L'ALPE D'OUEST
6.7.11
La victoire de Cadel Evans dans le Mûr de Bretagne, pour toute admirable qu'elle soit, est un trompe-l'oeil. Cadel est sympa. C'est un champion. J'entends certains observateurs, que je ne soupçonnais pas d'autant d'incompétence, me raconter depuis quelques jours que l'Australien à la moue souffreteuse est le probable futur vainqueur. Il est le premier à savoir qu'il n'en est rien. Les meilleurs résultats de Cadel dans le Tour sont derrière lui. Ses limites en montagne sont connues et ne seront plus repoussées désormais qu'il atteint bientôt la trentaine et demie.
Le fait du jour -puisqu'il doit y en avoir un- ne réside pas non plus dans l'échec -relatif- de Philippe Gilbert. On découvre avec soulagement qu'il peut arriver au champion de Belgique d'être battu sur une arrivée en montée. Cette petite faiblesse le jette peut-être ce soir dans le désarroi. Qu'il se rassure, elle lui vaudra la bienveillance des jeunes filles, qui ne détestent rien tant que les premiers de la classe.
Le fait du jour, donc, c'est le réveil du Pistolero dans les 10% du Mûr, le rebond du cabri à petits sauts vifs parmi la meute des musclés.
Et bing.
Voilà comment parle un champion.
Sans se presser.
Il oppose l'évènement à la rumeur.
Tandis qu'au pied du Mûr, la valeureuse échappée du jour prend conscience que les pires choses ont aussi une fin et coupe son effort, George Hincapie soulève ses cuisses vers la tête du peloton et emmène grand train, porteur magnifique de la chaise à porteur où se trouve, porté, Cadel Evans.
Dans son sillage, Hushovd tortille comme un gibier d’eau pris dans les marais de l’Ouest, – et comme il n’y a pas moyen de mettre le grand plateau, chacun s'accroche à la diligence comme il peut, un temps derrière Vino, un temps derrière Van den Broeck.
Ceux qui n'ont rien à gagner aujourd'hui, ont dévissé dès le bas de la côte. Ainsi, Cancellara, Farrar... C'est l'extrême spécialisation du cyclisme moderne. Jamais un coup de pédale de trop.
Loin devant, tout le monde fait claquer le fouet. Yah yah.
Contador attaque à nouveau. Puis Vinokourov. Evans.
Les milliers de spectateurs qui ont cru bon de voir passer le Tour dans la pente, n'ont même pas le temps de traiter leurs champions favoris des noms d'oiseaux préparés pendant l'hiver.
Il est environ cinq heures du soir. Le soleil vient éclairer de ses feux inspirés la montée bordée de panneaux vittel et de casquettes jaunes, lorsque Alberto Contador lance une dernière offensive, aux cent mètres, pour tenter de s'adjuger l'étape.
Cadel Evans, dans son style caractéristique, crispe sa croupe, résiste, et écrase lourdement la ligne d'un vieux coup de pédalon.
Contador jette son bike et lève le bras, mais doit se résoudre à faire deux.
Qu'importe. A cet instant de la course, on réalise que le vent claque à nouveau dans le pavillon Saxo du triple vainqueur. Son pouls est bon, sa tension, remontée.
C’est un tempérament digne. Blessé à mort, il prétendra encore être en vie. Et poussera la fierté jusqu'à l'être vraiment.
Il récupère une pincée de secondes à Andy Schleck, ainsi que la totalité du capital confiance laissé sur un siège du Puy du Fou.
Demain, avis de bordures au Cap Frehel.
Pascal d'Huez
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home