MACISTE CONTRE HERCULE
29.5.09
Avec la magnifique inconscience qui les caractérise, les coureurs du Tour d'Italie tenteront cet après-midi de se départager sur les pentes du Vésuve, sans craindre une seconde que le magma qui sommeille sous la ligne, puisse soudain surgir et provoquer un trou définitif au classement général.
Quelques hectomètres avant le début de l’ascension pourtant, ils traverseront, perplexes, la ville fantôme d’Herculanum, détruite par l’éruption de 79 (pas l’année de la victoire de Beppe Saronni, mais celle de la mort de Pline). Croyez-vous que la vue des ruines poussera les Italiens, d’ordinaire superstitieux, à lever le pied ? A rouler piano pour ne pas provoquer la fureur du volcan ? Autant de questions que ne se posera pas l’incandescent Danilo Di Luca, dans un tel état de nerfs qu’il ferait sans broncher la descente dans le cratère, si un coéquipier farceur lui faisait la blague de l’ajouter à sa feuille de route.
Ô Vésuve, ceux qui vont pédaler te saluent.
Un esprit de péplum flotte sur cette antépénultième étape, et ça sent bon le laurier, le chœur antique et la trahison.
Depuis bientôt trois semaines que je suis arrivé à Naples, j’ai trouvé refuge dans un hôtel en construction, perdu en flanc de montagne. Dans l’ombre fraîche, je prépare idéalement le Tour de France, rédigeant par avance, au stylo bille, des fiches sur les villes-étapes. Ne disposant ni de la télé, ni de la radio, je suis le Giro à travers les récits enamourés que m’en font les filles du viticulteur voisin, quand elles viennent, chaque midi, m’apporter du rouge et des cerises en riant. Tout ce que je sais de la course à cette heure, c’est d’elles, Gina et Sofia, que je le tiens. Et si leur œil est tendre, leur dent est plus dure que l’andésite.
Leipheimer, par exemple, dont je faisais mon favori ? C’est à peine si elles le calculent. Il a été bon contre la montre et dans la montagne, mais souverain nulle part. Capable de suivre longtemps, mais ni de creuser des écarts, ni même de répondre à l’attaque d’un grimpeur correct. Du point de vue de Maria (leur petite sœur, qui ne vient qu’un jour sur deux), ses chances de porter du jaune sur les Champs-Elysées sont moins nombreuses que celles de voir les thermes de Pompéi reconstruits.
Et Sastre, que je voyais bien placé ? Il les soûle. Il devrait se faire colorer les cheveux ou porter un diams à l’oreille. Hormis ça, vu que sa forme suit une pente ascendante, elles sont d’accord pour pronostiquer le spaniard pas loin du podium à Paris. Perspective qui les fait soupirer, car son humilité les énerve. Déjà qu’il semblait presque gêné de porter le maillot jaune… Elles n’ont pas tort, au fond. D’où vient que Sastre a une si piètre opinion de lui-même ?
Menchov, disent-elles ? Maillot rose !? Si c'est vrai et qu'il gagne ce Giro, il pourra briguer l’achat d’un petit lopin dans les environs. Respect. A force d’enchaîner les tours, son capital-expérience commence à lui faire un bon petit coussin fessier. Elles ont le sentiment désormais, que ce gauche de Menchov sait comment s’y prendre. Cependant, n’étant pas du genre cador capable d’écraser la course, il reste prenable, à commencer par aujourd’hui, pour peu que parvienne à le pousser dans le gouffre le démon Di Luca.
Ah Danilo ! Celui-là, elles en sont folles ! Chaque jour dans le nuage de poussière où se joue la bagarre, donnant des pif ! Paf ! Pof ! Il défend son Giro comme un fermier son domaine contre les spéculateurs étrangers. L’admirable dans tout ça, c’est qu’au fond, ce n’est même pas un coureur de grands tours. Ce qu’il accomplit sur le Giro, il serait incapable de le faire sur la Vuelta. C’est dire. Gina adore quand il se fâche après les tifosi qui viennent le harceler, et Sofia ajoute que lorsqu’il n’est plus maillot rose, le beau Danilo somatise au point que son visage devient lilas.
Reste Lance, dont elles me disent qu’il est cool, qu’il court pour le fun et porte le Stetson en course. Il possède la tranquillité de ceux qui, ayant déjà conquis toutes les gloires, peuvent embrasser l’existence sans craindre d’échouer. Il roule pour le bonheur de passer l’après-midi avec les copains du club, prend le temps de mater la baie, tout cela sans jamais être ridicule à l’arrivée. Si l’on considère que Lance n’est pas venu sur le Giro pour le gagner, et qu’il sait mieux que personne comment on remporte un Tour de France, tous les espoirs restent envisageables quant à son classement de juillet.
Quant aux grands absents de ce Giro, les vrais montagnards, si l’on en juge à ce qui se passe depuis un an, on se dit que leur vie est décidément bien dure. A l’heure qu’il est, Ricco tond la pelouse du parc municipal et Piepoli fait traverser les gosses. Kohl conduit un fenwick chez Haribo et Sella fait des puzzles. A voir les débouchés, on comprend que les mômes s’orientent plutôt vers le sprint, où Cavendish, l’ordure, chavirent les coeurs.
Notre débriefing terminé, il est bientôt l’heure d’aller me poster au bord de la route, dans le tournant qui précède l’arrivée vers le parking, là où tout bitume cessant, un sentier conduit les touristes au cratère.
Les filles partent dans la direction opposée pour tenter d’apercevoir le peloton de loin. Elles chantonnent en disparaissant à travers les fumerolles, étonnamment nombreuses ces derniers jours.
Il est treize heures, les coureurs viennent de quitter Avellino.
Ô Vésuve, sois clément avec tes assaillants.
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
Quelques hectomètres avant le début de l’ascension pourtant, ils traverseront, perplexes, la ville fantôme d’Herculanum, détruite par l’éruption de 79 (pas l’année de la victoire de Beppe Saronni, mais celle de la mort de Pline). Croyez-vous que la vue des ruines poussera les Italiens, d’ordinaire superstitieux, à lever le pied ? A rouler piano pour ne pas provoquer la fureur du volcan ? Autant de questions que ne se posera pas l’incandescent Danilo Di Luca, dans un tel état de nerfs qu’il ferait sans broncher la descente dans le cratère, si un coéquipier farceur lui faisait la blague de l’ajouter à sa feuille de route.
Ô Vésuve, ceux qui vont pédaler te saluent.
Un esprit de péplum flotte sur cette antépénultième étape, et ça sent bon le laurier, le chœur antique et la trahison.
Depuis bientôt trois semaines que je suis arrivé à Naples, j’ai trouvé refuge dans un hôtel en construction, perdu en flanc de montagne. Dans l’ombre fraîche, je prépare idéalement le Tour de France, rédigeant par avance, au stylo bille, des fiches sur les villes-étapes. Ne disposant ni de la télé, ni de la radio, je suis le Giro à travers les récits enamourés que m’en font les filles du viticulteur voisin, quand elles viennent, chaque midi, m’apporter du rouge et des cerises en riant. Tout ce que je sais de la course à cette heure, c’est d’elles, Gina et Sofia, que je le tiens. Et si leur œil est tendre, leur dent est plus dure que l’andésite.
Leipheimer, par exemple, dont je faisais mon favori ? C’est à peine si elles le calculent. Il a été bon contre la montre et dans la montagne, mais souverain nulle part. Capable de suivre longtemps, mais ni de creuser des écarts, ni même de répondre à l’attaque d’un grimpeur correct. Du point de vue de Maria (leur petite sœur, qui ne vient qu’un jour sur deux), ses chances de porter du jaune sur les Champs-Elysées sont moins nombreuses que celles de voir les thermes de Pompéi reconstruits.
Et Sastre, que je voyais bien placé ? Il les soûle. Il devrait se faire colorer les cheveux ou porter un diams à l’oreille. Hormis ça, vu que sa forme suit une pente ascendante, elles sont d’accord pour pronostiquer le spaniard pas loin du podium à Paris. Perspective qui les fait soupirer, car son humilité les énerve. Déjà qu’il semblait presque gêné de porter le maillot jaune… Elles n’ont pas tort, au fond. D’où vient que Sastre a une si piètre opinion de lui-même ?
Menchov, disent-elles ? Maillot rose !? Si c'est vrai et qu'il gagne ce Giro, il pourra briguer l’achat d’un petit lopin dans les environs. Respect. A force d’enchaîner les tours, son capital-expérience commence à lui faire un bon petit coussin fessier. Elles ont le sentiment désormais, que ce gauche de Menchov sait comment s’y prendre. Cependant, n’étant pas du genre cador capable d’écraser la course, il reste prenable, à commencer par aujourd’hui, pour peu que parvienne à le pousser dans le gouffre le démon Di Luca.
Ah Danilo ! Celui-là, elles en sont folles ! Chaque jour dans le nuage de poussière où se joue la bagarre, donnant des pif ! Paf ! Pof ! Il défend son Giro comme un fermier son domaine contre les spéculateurs étrangers. L’admirable dans tout ça, c’est qu’au fond, ce n’est même pas un coureur de grands tours. Ce qu’il accomplit sur le Giro, il serait incapable de le faire sur la Vuelta. C’est dire. Gina adore quand il se fâche après les tifosi qui viennent le harceler, et Sofia ajoute que lorsqu’il n’est plus maillot rose, le beau Danilo somatise au point que son visage devient lilas.
Reste Lance, dont elles me disent qu’il est cool, qu’il court pour le fun et porte le Stetson en course. Il possède la tranquillité de ceux qui, ayant déjà conquis toutes les gloires, peuvent embrasser l’existence sans craindre d’échouer. Il roule pour le bonheur de passer l’après-midi avec les copains du club, prend le temps de mater la baie, tout cela sans jamais être ridicule à l’arrivée. Si l’on considère que Lance n’est pas venu sur le Giro pour le gagner, et qu’il sait mieux que personne comment on remporte un Tour de France, tous les espoirs restent envisageables quant à son classement de juillet.
Quant aux grands absents de ce Giro, les vrais montagnards, si l’on en juge à ce qui se passe depuis un an, on se dit que leur vie est décidément bien dure. A l’heure qu’il est, Ricco tond la pelouse du parc municipal et Piepoli fait traverser les gosses. Kohl conduit un fenwick chez Haribo et Sella fait des puzzles. A voir les débouchés, on comprend que les mômes s’orientent plutôt vers le sprint, où Cavendish, l’ordure, chavirent les coeurs.
Notre débriefing terminé, il est bientôt l’heure d’aller me poster au bord de la route, dans le tournant qui précède l’arrivée vers le parking, là où tout bitume cessant, un sentier conduit les touristes au cratère.
Les filles partent dans la direction opposée pour tenter d’apercevoir le peloton de loin. Elles chantonnent en disparaissant à travers les fumerolles, étonnamment nombreuses ces derniers jours.
Il est treize heures, les coureurs viennent de quitter Avellino.
Ô Vésuve, sois clément avec tes assaillants.
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
1 Comments:
merci
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