SPRINT MASSIF À GAP
16.1.07
Premiers effets de l’hippodine auto-administrée hier soir ?
Ma nuit, brève et agitée, me donnait au petit-déjeûner le même masque de cracotte humide qu’à Jason, alors même que le professeur Van Steenbergen, serviette propre autour du cou, se vantait d’être allé faire un jogging.
Passons sur ces observations maintenant obsolètes.
Depuis le peignoir senteur lavande que m’a fourni la police, j’apprécie le silence revenu sur l’avenue déserte et partage en secret un peu de la gloire de Pierrick Fédrigo, vainqueur ici-même d’un autre roublard patenté.
Si d’autres étapes m’éloignent encore du retour à Paris, j’ai, pour la première fois, le sentiment d’en avoir gagné une.
Assis à l’arrière de la Renault Twingo qui nous conduisait vers Gap par un tortueux itinéraire bis, je continuais à jouer au journaliste, feignant la prise de notes intensive. Toutefois, pour ne pas paraître suspect, je mettais les pieds dans le plat au sommet du col de Peyruergue.
« Et vous-même, professeur, vous en tâtez ? »
- ... mais pas seulement.
- Ah ? tendis-je l’oreille.
- Voulez-vous un scoop ?
Je voulais, pardi, persuadé que la chute d’un premier mystère en entraînerait d’autres.
« Et bien croyez-le ou non : je calque toute ma vie sur celles des grands champions ! », conclut-il, complice, la main posée sur le genou de Jason.
Aussi essentielle que le vin ou la moutarde, l’hippodine pouvait se consommer au gré des envies, sous forme d’emplâtres, de lotions, ou de suppositoires ; ses effets supérieurs étant seuls connus des experts, qui rompus à des posologies plus poussées, pouvaient envisager de vivre très vieux, voire même de ne pas mourir du tout.
Sur quoi, Van Steenbergen s’endormit.
Je bâillai à mon tour. J’avais fait le cauchemar horrible de Floyd Landis arrachant un bras de Kevin pour le dévorer avec son équipe, et je m’endormais quand Jason se mit en tête de me confier son admiration pour le prof, un homme génial, qui avait eu la bonté de le sortir de sport-études à seule fin d’en faire un crack.
Pour lui prouver sa gratitude, le jeune lutteur s’apprêtait à lui consacrer un site… Il ignorait encore qu’à quelques heures de là, j’allais le sauver d’une mort certaine.
A la fermeture du salon, après que le professeur eut servi le même speech qu’hier pour un résultat identique, j’aidai les deux comparses à remballer ampoules et paper-board, et je les raccompagnai à l’hôtel, dans le hall duquel, émus, nous échangeâmes adieux sincères et adresses e-mails.
Sitôt qu’ils eurent disparu dans l’ascenseur, je louai pour la nuit la chambre d’à côté, que je rejoignis par l’escalier de service.
S’il n’est pas jojo d’espionner ses congénères, tout est permis au chroniqueur cycliste à la poursuite du bien commun.
Aussi, ayant enjambé le parapet qui séparait nos deux balcons, je me postai accroupi derrière la vitre, prêt à valider de visu mes soupçons.
Jason était allongé dans le plus simple appareil. Regard au plafond, il semblait attendre le médecin.
Ce dernier ne tarda pas à apparaître, sous la forme d’un Van Steenbergen ruisselant, sans chemise ni pantalon, qui exhibait un gros ventre aérophage et brandissait une seringue. Ayant invité son apprenti à serrer une balle en mousse, il le piqua au bras, enflant peu à peu une poche de la taille d’une taupe.
L’aiguille retirée, Jason sembla s’endormir, tandis que le professeur, d’humeur badine, s’amusait à jongler avec le sachet de sang frais.
Après quoi, ayant passé un brassard, il plaça son butin dans une espèce d’essoreuse à salade, qu’il utilisait en guise de centrifugeuse. Ainsi procédait-il sans doute pour séparer grosso merdo le plasma des globules qu’il s’apprêtait à s’injecter.
Le couvercle avait-il subi une avarie dans le Col de la Sentinelle ? Probable, puisque la poche venait de jaillir de la boîte dans un moment critique, répandant son contenu sur les murs et le visage embêté du bon professeur.
Au bout d’une réflexion rapide, il entreprit toutefois de se reservir.
Il pompa de nouveau 50 centilitres du coude d’un Jason évanoui, qui pâlissait à vue d’œil, à mesure qu’il dessinait, passif, une grosse tache sur le couvre-lit. Décidément, ce n’était pas le soir ! La seconde poche avait fui.
Il déchira l’emballage d’une troisième, mais se ravisa dans l’urgence pour procéder à un massage cardiaque sur Jason, devenu bleu. En homme de science, Van Steenbergen réalisant à présent qu’il risquait de perdre le jeune homme, décidait en ultime recours de prélever son propre sang pour suppléer aux carences. Juste retour à l’envoyeur.
Se piquant compulsivement à la fesse, comme on écope un bateau dans la panique, à cheval sur le mourant qu’il avait retourné sur le ventre pour éviter qu’il ne s’étouffe avec sa langue, l’autre ami des champions ne parvenait pas à réanimer Jason, désormais passé au mauve, maillot distinctif de mauvaise augure.
Roi du timing, je choisis alors de me manifester.
Poussant la porte coulissante, j’apparus à un Van Steenbergen interloqué qui, plutôt que de sauver la face, bondit hors du lit pour s’enfuir.
Bien que perdant son sang, l’animal, transfusé à l'hippodine, était encore plus fort que moi, épuisé par presque vingt jours de course.
Il se dirigeait vers la porte et allait m’échapper, lorsqu’apparut l’inspecteur Ringenbach et ses policiers, conduits sur les lieux par Patouche, laquelle alarmée par ma dernière chronique, avait eu la bonne idée de me faire suivre.
Pascal D’Huez, envoyé spécial depuis Gap.
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