MODES & TRAVAUX
10.7.10
Tandis que nous abordons cet après-midi les contreforts des Alpes, n’est-il pas temps de faire un point sur la mode cycliste et sa collection été, proposée cette année par notre peloton chéri ?
L’évolution des maillots mériterait un ouvrage. On y verrait que la raccourcissement d’une manche, le passage d’un bleu à un autre, plus ou moins saturé, décrivent l’humeur d’une époque, annoncent la mutation d’une société, ne sont jamais fortuits. Le Tour de France a son goût, son élégance, et si ses podiums ne sont pas faits pour qu’on y déambule en démarches chaloupées, on aime cependant y être vu sous son meilleur jour, dans une tenue qui en jette.
Abordons la question sous l’angle statistique.
Cette année, avec une hégémonie qui va s’acroissant, le bleu l’emporte, présent treize fois sur vingt-deux. Le rouge, qu’on croyait mieux représenté, arrive six fois, à égalité avec le noir, curieusement tendance, puisqu’il est sensé, je crois, retenir la chaleur. La domination de Renault-Gitane est bel et bien terminée puisque le jaune –à quelques citations près chez Astana et Columbia- n’existe plus. De même que le vert, propriété exclusive de Liquigas. Faut-il y voir une volonté de ne pas confondre ses couleurs avec celles des maillots distinctifs ? Sans doute. Et cela prouve encore la toute-puissance du Tour qui, contre vingt jours de course, décide des couleurs portées toute une saison. L’orange est rare, souvent le fait d’un particularisme (Basques d’Euskaltel, Oranje de la Rabo), le gris fait son trou, le rose est cantonné aux manches, et le blanc – qui n’est pas une couleur- se fourre partout où l’on a pas eu d’idées.
On peut tenter de classer les maillots par genre.
A commencer par l’uniforme, le monochromatique. Cofidis ayant abandonné le total look rouge, on ne trouve plus, dans cette catégorie, que l’orange d’Euskaltel, l’un des maillots ayant subi le moins d’évolution en bientôt dix ans d’existence.
Viennent ensuite le style bicolore, qu’on rencontre chez trois équipes nouvelles. L’observation en dit long sur la tendance du moment au dépouillement. Sky, à la fois iconoclaste (la charte noir/ bleu fluo, totalement inédite en vélo) et classique (nom de la marque sur fond uni rectangulaire, porté haut sur la poitrine, façon Molteni, Raleigh…), Radioshack (avertissement pour le choix de ce gris sans attrait), et BMC, en rouge et noir, chahuté de quelques effets déstructurés. Lorgnant elle aussi sur l’épure des tenues 70, Quick Step élague chaque année, et rentrera vite, si elle persévère, dans la catégorie bi.
Vient le maillot « à motifs » (Ag2r, le très chic jacquard Garmin, et, rigolo mais moins réussi, le lait Milram et ses taches bleu bovines)
Puis le rectangulaire. Au logo centré. D’un classicisme un peu vieux jeu. Astana, Caisse d’Epargne, Lampre, Omega Pharma. Idem pour la FDJ, qui en cessant d’être Française des Jeux a abandonné les fioritures. Bien vu de la part du pragmatique Marc Madiot. Un quasi maillot du meilleur jeune pour toute l’équipe, du départ à l’arrivée. Gare cependant au léger dégradé perceptible dans le logo (la remarque vaut aussi pour Saxo), dégradé rarement maîtrisé, qui nous renvoie aux heures les plus sombres du sport cycliste, au cœur des années EPO, quand les textiles dernier cri permettaient les pires nuances.
Autre genre, tendance de la saison dernière toujours en vogue, le maillot anatomique, conçu pour souligner la plastique parfaite des athlètes, telle l’armure d’un légionnaire. C’était le cas de CSC, qui a laissé tomber le concept en passant Saxo. C’est le cas aujourd’hui de HTC-Columbia et de Cervélo, lesquels ont malheureusement préféré passer à une casaque claire, d’une facture plus morne, ceci dans le sombre dessein d’éviter les coups de chaud.
Arrivent enfin les chemises aux effets cinétiques. Les courbes audacieuses et modernes. Chez Bouygues, par exemple, où le profil d’un derrière féminin parcourt le champion du foie à la jugulaire, chez Liquigas, où bleu et blanc combattent en se lançant des flammes. Chez Rabobank, où le trait se raffine au point d’évoquer les dessins du compatriote Mondrian à ses débuts. Un Mondrian décidément coqueluche des rouleurs puisque –faut-il le rappeler ?- c’est celui, plus âgé, des compositions abstraites qui avait inspiré l’innovant maillot La Vie Claire des années 84-87.
Sous l’influence romantique et torturée d’un Soutine, effet de courbe carabinée mais réussie chez les Russes Katioucha. Palette sobre, élégante.
Pour conclure, nous donnerons une note belle et juste à cette collection 2010. Maillots variés, peloton bien mieux équilibré qu’il y a dix ou vingt ans, à condition de veiller à bien se mélanger entre coureurs. J’insiste là-dessus à destination des équipes de sprinteurs qui ont parfois tendance à se rassembler pour donner la chasse, sans se soucier de l’harmonie globale de la troupe.
L’excellent niveau de certaines propositions (Ag2R bien sûr, avec ses haricots à la Viallat et son hommage subtil à Support/surface) mériterait même qu’on décerne pour le première fois la moyenne. Hélàs, cent-quatre-vingt-dix huit fois hélàs, une vilaine faute de goût nous en empêche, car si l’épreuve compte cette année quelques maillots qu’on serait fier d’arborer lors d’un premier rendez-vous, elle renferme aussi le maillot le plus épouvantable aperçu sur les routes depuis le retrait de l’équipe Kelme. Il s’agit –les reconnaisseurs l’auront reconnu- de celui de la brave équipe Footon. Avec son accord difficile réglisse et caramel. Mouche et mélasse.
Bien sûr, on ne choisit pas son sponsor, et c’est la faute à pas de chance si Footon, qui ambitionne de devenir le leader de la semelle orthopédique, s’intéresse soudain au vélo, mais quand même… avoir une énorme empreinte de pied sur le torse, voilà qui n’encourage pas à se montrer. D’ailleurs, est-ce un hasard si les coureurs Footon se sont jusqu’à présent montrés fort discrets ? La honte du maillot ne constitue-t-elle pas un frein plus puissant que le pourcentage de la pente ?
J’en étais là de mes réflexions quand hier soir, en cherchant une place de parking où dormir, je croise l’un des membres de l’équipe du pied, de retour de décrassage. Honteux d’être vu à découvert, il part aussitôt dans le fossé. Je sors de mon véhicule pour le ramasser. Mais arrivé devant lui, je m’arrête net, et repars en vitesse, écoeuré. Le pauvre gars, affalé sur le dos, évoquait de façon frappante une matière molle dans laquelle un bienheureux aurait marché.
Pascal d’Huez, depuis le Copacabana Bar, rue de Soicy, à Gueugnon.
NB. Les maillots ci-dessus proviennent de l'excellent site memoire-du-cyclisme.net. Vous pourrez y dénicher de nombreuses autres tenues, oubliées ou encore à venir, à l'exemple de l'équipe ukrainienne Amore & Vita. Merci Mémoire.
L’évolution des maillots mériterait un ouvrage. On y verrait que la raccourcissement d’une manche, le passage d’un bleu à un autre, plus ou moins saturé, décrivent l’humeur d’une époque, annoncent la mutation d’une société, ne sont jamais fortuits. Le Tour de France a son goût, son élégance, et si ses podiums ne sont pas faits pour qu’on y déambule en démarches chaloupées, on aime cependant y être vu sous son meilleur jour, dans une tenue qui en jette.
Abordons la question sous l’angle statistique.
Cette année, avec une hégémonie qui va s’acroissant, le bleu l’emporte, présent treize fois sur vingt-deux. Le rouge, qu’on croyait mieux représenté, arrive six fois, à égalité avec le noir, curieusement tendance, puisqu’il est sensé, je crois, retenir la chaleur. La domination de Renault-Gitane est bel et bien terminée puisque le jaune –à quelques citations près chez Astana et Columbia- n’existe plus. De même que le vert, propriété exclusive de Liquigas. Faut-il y voir une volonté de ne pas confondre ses couleurs avec celles des maillots distinctifs ? Sans doute. Et cela prouve encore la toute-puissance du Tour qui, contre vingt jours de course, décide des couleurs portées toute une saison. L’orange est rare, souvent le fait d’un particularisme (Basques d’Euskaltel, Oranje de la Rabo), le gris fait son trou, le rose est cantonné aux manches, et le blanc – qui n’est pas une couleur- se fourre partout où l’on a pas eu d’idées.
On peut tenter de classer les maillots par genre.
A commencer par l’uniforme, le monochromatique. Cofidis ayant abandonné le total look rouge, on ne trouve plus, dans cette catégorie, que l’orange d’Euskaltel, l’un des maillots ayant subi le moins d’évolution en bientôt dix ans d’existence.
Viennent ensuite le style bicolore, qu’on rencontre chez trois équipes nouvelles. L’observation en dit long sur la tendance du moment au dépouillement. Sky, à la fois iconoclaste (la charte noir/ bleu fluo, totalement inédite en vélo) et classique (nom de la marque sur fond uni rectangulaire, porté haut sur la poitrine, façon Molteni, Raleigh…), Radioshack (avertissement pour le choix de ce gris sans attrait), et BMC, en rouge et noir, chahuté de quelques effets déstructurés. Lorgnant elle aussi sur l’épure des tenues 70, Quick Step élague chaque année, et rentrera vite, si elle persévère, dans la catégorie bi.
Vient le maillot « à motifs » (Ag2r, le très chic jacquard Garmin, et, rigolo mais moins réussi, le lait Milram et ses taches bleu bovines)
Puis le rectangulaire. Au logo centré. D’un classicisme un peu vieux jeu. Astana, Caisse d’Epargne, Lampre, Omega Pharma. Idem pour la FDJ, qui en cessant d’être Française des Jeux a abandonné les fioritures. Bien vu de la part du pragmatique Marc Madiot. Un quasi maillot du meilleur jeune pour toute l’équipe, du départ à l’arrivée. Gare cependant au léger dégradé perceptible dans le logo (la remarque vaut aussi pour Saxo), dégradé rarement maîtrisé, qui nous renvoie aux heures les plus sombres du sport cycliste, au cœur des années EPO, quand les textiles dernier cri permettaient les pires nuances.
Autre genre, tendance de la saison dernière toujours en vogue, le maillot anatomique, conçu pour souligner la plastique parfaite des athlètes, telle l’armure d’un légionnaire. C’était le cas de CSC, qui a laissé tomber le concept en passant Saxo. C’est le cas aujourd’hui de HTC-Columbia et de Cervélo, lesquels ont malheureusement préféré passer à une casaque claire, d’une facture plus morne, ceci dans le sombre dessein d’éviter les coups de chaud.
Arrivent enfin les chemises aux effets cinétiques. Les courbes audacieuses et modernes. Chez Bouygues, par exemple, où le profil d’un derrière féminin parcourt le champion du foie à la jugulaire, chez Liquigas, où bleu et blanc combattent en se lançant des flammes. Chez Rabobank, où le trait se raffine au point d’évoquer les dessins du compatriote Mondrian à ses débuts. Un Mondrian décidément coqueluche des rouleurs puisque –faut-il le rappeler ?- c’est celui, plus âgé, des compositions abstraites qui avait inspiré l’innovant maillot La Vie Claire des années 84-87.
Sous l’influence romantique et torturée d’un Soutine, effet de courbe carabinée mais réussie chez les Russes Katioucha. Palette sobre, élégante.
Pour conclure, nous donnerons une note belle et juste à cette collection 2010. Maillots variés, peloton bien mieux équilibré qu’il y a dix ou vingt ans, à condition de veiller à bien se mélanger entre coureurs. J’insiste là-dessus à destination des équipes de sprinteurs qui ont parfois tendance à se rassembler pour donner la chasse, sans se soucier de l’harmonie globale de la troupe.
L’excellent niveau de certaines propositions (Ag2R bien sûr, avec ses haricots à la Viallat et son hommage subtil à Support/surface) mériterait même qu’on décerne pour le première fois la moyenne. Hélàs, cent-quatre-vingt-dix huit fois hélàs, une vilaine faute de goût nous en empêche, car si l’épreuve compte cette année quelques maillots qu’on serait fier d’arborer lors d’un premier rendez-vous, elle renferme aussi le maillot le plus épouvantable aperçu sur les routes depuis le retrait de l’équipe Kelme. Il s’agit –les reconnaisseurs l’auront reconnu- de celui de la brave équipe Footon. Avec son accord difficile réglisse et caramel. Mouche et mélasse.
Bien sûr, on ne choisit pas son sponsor, et c’est la faute à pas de chance si Footon, qui ambitionne de devenir le leader de la semelle orthopédique, s’intéresse soudain au vélo, mais quand même… avoir une énorme empreinte de pied sur le torse, voilà qui n’encourage pas à se montrer. D’ailleurs, est-ce un hasard si les coureurs Footon se sont jusqu’à présent montrés fort discrets ? La honte du maillot ne constitue-t-elle pas un frein plus puissant que le pourcentage de la pente ?
J’en étais là de mes réflexions quand hier soir, en cherchant une place de parking où dormir, je croise l’un des membres de l’équipe du pied, de retour de décrassage. Honteux d’être vu à découvert, il part aussitôt dans le fossé. Je sors de mon véhicule pour le ramasser. Mais arrivé devant lui, je m’arrête net, et repars en vitesse, écoeuré. Le pauvre gars, affalé sur le dos, évoquait de façon frappante une matière molle dans laquelle un bienheureux aurait marché.
Pascal d’Huez, depuis le Copacabana Bar, rue de Soicy, à Gueugnon.
NB. Les maillots ci-dessus proviennent de l'excellent site memoire-du-cyclisme.net. Vous pourrez y dénicher de nombreuses autres tenues, oubliées ou encore à venir, à l'exemple de l'équipe ukrainienne Amore & Vita. Merci Mémoire.
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