REMONTÉE MÉCANIQUE
18.1.07
Si propice à la divagation, le roulis des vingt-et-un lacets me rappelait les miens, dangereusement échappés de mes baskets, un après-midi de l’été 79, où, déjà futé, je courais derrière Joaquim Agostinho.
A bord d’un véhicule de loisir à quatre roues motrices, l’inspecteur Ringenbach avait souhaité me reconduire lui-même dans mon village d’Huez, tout en haut de l’alpage; l’ascension nous fournissant l’opportunité d’une mise au point.
Suite à sa capture en état de flagrant délit, le professeur Van Steenbergen avait été inculpé de détention de substances vénéneuses, et du détournement d’un mineur, Jason, qui, secouru par le samu, allait survivre, bien qu’amnésique.
Très affecté par le décès de Kevin Lebon, son ancien mentor n’avait pas tenté de faire barrage à mon irrésistible course à la vérité. Raisonnable, il avait confirmé les propos du leader basque anonyme, en avouant d’emblée traiter Kevin à l’hippodine depuis plusieurs années.
Cependant, sa fuite de la section sport-études n’avait pas été motivée par l’afflux de mauvais rêves, ni même par les effets indésirables de la molécule dernier cri, mais résultait –tenez-vous bien- d’un fait si inoui que je souhaite à présent en différer la révélation de quelques lignes afin de te garder, lecteur, plus haletant que Gert-Jan Theunisse à l’assaut de cette pente.
Ainsi effacions-nous le huitième lacet qu’occupait une foule hilare, faite de gens venus me saluer de partout ; Néerlandais criant des allez Pascal, Italiennes brandissant des calicots forza D’Huez, Allemands tendant leurs choppes. Cette popularité soudaine, à laquelle je m’efforçais de répondre humblement et sans baisser la vitre par de vagues signes de tête, laissait indifférent Ringenbach, qui poursuivait son état des lieux comme si rien ne se passait.
Si Kevin Lebon avait quitté Tristan Corbière alors que l’hippodine commençait à le rendre imbattable, c’est que le professeur lui avait promis son intégration imminente dans un pôle de champions appelés à dominer le monde, au sein d’une base secrète, située quelque part en Suisse.
Ce projet, baptisé Pégase, était soutenu par l’UCI, désireuse de fabriquer de jeunes vainqueurs de classiques afin d’affaiblir l'hégémonie des grands tours !
« Y’a pas à chier », concéda l’inspecteur en évitant de justesse un photographe qui s’était mis en travers de la route, « vous avez mis la main sur un truc ! »
Hélàs pour Van Steenbergen, l’Union Cycliste ayant eu vent des conséquences fâcheuses du traitement miracle sur deux espoirs, -l’un ayant trouvé la mort sur chute, l’autre devenu paralysé- avait lâché le prof et abandonné l’idée.
Nous approchions des premières maisons, cet oasis où l’horizon s’écarte et la pente s’affaiblit. L’échappé solitaire vient y réajuster son maillot, ou comme Hinault menant Lemond, y mijote une arrivée en apothéose.
J’allais proposer à Ringenbach de prendre sa main, lorsqu’il acheva son récit :
Econduit par l’UCI, Van Steenbergen avait aussitôt proposé ses services à la Phonak, offrant un Kevin dûment transformé en réserve de globules à Floyd Landis. Comme Jason, Kevin était un bagage à hémoglobine, un baise-en-ville humain, un nécessaire à exploits qu’on emmenait d’étape en étape, et dont on se servait à l’envi.
Afin de ne pas attirer l’attention, le professeur avait usé de son entregent pour lui trouver une place dans la caravane.
En échange de sa besogne, il pouvait s’enorgueillir de participer à la victoire, et touchait même des primes.
Ce qui avait provoqué la défaillance de Landis et le départ de Kevin ?
L’ancien enseignant en médecine l’ignorait, se contentant d’affirmer qu’il avait été remercié au soir de la Toussuire pour insuffisance de résultats.
Evincé, Kevin avait-il voulu par vengeance tout déballé de cette sombre affaire à la police ?
« Arrêtez-vous là, D’Huez ! Vous en avez déjà bien assez fait !... Vous voilà de retour au bercail… Pourquoi ne pas vous arrêter au sommet, comme Armstrong ? »
Il y aurait plutôt de quoi nourrir des envies d’abandon, car le professeur, qui se trouvait en Californie pour le réveillon, jure n’être pour rien dans la mort de Kevin, et le Pasteur Daniels va passer une nouvelle nuit en prison.
Dans ma chambre d’enfant, consolation, ma mère a eu la bonté de préparer mes draps Système U, lointain premier prix d’un jeu-concours. J'y ai poursuivi ma cure d’hippodine, avant de faire un peu d’internet, où, pour la première fois de ma vie, j’ai remporté un pari en pronostiquant la victoire de Baden Cooke dans la troisième étape du Tour Down Under.
Permettez-moi d’y voir comme un encouragement supplémentaire.
En mangeant le mini-saucisson de Salomé retrouvé au fond de ma poche, j’aperçois la piste de ski nocturne qu’arrose un canon à neige.
L’envie soudain me prend de m’y diriger tout droit.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis l’Alpe-d’Huez.
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