectives, on n’attribuera pas le Tour 99 à Richard Virenque, huitième cette année-là, et qui n’avait peut-être rien pris ?
Le cyclisme propre, dont la presse nous rabat les oreilles, est un mythe. On peut considérer qu’il n’a jamais concerné qu’une petite marge des coureurs, marge plus ou moins large suivant l’époque, les moyens et les mœurs en cours.
Dès lors, ayant tiré au sort une carte postale dans les gros sacs de la poste qui s’agglutinent devant la porte de Sport&Erotism depuis 10 jours, je voudrais à présent répondre à la question posée par la jeune Charlène, de Saint-Lary. « Pourquoi ? », m’écrit-elle, « pourquoi, Pascal, le cyclisme est-il à ce point lié au dopage ? »
Et bien, Charlène, contrairement à ceux qui pensent que l’époque a perverti le vélo, je répondrais que l’absorption de substances -entre autres moyens de parvenir à ses fins- est constitutif de ce sport, où dès l’origine, tous les moyens sont bons pour franchir les obstacles imaginés par des organisateurs sadiques.
Au début, le Tour est une sorte de rallye. Ceux qui s’élancent dans la nuit sont ici pour en baver. La souffrance endurée est telle qu’il semble n’y avoir rien de répréhensible à rééquilibrer les forces en présence à l’aide de potions approximatives, qui sont l’affaire de chacun.
Le coureur est, par essence, un débrouillard. Il est seul à faire avancer son propre moyen de locomotion. S’il crève, il répare. S’il trouve un bar et qu’il a soif, il pille. Le caractère épique de son effort fait du cycliste un quasi personnage de fiction, pour qui les lois de la société civile n’ont pas cours. A la guerre comme à la guerre.
Cet état d’esprit a perduré, et c’est pourquoi, chère Charléne, le vélo paie cher son anachronisme dans cette société hygiéniste; institutrice incapable de complexité, qui ne jure que par la punition collective. Or, quoi de plus révulsant qu’entendre un imbécile innocent traiter Pantani ou Armstrong de tricheurs ?
Longtemps, les produits ont fait partie du folklore, et offert les épisodes les plus rocambolesques de l’histoire de ce sport. Les fioles des Pélissier, l’aéronef conduisant un Anquetil aux airs de Fantomas d'un pillage du Dauphiné au détournement de Bordeaux-Paris, les chevauchées monstres et les défaillances inexpliquées d’équipes entières, ont contribué à écrire un récit dans lequel, finalement, la performance physique tient rôle de support.
La façon dont Armstrong est parvenu à la maîtrise totale de la course, à son contrôle absolu, par des moyens qu’on ignore encore, s’écarte sensiblement de cette tradition.
Pour la première fois peut-être, un champion s’est dopé à l’aide d’une technique si sophistiquée qu’elle relève moins du risque que de l’assurance.
Dès lors, serions-nous en train d’assister à une inversion des rôles ?
Plus troublant encore, est-ce qu’Armstrong ne poursuivrait pas le même objectif que ses ennemis déclarés, les militants anti-dopage ?
Une course lisse. Un combat de globules. Un jeu-vidéo débarrassé d’aventures extra-sportives.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
DERNIÈRE MINUTE : Croyant bien faire, j’ai emmené Charlène au Musée du cyclisme de Roselaere, où sont conservés dans la pénombre les très beaux échantillons d’urine des principaux vainqueurs du Tour. Je récitais du De Vlaeminck en faisant jouer le flacon Luis Ocana dans les rayons du soleil d’août, lorsqu’un illuminé a surgi, répandant au sol le pipi d’Eddy Merckx, en éxécutant la danse de Saint-Guy.
On jure de mettre en place des sanctions plus sévères, de l’interdire de sortie, mais notre grand dadais de cyclisme, dans son maillot à damier, faisant semblant de baisser la tête, ricane déjà, incapable de prendre la loi au sérieux.
A l’heure qu’il est, on ignore encore –et sans doute pour longtemps- si une nouvelle affaire de dopage a véritablement éclaté. L’EPO retrouvé dans les urines millésimées de Lance Armstrong a immédiatement déchaîné une furie médiatique et des réactions à l’emporte-pièce qui, suivant un cheminement habituel, se sont progressivement dissipées face à l’impossibilité de prouver quoi que ce soit de valable.
De fait, l’hystérie collective et le désir de lynchage ont décrédibiliser l’ «affaire». Ceux qui, en l’absence de toute contre-expertise, appelaient déjà au déclassement du champion américain, ont pris au piège leur propre camp, car on se rend bien compte de l’absurdité du projet qui consisterait à réviser les palmarès, à y remplacer chaque lauréat positif par son dauphin, voire son troisième, dont on ne peut être sûr qu’il ait lui-même roulé à l’eau plate. A ce compte, qui sait si, un jour, par le jeu des analyses d’urine rétrospectives, on n’attribuera pas le Tour 99 à Richard Virenque, huitième cette année-là, et qui n’avait peut-être rien pris ?
Le cyclisme propre, dont la presse nous rabat les oreilles, est un mythe. On peut considérer qu’il n’a jamais concerné qu’une petite marge des coureurs, marge plus ou moins large suivant l’époque, les moyens et les mœurs en cours.
Dès lors, ayant tiré au sort une carte postale dans les gros sacs de la poste qui s’agglutinent devant la porte de Sport&Erotism depuis 10 jours, je voudrais à présent répondre à la question posée par la jeune Charlène, de Saint-Lary. « Pourquoi ? », m’écrit-elle, « pourquoi, Pascal, le cyclisme est-il à ce point lié au dopage ? »
Et bien, Charlène, contrairement à ceux qui pensent que l’époque a perverti le vélo, je répondrais que l’absorption de substances -entre autres moyens de parvenir à ses fins- est constitutif de ce sport, où dès l’origine, tous les moyens sont bons pour franchir les obstacles imaginés par des organisateurs sadiques.
Au début, le Tour est une sorte de rallye. Ceux qui s’élancent dans la nuit sont ici pour en baver. La souffrance endurée est telle qu’il semble n’y avoir rien de répréhensible à rééquilibrer les forces en présence à l’aide de potions approximatives, qui sont l’affaire de chacun.
Le coureur est, par essence, un débrouillard. Il est seul à faire avancer son propre moyen de locomotion. S’il crève, il répare. S’il trouve un bar et qu’il a soif, il pille. Le caractère épique de son effort fait du cycliste un quasi personnage de fiction, pour qui les lois de la société civile n’ont pas cours. A la guerre comme à la guerre.
Cet état d’esprit a perduré, et c’est pourquoi, chère Charléne, le vélo paie cher son anachronisme dans cette société hygiéniste; institutrice incapable de complexité, qui ne jure que par la punition collective. Or, quoi de plus révulsant qu’entendre un imbécile innocent traiter Pantani ou Armstrong de tricheurs ?
Longtemps, les produits ont fait partie du folklore, et offert les épisodes les plus rocambolesques de l’histoire de ce sport. Les fioles des Pélissier, l’aéronef conduisant un Anquetil aux airs de Fantomas d'un pillage du Dauphiné au détournement de Bordeaux-Paris, les chevauchées monstres et les défaillances inexpliquées d’équipes entières, ont contribué à écrire un récit dans lequel, finalement, la performance physique tient rôle de support.
La façon dont Armstrong est parvenu à la maîtrise totale de la course, à son contrôle absolu, par des moyens qu’on ignore encore, s’écarte sensiblement de cette tradition.
Pour la première fois peut-être, un champion s’est dopé à l’aide d’une technique si sophistiquée qu’elle relève moins du risque que de l’assurance.
Dès lors, serions-nous en train d’assister à une inversion des rôles ?
Plus troublant encore, est-ce qu’Armstrong ne poursuivrait pas le même objectif que ses ennemis déclarés, les militants anti-dopage ?
Une course lisse. Un combat de globules. Un jeu-vidéo débarrassé d’aventures extra-sportives.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
DERNIÈRE MINUTE : Croyant bien faire, j’ai emmené Charlène au Musée du cyclisme de Roselaere, où sont conservés dans la pénombre les très beaux échantillons d’urine des principaux vainqueurs du Tour. Je récitais du De Vlaeminck en faisant jouer le flacon Luis Ocana dans les rayons du soleil d’août, lorsqu’un illuminé a surgi, répandant au sol le pipi d’Eddy Merckx, en éxécutant la danse de Saint-Guy.
1 Comments:
Il fallait que quelqu'un se lève et écrive sur ce sujet un texte qui ne soit ni hypocrite, ni cynique. Ce quelqu'un, ce fut toi ! Merci
Enregistrer un commentaire
<< Home