LES FRANGINS PIRELLO
22.7.09
Au camping du Grand-Bornant, où je dors ce soir, les Schleck ont deux fans. Les frangins Gian-Carlo et Luigi Pirello. Comme leurs idoles, eux aussi traversent la montagne chaque été. Non pas pour gagner le Tour, mais pour venir semer désir et confusion dans les cœurs, après s’être entraînés tout l’hiver. Pour ceux qui ont la chance de les observer en action, les Pirello sont portés par le même esprit d’entraide a vita a morte que celui en vigueur chez les jumeaux Saxo. Quand l’un d’eux glisse sur un jeu de mot et prend un râteau, l’autre surgit et le remorque jusque dans la chambre à coucher de la demoiselle, sachant mieux que quiconque vendre les atouts du brother. Et ainsi... continuellement, jusqu’à la deuxième quinzaine de septembre, sans jamais céder à l’individualisme ou à la jalousie, les Pirello enflamment les Aravis, l’un n’hésitant jamais à aller dormir sur le glacier quand l’autre a prévu de faire l’amour sous la tente.
S’ils ne gagnent pas le Tour, les frères Schlecks remporteront cette année encore le Prix de Vertu. Si faciles dans les cols qu’ils donnent l’impression de rentrer de l’école, ils semblent avoir un cartable dans le dos et leur livre d’études à la main. Entre ces deux-là, pas le moindre nuage, la moindre rancœur. Même la gracieuse Shayana Schultz, dénichée par Johan Bruyneel dans un bordel de Hambourg pour infiltrer le staff Saxo Bank en tant que conseillère compte courant, n’est pas parvenue, malgré ses tenues provocantes, à les diviser, ne serait-ce qu’au sujet de la couleur de ses bas.
Siamois du boyau, les frangins du Grand-Duché n’ont jamais rien fait qu’ensemble.
Leurs fiancées, -des filles au teint rose, qui travaillent pour la Croix-Rouge,- sont sœurs elles aussi. Ils se connaissent depuis l’enfance et prévoient de se marier en septembre au cours d’une seule et même cérémonie. Pour le reste, on ne sait qui des deux a le meilleur fond.
Est-ce Andy, qu’il n’est pas rare de voir aider une vieille dame à porter son fagot de brindilles jusqu’au sommet du col ? Ou plutôt Frank ? Incapable de croiser un malheureux sans lui donner un sou, l’aîné des Schleck a coutume de perdre un temps fou dans la traversée des agglomérations.
La vie de chacun ne vaut rien comparée à celle de l’autre. Qu’il échoit un jour à Frank de tomber dans le ravin, et l’on sait qu’Andy gobera aussitôt sa pastille de cyanure. Qu’à l’inverse, Andy défaille dans le Ventoux, et Frank procéderait sans hésitations à l’ablation d’un rein pour l’offrir à son cadet.
On comprend que tant de vertu fasse gerber du côté du saloon Astana, où l’on passe le Tour à se balancer des trempes sans jamais se laver.
Alors qu’Alberto Contador parcourt cette fin d’épreuve avec la gaieté d’un cabri, ses coéquipiers, amers et fourbus, constituent sa seule menace.
Aujourd’hui, une manœuvre étourdie du jeune champion espagnol a fait ruisseler la bave. Echappé dans le dernier col en compagnie des Schleck et de son coéquipier Kloden, Alberto s’est piqué tout à coup d’un désir d’attaque. Trente secondes plus tard, barré par un violent vent de face, il coupait son effort. Les frangins rentraient bras dessus bras dessous et roue dans roue. Mais pas Klodie, caramelisé dans la pente. L’Allemand perdait tout. Possible victoire d’étape et place sur le podium.
Trois minutes plus tard, Levi Leipheimer, retiré du Tour depuis une semaine, twittait avec panache : « Si Klöden rate la troisième place pour deux minutes, on saura où il les a perdues ! ». Ne voulant pas être en reste, à peine assis dans le bus à l’arrière de Contador endormi, le perfide Lance publiait à son tour un message, sous le prétexte de calmer le jeu : « Alberto est le plus fort. Rien à dire. Comme beaucoup, je me demande pourquoi il a attaqué Andreas. Je ne veux pas croire que ce soit volontaire de la part d’un si grand champion. Est-ce le désir de trop bien faire ? La peur de perdre ? Son sens tactique de merde ? Ses jambes de gonzesse ? Je ne sais pas et ne veux rien dire qui puisse le perturber. »
Ce jeudi, dernière explication chronométrée. Les Schleck sont attendus à 16h30 pour un grand bol de chocolat Poulain.
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
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