HIPPODINE
15.1.07
En ce mois de janvier décidément inattendu, où l’on pourrait presque organiser un Tour de France, le vent parle d’une voix claire à l’homme disposé à l’écouter, et lui réclame des coureurs à pousser.
Des atomes échappés de la caravane publicitaire persistent à habiter l’air, au point que, cet après-midi, sur le boulevard machin de Montélimar, je croyais voir Oscar Pereiro tout de jaune vêtu, et jurais entendre des applaudissements.
Or, on applaudissait.
C’était un couple de Montpelliérains qui, lisant mes chroniques, m’avait reconnu et tenait à m’encourager.
« Vous finirez bien par le retrouver, c’ui qu’a fait le coup ! », me rassurait le monsieur, en me tendant un bidon. « En attendant, pourquoi ne pas nous accompagner au Salon du Bien-Être ? C’est là qu’on va ! », pour la raison qu’entre autres, on y donnait des massages gratis.
Le salon se tenait dans un gymnase compartimenté pour l’occasion en boxes. J’avais tôt fait d’y perdre mes deux supporters, happés par la démonstration d’un masque de sommeil réfrigéré.
On trouvait ici le meilleur de la production mondiale : des gelées sud-américaines aux vertus apaisantes jusqu’à des DVD de self-motivation parrainés par un ancien de la télévision.
Goûtant de tout, j’aboutis bientôt au stand très couru d’un petit homme qui, bien que chauve, disposait encore d’une couronne de cheveux rayonnante, qu’il avait su mettre en valeur par le choix d’une coupe au carré. Quelque soit ce qu’il vendait, il était sa meilleure publicité. Polo jaune, pantalon vert, bon vivant, il ressemblait à l’un de ces moines dévoyés, dirigeants d’abbayes productrices de bière. Doté d'une paire d'yeux ronds et animés, d'un teint sanguin, il portait une fine moustache blanche en cornes de vache par-dessus une énorme bouche couleur de viande, qu’il ouvrait parfois très grand afin d’y déclencher un rire de cheval. Un badge épinglé sur sa poitrine donnait à ce dessin sa légende : C’était le professeur Van Steenbergen, venu de Charleroi présenter son produit, l'hippodine; le tonique de l’ambitieux !
Auprès de lui, se trouvait un orphelin en chaussettes, simplement vêtu d’un boxer. Blâfard, paupières lourdes, mais physique d’athlète.
Diapositives avant/après à l’appui, le professeur exposait les spectaculaires effets de son invention sur ce corps enviable, dont il soulignait de l’index la courbe des muscles, inexistants avant le traitement.
En seulement un an, Jason était passé du rang d’avorton terrorisé à celui d’un champion dominant sa discipline : la lutte gréco-romaine.
Suite à la question d’une jeune femme qui s’inquiétait de possibles effets nocifs, le professeur interrogeait son patient. « On arrête l'hippodine, Jason ? » - Ça non !, répondait le post-ado dans un sourire désarmant.
Je feuilletai le book posé sur la table. Que du beau monde. Van Steenbergen, ami des meilleurs, posait en compagnie des Vandenbroucke, des Frigo, Hamilton, Heras ou autres Floyd Landis.
« La mission de l’homme n’est-elle pas de compléter les lacunes de la nature ? », concluait le professeur, « Les merveilles apportées au bien-être collectif par les centrales nucléaires, moi, Professeur Van Steenbergen, je suis en mesure de les offrir à l’épanouissement de chacun ! »
Là-dessus, l’assemblée des badauds, peu convaincue, se délita. Resté seul, j’achetai un lot de cinq ampoules, et me faisant passer pour le journaliste d’un grand quotidien, j’invitai le professeur et son jeune ami à venir prendre un pot à l’espace chill-out.
« Travailler avec des écoles ? »
Oui, pourquoi pas, il y avait bien songé. D’ailleurs, il était en pourparlers avec une primaire. Hélàs, déplorait-il, les gens étaient frileux. Les relents d’un humanisme dépassé les clouaient au sol, et au nom du naturel, on se privait des progrès de la science.
Se comparant à Jésus, le professeur estimait qu’on lui faisait dans la presse un mauvais procès, et qu’il m’appartenait de rectifier son image.
J’évoquai alors le sport-études Tristan Corbière de Dax.
Il ne se souvenait pas, restait évasif. Beaucoup avaient fait appel à lui avant de se rétracter au dernier moment. Il ne pouvait pas satisfaire tout le monde.
Notre commande arriva. Deux chocolats chauds pour mes invités, tandis que je me contentais d’un œuf au plat.
J’étais résolu à resserrer l’étau sur Van Steenbergen, et poussant au bout mon intuition, je lui demandai s’il n’avait jamais collaboré au service d’un groupe, dans le cyclisme notamment. Sa tasse était brûlante, il s’étrangla. Il ne voulait plus entendre parler de cyclisme, ce sport qu’il avait adoré, et qui le traitait si mal. Non, jamais, il n’avait travaillé pour une équipe.
A cet instant, un grain de poivre que je venais nonchalamment de laisser échapper en saupoudrant mon œuf, atteignit la narine du professeur, lui provoquant un violent éternuement.
L’appareil auditif caché sous ses cheveux se décrocha et tomba dans son chocolat Poulain.
Gêné, il prétexta la fatigue pour regagner l’hôtel avec Jason. Il m’invitait à les accompagner demain à Gap, à l’occasion du Salon du Loisir et des Nouvelles Détentes, afin d’y poursuivre mon reportage.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Montélimar.
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