PAS D'AMOUR CE SOIR
9.7.09

Qu'est-ce donc que les coureurs trouvent à Gérone, cette riche bourgade de Catalogne d’où le Tour s’élançait ce matin, pour être vingt, toutes nationalités confondues, à y avoir installer leur piaule ?
La douceur de l’arrière-saison ? Celle du fisc ? Ou plus certainement, l'omniprésence de l'esprit de Salvador Dali, - éternel voisin de Cadaquès- et grand passionné, on le sait, des épreuves contre-la-montre-molle ?
Dans l'air gris métal de l'inhospitalière Costa Brava, David Milliard, l'homme qui jadis en valait trois, coureur éminément sympathique, se retrouve en tête sur ses terres.
Ayant lâché ses deux frenchies au sortir de la Conreria, il met à contribution pour la deuxième fois en deux jours le fameux théorème de feu Robert Chapatte. Puisque à 10 km du but, l’échappé compte encore 1 minute d'avance, on se dit qu'il a sa chance, d'autant qu'à l'arrière, ça tombe comme à Wallers-Arenberg, au point qu'on se demande s'il se trouvera bientôt suffisamment de coureurs pour former un peloton capable de revenir sur lui. La grande affaire de la première semaine du Tour, on le sait, c'est d’éviter les chutes.
Or, cet après-midi, on naviguait dans la tanière de la gamelle, le fief de la banane. Des routes périlleuses, farcies de lignes blanches sans adhérence, et rendues grasse par le pollen et les hydrocarbures, qui plus est lissées par une pluie froide venue de nulle part, cauchemar des offices de tourisme. Heureusement, la mésaventure arrive à Barcelone, ville habituée à rayonner en Mondovision et reine du sex-appeal. Imaginez qu'il ait fait pareil temps de cochon sur Brignoles, c’en était fait de l’équipe municipale !
A l’arrière donc, dans le tumulte des éclaboussures, la Rabo prend l'eau. Après l'abandon de Gesink, c’est à Ten Dam de découvrir les joies de l'aqua-planning, tandis que Menchov, le gourmand, prend encore une minute dans les dents. C’est une loi des séries digne de la pire des compagnies aériennes. Le manque de confiance en leur propre appareil fait aller les coureurs hollandais tout de traviole. On sent chez eux une envie forte de passer le pilote automatique et d'aller taper la discute aux hôtesses à la première occasion. La tête n'y est plus.
Ah, sa première semaine ! N’est-ce pas finalement ce qui rend le Tour incomparablement plus difficile que Giro et Vuelta ? Stress, vitesse folle, pression et passion, y multiplient les pièges et font péter les plombs mieux qu'ailleurs.
Après cinq jours quasi-caniculaires, la flotte soumet les organismes à rude épreuve. On se souvient alors que la journée de repos n'est que lundi, et, naturellement, les jambes tétanisent dans la montée de Moncouic.
Devant les socios descendus un bref instant du Camp Nou, Millar jette opportunément l'éponge devant la cohorte détrempée des finisseurs. Tout en haut de la bosse, le sprint en puissance du preux Thor, lui permet de se rappeler au souvenir du Cav, moins en vue dès que la route penche.
Mais qu'importe.
Désormais, nos regards tremblant d'effroi se tournent vers la montagne, si loin si proche, qui dresse son sombre profil, en clôture de ce premier chapitre. Les acteurs s’apprêtent à changer, et la plupart des seconds rôles à laisser la lumière aux ténors.
Demain soir, plutôt que les coureurs, il est à souhaiter que ce sont les masques, qui tomberont. Pour le plaisir, encourageons les trépassés à ressusciter, les moribonds à se rebecter, et souhaitons à une nouvelle star de borner (dans le couffin du tandem Kreuziger-Nibali, par exemple). En attendant, pas de méchoui et pas d'amour ce soir. Le chemin qui mène à Paris est encore long, et il est peu probable qu’on assiste à de grands mouvements d’orchestres, à moins que, se sentant décidément très au-dessus du lot et ne sachant pas de quoi demain sera fait, les équipiers Astana décident de faire tomber leur marteau depuis le sommet d'Arcalis.
Pascal d’Huez, envoyé spécial
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