ILS SONT LOURDS
9.6.07
Je vous écris d'une région du monde où le Tour de France est inconnu. Débarqué il y a six mois à Tashigang, j'ai intégré la communauté du Maharishi Ramana et j’occupe mes journées à la dévotion de la déesse Parvati.
Et quoi ?
Qu’y a-t-il de surprenant à ce que l'ami des champions a fini par fuir l'Europe ? Ici, au moins, croit-on encore en une conception de l'existence qui s'articule par cycles.
Les échos colportés par les immigrants, fanatiques de vélo, qui sont chaque jour plus nombreux à arriver par le train de montagne, m'apprennent que l'épuration se poursuit dans le délire collectif. Autoflagellations et bannissements s'enchaînent selon les règles éculées du vaudeville jésuite. Le public s'est persuadé du bien-fondé de cette croisade contre le dopage, et ne s’intéresse plus qu’au journal des urines, au détriment de la course, roman autrement plus exigeant.
Au lieu de dédier à Danilo Di Luca les poèmes qu’il mérite, journalistes et "défenseurs du cyclisme" pleurnichent et déchirent leurs albums-photos. Les voilà engagés dans une entreprise d'oubli dont ils discutent la date-limite. Leur masochisme les conduira-t-il jusqu'à effacer des tablettes Roger Lapébie, s'il était confirmé qu'il a pris du Pancrinol ?
Dernier salaud à la mode, Bjarne Riis n'est pas cynique lorsqu'il invite Christian Prud'homme à venir chercher le maillot jaune qui dort dans sa cave. Il signifie que son patrimoine n'est pas d'ordre matériel et que les huissiers de la bonne vertu seront bien en peine de lui saisir l'ivresse vécue et offerte à Hautacam.
Qui pense sérieusement, parmi les connaisseurs, que Monsieur 60% est un paresseux ? Que le cyclisme n'est pas toute sa vie ?
Dès lors, à quoi rime cette comédie ?
Bientôt, notre discipline sera tombée dans une telle désuétude que le souvenir d'un coureur allant risquer sa vie pour remporter le Tour provoquera une profonde mélancolie.
Plutôt que d'abonder en morosité, qu'on me permette en cette période d'engagement, de faire le choix de l'espoir et de la rositude, en saluant la victoire de Di Luca au terme d'un beau giro.
Bien qu'affaiblie par un manque de concurrence internationale parmi ses prétendants, cette course grandiose (elle reprenait cette année le trajet de la marche de Garibaldi) révèle à chaque édition des coureurs épatants, à commencer par le bouillonnant Ricco, dont j'aurai l'occasion de reparler.
Qui n'a pas vu Di Luca dans le contre-la-montre de Vérone, moulé dans sa combinaison une-pièce qui le ferait passer pour un ennemi inédit de Spiderman ? Difficile à engluer, Danilo, lorsqu'il s'est mis en tête d'arriver premier. Déclaré inapte à gagner des courses de trois semaines, il est parvenu à déjouer les spécialistes et à s'affranchir de sa destinée par une force de conviction lisible dans cette bouche en ligne droite et ses pommettes volontaires, qu'on dirait enflées par une récente bagarre.
Croqueur d'amour, l'oeil de velours comme une caresse, voici Dani l'amoroso, là-bas dans le noir, qui vient nous divertir en cette saison de plomb, où les afficionados se droguent à l'amertume.
Afin d'acheter les huiles sacrées qui servent à honorer ma déesse, j'emmène chaque après-midi des touristes à bord de mon rickshaw (un taxi-tricycle fort répandu). C'est aujourd'hui un couple de Français qui fait son poids et qui, sans égards pour les temples millénaires qui les dominent, se félicite qu’on ait évincé Bjarne Riis du palmarès du Tour.
Le cyclisme est aux mains d'une bande d'architectes loufoques qui ont cru bon de retirer un parpaing pour percer un puis de lumière, et qui menacent maintenant de faire s’écrouler la baraque.
Restez à l'écoute, il se pourrait que la force des choses m'invite à un retour précipité.
Pascal d'Huez
Et quoi ?
Qu’y a-t-il de surprenant à ce que l'ami des champions a fini par fuir l'Europe ? Ici, au moins, croit-on encore en une conception de l'existence qui s'articule par cycles.
Les échos colportés par les immigrants, fanatiques de vélo, qui sont chaque jour plus nombreux à arriver par le train de montagne, m'apprennent que l'épuration se poursuit dans le délire collectif. Autoflagellations et bannissements s'enchaînent selon les règles éculées du vaudeville jésuite. Le public s'est persuadé du bien-fondé de cette croisade contre le dopage, et ne s’intéresse plus qu’au journal des urines, au détriment de la course, roman autrement plus exigeant.
Au lieu de dédier à Danilo Di Luca les poèmes qu’il mérite, journalistes et "défenseurs du cyclisme" pleurnichent et déchirent leurs albums-photos. Les voilà engagés dans une entreprise d'oubli dont ils discutent la date-limite. Leur masochisme les conduira-t-il jusqu'à effacer des tablettes Roger Lapébie, s'il était confirmé qu'il a pris du Pancrinol ?
Dernier salaud à la mode, Bjarne Riis n'est pas cynique lorsqu'il invite Christian Prud'homme à venir chercher le maillot jaune qui dort dans sa cave. Il signifie que son patrimoine n'est pas d'ordre matériel et que les huissiers de la bonne vertu seront bien en peine de lui saisir l'ivresse vécue et offerte à Hautacam.
Qui pense sérieusement, parmi les connaisseurs, que Monsieur 60% est un paresseux ? Que le cyclisme n'est pas toute sa vie ?
Dès lors, à quoi rime cette comédie ?
Bientôt, notre discipline sera tombée dans une telle désuétude que le souvenir d'un coureur allant risquer sa vie pour remporter le Tour provoquera une profonde mélancolie.
Plutôt que d'abonder en morosité, qu'on me permette en cette période d'engagement, de faire le choix de l'espoir et de la rositude, en saluant la victoire de Di Luca au terme d'un beau giro.
Bien qu'affaiblie par un manque de concurrence internationale parmi ses prétendants, cette course grandiose (elle reprenait cette année le trajet de la marche de Garibaldi) révèle à chaque édition des coureurs épatants, à commencer par le bouillonnant Ricco, dont j'aurai l'occasion de reparler.
Qui n'a pas vu Di Luca dans le contre-la-montre de Vérone, moulé dans sa combinaison une-pièce qui le ferait passer pour un ennemi inédit de Spiderman ? Difficile à engluer, Danilo, lorsqu'il s'est mis en tête d'arriver premier. Déclaré inapte à gagner des courses de trois semaines, il est parvenu à déjouer les spécialistes et à s'affranchir de sa destinée par une force de conviction lisible dans cette bouche en ligne droite et ses pommettes volontaires, qu'on dirait enflées par une récente bagarre.
Croqueur d'amour, l'oeil de velours comme une caresse, voici Dani l'amoroso, là-bas dans le noir, qui vient nous divertir en cette saison de plomb, où les afficionados se droguent à l'amertume.
Afin d'acheter les huiles sacrées qui servent à honorer ma déesse, j'emmène chaque après-midi des touristes à bord de mon rickshaw (un taxi-tricycle fort répandu). C'est aujourd'hui un couple de Français qui fait son poids et qui, sans égards pour les temples millénaires qui les dominent, se félicite qu’on ait évincé Bjarne Riis du palmarès du Tour.
Le cyclisme est aux mains d'une bande d'architectes loufoques qui ont cru bon de retirer un parpaing pour percer un puis de lumière, et qui menacent maintenant de faire s’écrouler la baraque.
Restez à l'écoute, il se pourrait que la force des choses m'invite à un retour précipité.
Pascal d'Huez
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