LE GRAND BLANC
19.1.07
C’est grâce à ma foi absolue dans la résolution imminente du mystère Lebon que je trouvais ce matin le courage de tenir bon, au poste de secours de la Toussuire, où nous étions quelques rescapés à reprendre vie sous des plaids.
Pour nous distraire, les sauveteurs avaient branché la télé. Y repassaient en boucle les images de la défaillance de Floyd Landis en illustration à la nouvelle affaire Pereiro. Chacun y allait de son hypothèse, hormis moi-même, bien entendu, trop occupé à reprendre possession de mes effets personnels, éparpillés dans l’avalanche, que la gendarmerie rapportait au compte-gouttes.
« Intuition », répondais-je, honnête, à ceux qui s’étonnaient qu’en pleine nuit, je fus sorti en pull sur une piste de ski.
Des portables arrivaient dans un carton, dont le mien, esquinté, mais en parfait état de marche. On avait aussi retrouvé mon enregistreur MP3, et mon sac-banane Cochonou.
« Pardon ? »
- … Votre sac Cochonou, Monsieur D’Huez !
Je m’empressai de saisir l’objet vu en rêve, qui m’attirant dehors, avait bien failli me coûter la vie. J’ouvris sa fermeture à moitié cassée.
Il était vide, à l’exception de la couverture arrachée d’un carnet à spirales, sur laquelle était inscrit : K.LEBON/COMPTA.
La neige s’abattait de plus belle, et recouvrirait bientôt la route où s’effaçait le nom des champions. Le treize heures avait laissé place au tiercé, transmis depuis Vincennes et fort mal réceptionné.
Comme un gendarme organisait un petit pari à la sauvette, je jouais 2-4-8 sans prendre connaissance du Paris-Turf.
Le 2, un toquard pourtant réputé, arrivait en tête, suivi du 4. Le 8 était battu d’une tête par le 9, troisième. J’emportais la mise, tremblant.
Que m’arrivait-il ?
Moi, l’infra-lucide, qui chaque été, avait misé sur la défaite d’Armstrong et vu Mancebo en 2006, j’étais devenu capable de deviner l’avenir.
Tout s’illuminait d’évidence.
Des impressions surgies du futur m’envahissaient. François Bayrou me souriait depuis son bureau de l’Elysée, et la vision d’Alexandre Vinokourov en jaune le long de la Seine s’imposait à moi aussi sûrement qu’une photo de famille.
Fallait-il y voir un effet de l’hippodine, dont un récent scanner pratiqué sur Jason avait démontré l’influence sur la zone du cerveau dévolue à l’anticipation ? Sans doute. Du moins étais-je le seul à ne pas m’en faire pour cet individu en moto des neiges qui gravissait la pente alors que la nuit tombait et que le blizzard rendait la visibilité quasi-nulle.
« On y va ? » s’échauffaient les sauveteurs, pressés d’en découdre. « Allons » répétais-je, tranquille et sûr de mon coup, « il va s’en sortir, et d’ailleurs, le voilà qui arrive. »
Avant même que l’inconnu se soit ébroué et qu’il ait enlevé son casque pour libérer ses cheveux, je l’avais reconnu. C’était, venue de loin pour me rapporter le carnet de Kevin, l’hôtesse Aquarel Salomé !
Nous passâmes, si vous le voulez bien, à côté.
Encore amoureuse du jeune homme et convaincue de mon sérieux par la lecture de mes chroniques, elle tenait à m’en dire davantage. C’est en ce sens qu’elle avait mis en ligne à mon attention la troublante vidéo de Kevin et Landis se congratulant.
D’après elle, c’était à un autre effet indésirable de l’hippodine qu’on devait l’anéantissement de Landis à la Toussuire. Au cours du Tour, s’était produit une sorte de transfert du donneur au transfusé, effet rarissime bien que connu des adeptes du dopage.
En d’autres termes, l’histoire personnelle de Kevin avait progressivement imprégné le leader de la Phonak, se découvrant peu après Strasbourg un goût inédit pour les bretzels, avant de se mettre à ressentir cruellement l’absence du père aux environs de Rennes.
Enfin, à partir de Bordeaux, la sérénité du coureur mennonite avait été mise à mal par la relation de son collaborateur avec Salomé. Partageant dans sa chair le désir du conducteur Cochonou pour l’hôtesse Aquarel, il n’en dormait plus, et avait plusieurs fois exigé de Kevin qu’il rompe, dans l’intérêt de l’équipe.
La veille de sa défaillance, rouge de concupiscence, il avait même, avouait la jeune femme dans un hoquet, tenté de forcer la porte de sa chambre !
J’imaginais ce malheureux Floyd dans la montée de la Toussuire, perclus de désir, les abdominaux douloureux de passion contenue, brûlant au point qu’aucun bidon d’eau glacée n’eut pu le rafraîchir.
Tandis que les spécialistes évoquaient le coup de fringale, il était victime d’une fièvre sans remède, une soif sans espoir d’assouvissement, qu’il lui fallait néanmoins traîner jusqu’au Vélo-club, la poitrine comprimée dans un maillot jaune dérisoire, qu’il aurait alors volontiers échangé contre un baiser.
Contemplant ma nouvelle alliée, qui avait retiré son pull pour le mettre à sécher et me souriait d’un air désolé, j’étais prêt à parier que nous ne ferions jamais l’amour ensemble.
C’était mon tour de n’avoir plus de jambes.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis la Toussuire.
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