PARIS
20.1.07
A quelques jours du terme de cette aventure, les commentaires abondent, jugeant pour le moins heureux ma toute nouvelle vocation de voyant, au moment pile où il devient urgent de démasquer le coupable.
Je fais remarquer à ces rabat-joies que mes visions –si lucratives soient-elles- ne m’ont pour l’instant apporté que du chagrin, et qu’à propos du cas Lebon, elles demeurent désespérement floues.
Qu’à cela ne tienne, une nouvelle commande d’ampoules d’hippodine, passée ce matin au professeur Van Steenbergen, par l’intermédiaire de l’inspecteur, devrait permettre une accélération sensible de l’enquête…
En attendant, je déjeûnais avec Salomé au Grand Chamois, restaurant bâti dans le Col des Saisies, et dont le parking affleure le virage où Floyd Landis avait amorcé sa grande offensive.
Assis côte à côte, nous tentions de déchiffrer le carnet de Kevin, abandonné dans la précipitation, quand une copieuse chamaillerie avec le leader de la Phonak l’avait poussé à s’enfuir.
Salomé, qui avait passé un bonnet blanc, et dont les yeux couraient comme deux écureuils dans la neige, n’y avait rien trouvé d’intéressant. Si ce carnet n’avait pas constitué son seul souvenir du jeune homme, elle l’aurait même jeté.
On avait, c’est vrai, connu plus romantique.
Chaque page offrait son tableau griffonné à l’arrache, où il était systématiquement question d’épreuves cyclistes (Tour des Fl., Paris-Roub’, LBL). Dans la colonne de gauche, on lisait des initiales ou un surnom (Renflo, JC, Gazou…), suivi d’un chiffre en euros (une mise ?) ; dans celle de droite, le nom d’un coureur, accompagné parfois de points d’exclamation, comme cet Evgueni Berzin annoncé vainqueur de Paris-Roubaix 2005, par un dénommé Pipou pour la somme de 100 euros !!!
En date du 9 juillet, on trouvait trace du pari de Lorient, lorsque Kevin avait dépouillé la caravane, laquelle ensuite ne s’y était plus jamais laissée prendre.
En plus gros, quelquefois triomphalement entouré en bas de page, figurait le total des gains.
Il semblait bien qu’avant moi, Kevin Lebon ait su tirer parti des vertus divinatoires de l’hippodine pour se constituer un joli magot !
Les pages consacrées au TDF 2006 relevaient d’une configuration différente : les noms des coureurs (Landis sortait plusieurs fois, mais on trouvait aussi Menchov, Pereiro, ou même Basso) avaient été raturés, réinscrits, raturés de nouveau, les mises réévaluées.
Plus troublant, le nom des parieurs –ils étaient six, inclus Kevin- était figuré par un dessin sommaire évoquant selon moi une hache, selon Salomé un marteau !
Comme nous poursuivions vers le Grand-Bornand, elle m’invita à rencontrer son oncle, un amateur de ferronnerie, qui avait là son atelier.
Protégé par un masque de soudure, il mettait la dernière main à d’étonnantes girouettes en forme de cycliste. Il acheva sa pièce par quelques coups de masse avant de s’avancer pour me saluer. Surprise ! Ce n’était autre que Jean-Paul Ollivier, le Paulo-la-science du service des sports de France Télévisions !
Interrogé sur le mystère Lebon, qu’il avait vaguement suivi dans la presse, JPO demeurait prudent, penchant plutôt pour un règlement de compte dans le milieu pourri des amateurs.
Photos à l’appui, il nous en apprit cependant une bien bonne. Savions-nous que le pasteur Daniels, avant d’être présumé assassin, avait été coureur ? Il avait même accompli le Tour de France, en 1973, sous le maillot Flandria, poisson-pilote émérite des sprints de Walter Godefroot !
« Son plus grand fait d’armes » ajoutait l’érudit de sa voix officielle, « c’était d’avoir à lui seul ramené le peloton sur la fameuse échappée du marteau. »
Salomé et moi nous regardâmes, mi-enthousiastes, mi-effrayés.
C’était le nom d’un lieu-dit, quelquepart sur le parcours de l’étape Nancy-Mulhouse. Une échappée de cinq hommes s’y était formée, prenant une avance considérable. Ils avaient collaboré à merveille pendant toute l’étape, avant d’être rattrappés à quelques mètres de la ligne, parce qu’ils avaient refusé de se disputer la victoire.
Sur la fin du parcours, ils s’étaient juré aide mutuelle et fraternité. Depuis, l’association des cinq amis avait perduré, pesant, disait-on, son poids d’influence sur les décisions de l’UCI, comme dans le choix des villes-étapes des grands tours.
Ces cinq-là pouvaient-ils nous conduire au meurtrier de Kevin ?
La journée fut belle aujourd’hui, et du haut du col de Joux-Plane, où la Tête de l’âne cache le Mont-Blanc, on peut être désormais sûr que la jour a encore gagné sur la nuit.
Sur une idée de Salomé, qui croit en l’interprétation des rêves et n’aime rien tant que Star Wars, j’ai accepté d’enfourcher une bicyclette, les pieds calés, et les yeux cernés d’un bandeau.
Puisque mon subconscient fait barrage à mes pressentiments, explique-t-elle très bien, il faut le détourner.
Soit. Après avoir enregistré ce post et l’avoir confié à la nièce Ollivier pour qu’elle le mette en ligne, je respire une dernière fois.
Adieu Salomé, je plonge sans plus attendre dans l’obscurité.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Morzine.
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