L’OREILLE CASSÉE
14.7.09
Il se passe toujours quelque chose sur le Tour de France, quand bien même il ne s’y passe rien. C’est ce qui doit réconforter son directeur, ce soir. Aujourd’hui, par exemple, quatre échappés s’éloignent. Le peloton les rattrape. Cavendish gagne. Rien de plus prévisible, et pourtant la légende s’écrit. On retrouvera demain nos journaux naturellement tout noircis. Comme la rosée du matin.
Les directeurs sportifs, en majorité contre la suppression de l’oreillette qui les relie à leurs poulains, ont choisi de rendre ce trajet Limoges-Issoudun lénifiant au possible, afin de tuer dans l’œuf toute tentative de poursuivre l’expérience d’isolation sensorielle à laquelle ASO et l’UCI -devenus copains comme cochons,- les conviaient. Un petit arrangement qui, après le franchissement des Pyrénées par l’autoroute, leur octroyait, mine de rien, une quatrième journée de repos consécutive, singularité scénaristique qui pourrait avoir son importance dans quelques jours, quand certains moribonds de la première semaine se seront refait la cerise.
Comme c’était prévisible, les coureurs ont boudé l’invitation au panache imposée par les commissaires. Peuple de têtes de mules, le peloton nous a souvent habitués à ne pas se laisser faire, et l’on observera qu'au fond, son mouvement d’humeur ne visait pas tant la question de l’oreillette que les manières autoritaires de la direction.
Même si l’intention est bonne, Prudhomme tend à sombrer dans la nostalgite et l’idéologie. L’idée que la transmission radio pourrit la course, ne vient-elle pas du même café-tabac où l’on raconte en mangeant une quiche industrielle devant Secret Story que la télé a tué l’intelligence et le micro-ondes les saveurs ? Ne se souvient-il pas que le Tour a autrefois connu des boycotts mémorables, et que les dessins de Pellos se sont souvent moqués du manque d’ardeur au combat des adversaires d’Anquetil ?... Et les fous assauts de Vinokourov ? L’échappée folle de Pereiro sur la route de Montélimar ? Conséquences heureuses de friture sur la ligne ?
C’est le cœur des hommes et celui du monde que l’idéaliste Christian Proudhon voudrait changer, rêvant d’un Tour de France qui ne serait la propriété de personne, sinon des audacieux.
Mais alors, pourquoi n’y aurait-il que les coureurs à qui l’on demanderait d’être romantiques ? On comprend leur lassitude à toujours se retrouver de corvée. Le contrôle est partout, et voilà que ce sont eux, et eux seuls, qu’on envoie à l’aveuglette se casser les pattes sur des sentiers coupés du monde ! Que le présentateur commence par se passer de son prompteur, le journaliste de ses fiches, et que l’organisateur du Tour offre des arrivées à des villes qui ne présentent aucune garantie. Mort au calcul.
Solidaire de mes amis les champions, j’avais décidé, pour ma part, de couper mon téléphone cellulaire toute la journée.
Je le rallume à l’instant.
Deux messages.
Le premier, daté de midi, me vient de Vanilla, l’hôtesse brésilo-suèdoise du prix de la non-combativité patronné par les sucettes Chuppa.
Elle me propose un verre, après la remise des maillots. Un cocktail au gingembre à l’Île déserte, un restaurant feutré du vieil Issoudun.
Le second, reçu à 19h, vient de la même Vanilla.
Laconique, elle me signale qu’il est inutile de répondre car elle est partie au bal des pompiers avec les Columbia. Elle ajoute qu’elle a donné mon numéro à un certain Bernard Hinault, lequel, paraît-il, me cherche afin de me donner de ses nouvelles.
Pascal d’Huez, envoyé spécial
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