L'AMITIÉ SUR LA MONTAGNE
23.7.10
Dans un décor de Roger Harth et des costumes de Donald Cardwell, le jeune Andy devait aujourd’hui semer son correspondant espagnol dans le Tourmalet, au risque de perdre définitivement le Tour. La météo, à l’orage, et les pronostics, à l’avantage du maillot jaune, lui donnaient l’occasion d’entrer dans la légende de Jean-Paul Olivier, à condition, cependant, d’avoir les cuisses.
A midi, sitôt sonnés les trois coups, un groupe de volontaires se porte à l’avant, sans crainte de la redite. La Cofidis, seule laissée pour compte du triomphe frenchy, envoie Pauriol s’endetter en compagnie d’une poignée de coureurs démobilisés, tandis que -première bizarrerie- à l’approche de Marie-Blanque, les prétendants au challenge du meilleur grimpeur n’essaient même pas de s’affronter. On redescend dans la vallée, visages renfrognés, car la pluie fait sortir les imperméables et affligent les sponsors, momentanément frappés d’invisibilité.
Comme il est du genre idéaliste, votre bien-aimé serviteur se dit qu’Andy Schleck –qui a promis de lâcher les chevaux- attaquera peut-être dès le Soulor. Prévoyant, il s’arme de pains au chocolat et de liqueur de myrte.
Quinze heures. L’échappée fait bâiller le peloton, à peine dérangé par le franchissement hors des clous d’un troupeau de brebis. Pendant ce temps, intercalé, Carlos Sastre s’offre un rendez-vous galant avec le vent. Grand numéro de chasse-patates façon Parmentier. C’est alors que la retransmission se complique. Le brouillard transforme l’horizon en un au-delà illuminé, qui fait presque mal aux yeux et réduit les coureurs à de simples silhouettes. Serait-ce déjà le fameux bout du tunnel que décrivent les rescapés d’une near death experience ? Pour un peu, on croirait que le peloton entier a basculé sur l’autre rive et que nous sommes morts avec lui.
Au cours du mince répit qui sépare Soulor et Tourmalet, les hommes de Bjarne Riis se présentent enfin à la proue du navire, mais peinent à donner l’illusion qu’un coup de Trafalgar se prépare (Cancellara décroche à vingt bornes !), ou qu’un cyclone est en formation, propre à jeter dans le précipice cette Astana, pourtant pas impériale. Et la bataille du maillot à pois qu’on annonçait homérique ? Finie. Pliée. Moreau traîne dans les bas-fonds. Stratégie ? Pense-t-il attaquer dans la vallée de Chevreuse en août ?
A dix kilomètres du sommet, dans le money time de ce millésime 2010, la caméra nous permet d’observer les traits des principaux protagos, que la pluie a débarrassé de leurs ray-bans. Le masque de Contador présente des traits concentrés, précis, sourcilleux, quand Schleck est gracile, léger, lointain. Ni l’un ni l’autre ne semble morfler.
Le Lux Supérior le répète depuis Morzine : il a un plan. Celui-ci, hélas, a été écrit par un enfant de quatre ans. Sous la banderole des dix kilomètres, au moment où l’univers entier s’y attend, il s’éloigne du groupe des leaders plus qu’il n’attaque. Contador prend sa roue aussitôt, comme un diable sur ressort que Schleck déclencherait mécaniquement. Cent mètres derrière, nos seconds couteaux s’emploient à rester à leur place. Ils s’appellent Sans Chaise, Manchoff, Rodrigo. Ce sont d’excellents coureurs, mais aussi de bons philosophes qui savent se contenter de ce qu’ils ont et ne veulent pas d’histoires. Le démarrage des deux cadors leur enlève du pied l’épine Ambiguité.
Nous voilà dans la pente, menant grand train. L’Andiche, toujours devant, n’amuse pas la galerie, tient son rang, mais, comme d’habitude, manque de ruse, de rouerie. Sa stratégie consiste à faire croire qu’il est bien, et à l’être vraiment. Alberto, secoué mais jamais inquiet, s’échine à tourner les jambes et compte les kilomètres. Bien élevé, il évite de bâiller pour ne pas se mettre davantage le public à dos, lui qui se fait siffler depuis trois jours parce qu’il a voulu faire un peu la course. Il tentera même une attaque, à trois bornes de l’arrivée. Incisive et punchy. On l’imagine alors fermer net le clapet du blondinet et aller seul inscrire la barre au second T de Tourmalet.
Le trou est fait, on croit Schleck perdu. C’est mal juger le fils à Johnny, qui ne s’en laisse pas compter et revient dans la roue de son rival à toute berzingue, montrant au passage des aptitudes qui laissent à penser qu’avec un peu plus d’audace dans les Alpes, comme à Bonascre, il aurait pu franchir le palier qui sépare le coureur de grande classe de l’authentique champion. Au milieu d’une foule incroyable, effrayante et carnavalesque, où l’on montre désormais ses fesses sans souci du Président de la République qui rôde, le lévrier et l’épagneul rallient sains et saufs l’arrivée. Le premier gagne l’étape sans que le second –heureux de se racheter une virginité à bon compte- ne lui ait vraiment disputé.
Curieuse relation que celle qui unit ces deux surdoués, très au-dessus du lot. C’est à celui qui dira sur l’autre le plus d'amabilités. Seul Andy est digne d’Albert, et seul Albert est digne d’Andy. Dans ce système, le vaincu n’est jamais défait, car il se donne l’illusion d’être le pendant de l’autre. C’est tout le piège dans lequel est tombé le cadet des Schleck – peut-être plus doué que son rival, pourtant. Son orgueil leurré se satisfait d’être l’égal du champion espagnol –dans l’esprit seulement, car sur le papier, il lui manque huit secondes. Celles-là même, ironie de l’histoire, que Contador a eu l’astuce de grapiller sur le dos de Vinokourov dans la montée de Mende.
Demain, retour sur terre et sprint royal sur le quai Louis XVIII.
A moins d’une fantaisie imprévue de ses auteurs, ce Tour est bientôt mûr. Il est prêt à quitter les départementales pour prendre place dans les bibliothèques sous la forme d’un beau livre aux éditions Calmann-Lévy.
La Radioshack profite du jour de repos pour rendre hommage au réalisateur taïwanais Ang Lee.
Pascal d’Huez, depuis la ferme du Soulan, Saint-Lary.
A midi, sitôt sonnés les trois coups, un groupe de volontaires se porte à l’avant, sans crainte de la redite. La Cofidis, seule laissée pour compte du triomphe frenchy, envoie Pauriol s’endetter en compagnie d’une poignée de coureurs démobilisés, tandis que -première bizarrerie- à l’approche de Marie-Blanque, les prétendants au challenge du meilleur grimpeur n’essaient même pas de s’affronter. On redescend dans la vallée, visages renfrognés, car la pluie fait sortir les imperméables et affligent les sponsors, momentanément frappés d’invisibilité.
Comme il est du genre idéaliste, votre bien-aimé serviteur se dit qu’Andy Schleck –qui a promis de lâcher les chevaux- attaquera peut-être dès le Soulor. Prévoyant, il s’arme de pains au chocolat et de liqueur de myrte.
Quinze heures. L’échappée fait bâiller le peloton, à peine dérangé par le franchissement hors des clous d’un troupeau de brebis. Pendant ce temps, intercalé, Carlos Sastre s’offre un rendez-vous galant avec le vent. Grand numéro de chasse-patates façon Parmentier. C’est alors que la retransmission se complique. Le brouillard transforme l’horizon en un au-delà illuminé, qui fait presque mal aux yeux et réduit les coureurs à de simples silhouettes. Serait-ce déjà le fameux bout du tunnel que décrivent les rescapés d’une near death experience ? Pour un peu, on croirait que le peloton entier a basculé sur l’autre rive et que nous sommes morts avec lui.
Au cours du mince répit qui sépare Soulor et Tourmalet, les hommes de Bjarne Riis se présentent enfin à la proue du navire, mais peinent à donner l’illusion qu’un coup de Trafalgar se prépare (Cancellara décroche à vingt bornes !), ou qu’un cyclone est en formation, propre à jeter dans le précipice cette Astana, pourtant pas impériale. Et la bataille du maillot à pois qu’on annonçait homérique ? Finie. Pliée. Moreau traîne dans les bas-fonds. Stratégie ? Pense-t-il attaquer dans la vallée de Chevreuse en août ?
A dix kilomètres du sommet, dans le money time de ce millésime 2010, la caméra nous permet d’observer les traits des principaux protagos, que la pluie a débarrassé de leurs ray-bans. Le masque de Contador présente des traits concentrés, précis, sourcilleux, quand Schleck est gracile, léger, lointain. Ni l’un ni l’autre ne semble morfler.
Le Lux Supérior le répète depuis Morzine : il a un plan. Celui-ci, hélas, a été écrit par un enfant de quatre ans. Sous la banderole des dix kilomètres, au moment où l’univers entier s’y attend, il s’éloigne du groupe des leaders plus qu’il n’attaque. Contador prend sa roue aussitôt, comme un diable sur ressort que Schleck déclencherait mécaniquement. Cent mètres derrière, nos seconds couteaux s’emploient à rester à leur place. Ils s’appellent Sans Chaise, Manchoff, Rodrigo. Ce sont d’excellents coureurs, mais aussi de bons philosophes qui savent se contenter de ce qu’ils ont et ne veulent pas d’histoires. Le démarrage des deux cadors leur enlève du pied l’épine Ambiguité.
Nous voilà dans la pente, menant grand train. L’Andiche, toujours devant, n’amuse pas la galerie, tient son rang, mais, comme d’habitude, manque de ruse, de rouerie. Sa stratégie consiste à faire croire qu’il est bien, et à l’être vraiment. Alberto, secoué mais jamais inquiet, s’échine à tourner les jambes et compte les kilomètres. Bien élevé, il évite de bâiller pour ne pas se mettre davantage le public à dos, lui qui se fait siffler depuis trois jours parce qu’il a voulu faire un peu la course. Il tentera même une attaque, à trois bornes de l’arrivée. Incisive et punchy. On l’imagine alors fermer net le clapet du blondinet et aller seul inscrire la barre au second T de Tourmalet.
Le trou est fait, on croit Schleck perdu. C’est mal juger le fils à Johnny, qui ne s’en laisse pas compter et revient dans la roue de son rival à toute berzingue, montrant au passage des aptitudes qui laissent à penser qu’avec un peu plus d’audace dans les Alpes, comme à Bonascre, il aurait pu franchir le palier qui sépare le coureur de grande classe de l’authentique champion. Au milieu d’une foule incroyable, effrayante et carnavalesque, où l’on montre désormais ses fesses sans souci du Président de la République qui rôde, le lévrier et l’épagneul rallient sains et saufs l’arrivée. Le premier gagne l’étape sans que le second –heureux de se racheter une virginité à bon compte- ne lui ait vraiment disputé.
Curieuse relation que celle qui unit ces deux surdoués, très au-dessus du lot. C’est à celui qui dira sur l’autre le plus d'amabilités. Seul Andy est digne d’Albert, et seul Albert est digne d’Andy. Dans ce système, le vaincu n’est jamais défait, car il se donne l’illusion d’être le pendant de l’autre. C’est tout le piège dans lequel est tombé le cadet des Schleck – peut-être plus doué que son rival, pourtant. Son orgueil leurré se satisfait d’être l’égal du champion espagnol –dans l’esprit seulement, car sur le papier, il lui manque huit secondes. Celles-là même, ironie de l’histoire, que Contador a eu l’astuce de grapiller sur le dos de Vinokourov dans la montée de Mende.
Demain, retour sur terre et sprint royal sur le quai Louis XVIII.
A moins d’une fantaisie imprévue de ses auteurs, ce Tour est bientôt mûr. Il est prêt à quitter les départementales pour prendre place dans les bibliothèques sous la forme d’un beau livre aux éditions Calmann-Lévy.
La Radioshack profite du jour de repos pour rendre hommage au réalisateur taïwanais Ang Lee.
Pascal d’Huez, depuis la ferme du Soulan, Saint-Lary.
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