LA GAGNE
25.7.10
On avait peut-être un peu rapidement pris Andy Schleck pour une bille.
C’en est une, pourtant. Mais qui roule vite, on ne peut pas lui enlever ça.
En ayant repris du temps sur le maillot jaune au premier pointage, le Lux a soudain fait briller les yeux. L’épopée, la vraie, celle qui n’a plus trop pointé son nez depuis un certain dimanche adolescent de 1989, allait-elle revêtir de son manteau de gloire les deux héros ? Allions-nous vivre une journée comme on n’en connaîtrait plus pendant cent mille ans ? Pourrions-nous dire à nos petits-enfants : ce jour-là, le monde a tremblé, et moi, pépé Pascal qui vous parle, j’étais devant ma télé ?
Hélas, comme trop souvent, le temps de s’enthousiasmer un peu, il était déjà l’heure de se rhabiller. Andy avait tout donné dès les premiers kilomètres, puis, sans jamais craquer cependant, il est rentré dans le rang. Le second.
Ce samedi, bien que carbonisés, les cent-soixante-dix survivants du raout de juillet doivent sacrifier au contre-la-montre, tradition momentanément délaissée l’an dernier au profit de l'escalade du Mont Ventoux.
A leur intention, la Pêche et le Prude ont tracé le long de la Garonne un trait sec comme un coup de rouge. Challenge ultime pour les coureurs, à quelques coups de pédales de Paris : résister à l'appel des barons du Médoc viticole, qui ont ouvert grand leurs portes, tandis que le vent charrie sur le parcours des odeurs de fruits rouges et de barriques. « C’est sûr, on va déguster », prophétisait hier soir Christophe Moreau, à qui on avait fait miroiter la visite d’une cave après la course. L’eau à la bouche, il ne croyait pas si bien dire.
L'étape a de l'enjeu, elle est riche en tannins. Il s’agit ni plus ni moins d’apporter le verdict définitif à trois semaines d’enquête, en désignant soit le brun, soit le blond, et ceci –hélas pour le second de ces messieurs- sans recourir au vote du public.
Relégué loin au général, le cavaleur suisse Fabian Cancellara part en fin de matinée, sûr de lui au point d’avoir préféré rester au lit plus longtemps, plutôt que d’aller reconnaître le parcours. Jolie preuve -à destination des enfants- qu’une paresse bien écoutée peut mener loin.
En moins d’une heure, il refait la ligne blanche et prend la tête du classement provisoire.
Débute alors pour lui, une longue attente, à regarder passer le défilé des éclopés, des battus, des qui n’y sont plus…
David Millar, Cadel, Lance, profitent de leur nouvel anonymat. Ils se traînent comme des patachons, rois fainéants qui donnent l’impression d’arriver plus gras qu’ils n’étaient partis.
A 15h57 exactement, Andy, sa demi-heure de home-trainer achevée, s’élance.
Trois minutes après lui, Contador ne répète pas l’erreur de son aîné Delgado et se présente à l’heure sur le ponton d'embarcation.
On espère au moins vibrer un quart d'heure.
Et justement, dès Bruges (km10), surprise. Non seulement, l’Alcool de Riis ne s’est pas évaporé, mais il a repris du temps sur le diable de Pinto. On annonce des chiffres incroyables. Cinq, puis quatre, et même le noble chiffre deux. Soit l’écart infime séparant soudain l’Andiche de l’Alberche au général.
La route devient floue et se met à tanguer. On se hisse sur la pointe des pieds pour voir passer les deux coureurs encore en course, encouragés au mégaphone par leur directeur respectif, au volant de la voiture suiveuse.
Les questions des internautes affolés saturent les forums. Et que se passera-t-il si les deux hommes arrivent dans la même seconde ? Aurons-nous recours aux tirs au but ?
Penaud, on se met à regretter les saloperies prononcées sur le garçon du Grand-Duché ces derniers jours. Se serait-on fourvoyé ? Y avait-il sous ce sourire tendre un stratège hors-pair, allant jusqu’à masquer sa force dans le contre-la-montre sous le masque foireux d’une contre-performance volontaire au prologue ?
Après quinze kilomètres, on raconte dans le Haut Médoc que le cadet des Schleck est maillot jaune virtuel. Les jambes d’Albert tournent ovale. Des spectateurs l’auraient vu zig-zaguer. Serait-ce le grand soir ?
Schleck joue son va-tout dans son maillot essuie-tout. Les souvenirs d’un Morzine, pris à la légère, d’un Ax-3 domaines, snobé, s’accumulent. Une dent au-dessus de son rival, il tourne les jambes comme un miraculé de Lourdes.
Le réaliste Madrilène doute.
C’est alors, -au moment précis où le vent a semblé tourner en sa défaveur,- que, sentant la défaite poindre, Contador, fait valoir son véto d’immense champion.
Au pied du mur, sous son casque profilé, il respire un grand coup et affronte le mascaret. Il passe à l’attaque. Ses fesses sautillent tous les quatre coups de pédales pour mieux se recaler sur sa selle, - qu'on dit adhésive pourtant, tandis que le grand Andy, injustement lésé par la règle, peine à s’allonger sur sa monture.
Insensiblement, le grand Saxo baisse la grand voile. Kilomètre après kilomètre, il lâche prise.
A dix bornes de Pauillac, les dés couleur lie de vin sont jetés.
Alberto remporte la partie, même s’il est le premier surpris par tant d’indulgence, et que d’aucuns pourront considérer que c’est Andy, plutôt, qui l'a perdue.
La grande Boucle, jolie, superbe par endroits (le déboulé solitaire et désespéré de Samuel Sanchez vers Saint-Jean de Maurienne) laisse une impression étrange. L’amateur se retrouve dans la peau de la jeune femme invitée au bal puis, au bout d'une nuit de baratin effreiné, raccompagnée au taxi.
C’était presque.
Andy nous a chauffé sans jamais parvenir à conclure. Alberto –on le saura bientôt- a gagné sans être au mieux, comme un Federer, comme un Nadal.
Les spécialistes abondent en réconfort pour le Meilleur Jeune de l’épreuve en annonçant qu’il « nous donne rendez-vous pour l’année prochaine ». La belle affaire.
Qui sait ce qui attend l’Andy ?
Qui sait s’il aura encore les jambes ?
Qui sait, surtout, s’il ne tombera pas en amour pour une Lombarde cruelle rencontrée sur Tirreno-Adriatico ?
Pascal d’Huez, depuis la rangée 134, parcelle H65, vignoble du coup fourré, Pauillac.
C’en est une, pourtant. Mais qui roule vite, on ne peut pas lui enlever ça.
En ayant repris du temps sur le maillot jaune au premier pointage, le Lux a soudain fait briller les yeux. L’épopée, la vraie, celle qui n’a plus trop pointé son nez depuis un certain dimanche adolescent de 1989, allait-elle revêtir de son manteau de gloire les deux héros ? Allions-nous vivre une journée comme on n’en connaîtrait plus pendant cent mille ans ? Pourrions-nous dire à nos petits-enfants : ce jour-là, le monde a tremblé, et moi, pépé Pascal qui vous parle, j’étais devant ma télé ?
Hélas, comme trop souvent, le temps de s’enthousiasmer un peu, il était déjà l’heure de se rhabiller. Andy avait tout donné dès les premiers kilomètres, puis, sans jamais craquer cependant, il est rentré dans le rang. Le second.
Ce samedi, bien que carbonisés, les cent-soixante-dix survivants du raout de juillet doivent sacrifier au contre-la-montre, tradition momentanément délaissée l’an dernier au profit de l'escalade du Mont Ventoux.
A leur intention, la Pêche et le Prude ont tracé le long de la Garonne un trait sec comme un coup de rouge. Challenge ultime pour les coureurs, à quelques coups de pédales de Paris : résister à l'appel des barons du Médoc viticole, qui ont ouvert grand leurs portes, tandis que le vent charrie sur le parcours des odeurs de fruits rouges et de barriques. « C’est sûr, on va déguster », prophétisait hier soir Christophe Moreau, à qui on avait fait miroiter la visite d’une cave après la course. L’eau à la bouche, il ne croyait pas si bien dire.
L'étape a de l'enjeu, elle est riche en tannins. Il s’agit ni plus ni moins d’apporter le verdict définitif à trois semaines d’enquête, en désignant soit le brun, soit le blond, et ceci –hélas pour le second de ces messieurs- sans recourir au vote du public.
Relégué loin au général, le cavaleur suisse Fabian Cancellara part en fin de matinée, sûr de lui au point d’avoir préféré rester au lit plus longtemps, plutôt que d’aller reconnaître le parcours. Jolie preuve -à destination des enfants- qu’une paresse bien écoutée peut mener loin.
En moins d’une heure, il refait la ligne blanche et prend la tête du classement provisoire.
Débute alors pour lui, une longue attente, à regarder passer le défilé des éclopés, des battus, des qui n’y sont plus…
David Millar, Cadel, Lance, profitent de leur nouvel anonymat. Ils se traînent comme des patachons, rois fainéants qui donnent l’impression d’arriver plus gras qu’ils n’étaient partis.
A 15h57 exactement, Andy, sa demi-heure de home-trainer achevée, s’élance.
Trois minutes après lui, Contador ne répète pas l’erreur de son aîné Delgado et se présente à l’heure sur le ponton d'embarcation.
On espère au moins vibrer un quart d'heure.
Et justement, dès Bruges (km10), surprise. Non seulement, l’Alcool de Riis ne s’est pas évaporé, mais il a repris du temps sur le diable de Pinto. On annonce des chiffres incroyables. Cinq, puis quatre, et même le noble chiffre deux. Soit l’écart infime séparant soudain l’Andiche de l’Alberche au général.
La route devient floue et se met à tanguer. On se hisse sur la pointe des pieds pour voir passer les deux coureurs encore en course, encouragés au mégaphone par leur directeur respectif, au volant de la voiture suiveuse.
Les questions des internautes affolés saturent les forums. Et que se passera-t-il si les deux hommes arrivent dans la même seconde ? Aurons-nous recours aux tirs au but ?
Penaud, on se met à regretter les saloperies prononcées sur le garçon du Grand-Duché ces derniers jours. Se serait-on fourvoyé ? Y avait-il sous ce sourire tendre un stratège hors-pair, allant jusqu’à masquer sa force dans le contre-la-montre sous le masque foireux d’une contre-performance volontaire au prologue ?
Après quinze kilomètres, on raconte dans le Haut Médoc que le cadet des Schleck est maillot jaune virtuel. Les jambes d’Albert tournent ovale. Des spectateurs l’auraient vu zig-zaguer. Serait-ce le grand soir ?
Schleck joue son va-tout dans son maillot essuie-tout. Les souvenirs d’un Morzine, pris à la légère, d’un Ax-3 domaines, snobé, s’accumulent. Une dent au-dessus de son rival, il tourne les jambes comme un miraculé de Lourdes.
Le réaliste Madrilène doute.
C’est alors, -au moment précis où le vent a semblé tourner en sa défaveur,- que, sentant la défaite poindre, Contador, fait valoir son véto d’immense champion.
Au pied du mur, sous son casque profilé, il respire un grand coup et affronte le mascaret. Il passe à l’attaque. Ses fesses sautillent tous les quatre coups de pédales pour mieux se recaler sur sa selle, - qu'on dit adhésive pourtant, tandis que le grand Andy, injustement lésé par la règle, peine à s’allonger sur sa monture.
Insensiblement, le grand Saxo baisse la grand voile. Kilomètre après kilomètre, il lâche prise.
A dix bornes de Pauillac, les dés couleur lie de vin sont jetés.
Alberto remporte la partie, même s’il est le premier surpris par tant d’indulgence, et que d’aucuns pourront considérer que c’est Andy, plutôt, qui l'a perdue.
La grande Boucle, jolie, superbe par endroits (le déboulé solitaire et désespéré de Samuel Sanchez vers Saint-Jean de Maurienne) laisse une impression étrange. L’amateur se retrouve dans la peau de la jeune femme invitée au bal puis, au bout d'une nuit de baratin effreiné, raccompagnée au taxi.
C’était presque.
Andy nous a chauffé sans jamais parvenir à conclure. Alberto –on le saura bientôt- a gagné sans être au mieux, comme un Federer, comme un Nadal.
Les spécialistes abondent en réconfort pour le Meilleur Jeune de l’épreuve en annonçant qu’il « nous donne rendez-vous pour l’année prochaine ». La belle affaire.
Qui sait ce qui attend l’Andy ?
Qui sait s’il aura encore les jambes ?
Qui sait, surtout, s’il ne tombera pas en amour pour une Lombarde cruelle rencontrée sur Tirreno-Adriatico ?
Pascal d’Huez, depuis la rangée 134, parcelle H65, vignoble du coup fourré, Pauillac.
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