SUR LA ROUTE DU TOUR DE CALIFORNIE / 3
18.2.09
Temps de chiotte et paysage de Flandres sur le ToC… au moins est-on certain que les coureurs, de retour en Europe la semaine prochaine pour entamer la saison des classiques, ne seront pas dépaysés ! De toute évidence, le climat se détraque, et c’est bien fait pour la Californie, opulente sixième puissance économique mondiale par la grâce de son agriculture intensive et l’anéantissement de ses ressources naturelles. A saute-mouton sur les flaques, Columbia et Astana mènent une poursuite humide de vieux loups de mer derrière quatre échappés trempés comme des cordes et, pour cettte raison, pressés d’être rattrapés. Un comble que cette troisième étape, monument d’ennui, qui pourtant rallie Modesto, ville-, dortoir peut-être, mais aussi natale d’un certain George Lucas, créateur de Star Wars.
En attendant, vaille que vaille, je garde le pied sur l’accélérateur et les phares allumés en direction de l’Ouest. Mes Cancer Survivors, à moitié endormis devant le moniteur embarqué, me laisseraient-ils profiter de la douceur de me savoir à l’abri ? Non. Les voilà à nouveau qui viennent geindre dans ma nuque. Cette fois, ils s’ennuient. Ils avaient réclamé des attaques dans le Patterson Pass et n’ont rien vu, ce dont ils me portent à moitié responsable. « Entertain us ! », répètent-ils, furibards, comme des paysans à qui j’aurais dérobé une pomme.
Mais quoi raconter à ces gens sinon une histoire de cyclisme à visée édifiante ?
« J’étais, un jour de 1993, à Oslo. Vous en souvenez-vous ?... Jeune homme fraîchement issu du corps d’élite de l’Armée Française, j’avais été dépêché pour servir de garde du corps à M. Yitzhak Rabin, en visite dans la capitale norvégienne afin de parapher avec Clinton et Arafat ce qui devait rester dans l’Histoire sous le nom d’Accords d’Oslo. Par un heureux hasard, il se trouve qu’à la même époque, on organisait dans cette même ville, les Championnats du monde de cyclisme sur route. Rapidement mis au parfum, votre serviteur, déjà très éveillé, ne manquait pas de reconnaître au cours des cortèges officiels que nous étions obligés d’accompagner durant les jours précédant le sommet, certaines bandes de champions, s’entraînant dans une insouciance parfaite des affaires de politique étrangère. Discret, j’en saluais quelques-uns, quand bien même, tout à la préparation de l’épreuve imminente, ils ne me répondaient pas. Or, une nuit que j’étais de garde dans ma guérite, grelottant sous une pluie battante annoncée pour 10 jours, j’observe soudain les allées venues d’un coureur –professionnel sans aucun doute-, au contour massif et au physique trapu.
Que faisait-il là, à l’heure où ses coéquipiers dormaient ? Le plus naturellement du monde, il s’entraînait ; encore et encore, enchaînant, autour de la place, sprints et pédalées en roue libre, suivant le strict code de l’entraînement fractionné. M’avait-il vu ? Cherchait-il à m’impressionner ? Qu’importe. Puisque soudain, voici qu’un écureuil, le fou, chassé de son arbre par la faute des intempéries, tente de traverser la chaussée pour venir s’abriter sous une voiture ! Le drame est en route, je le vois bien... mais ne puis rien y faire.
Mon coureur – que je devine américain par l’interjection caractéristique qu’il pousse en tombant – fait une chute spectaculaire en rencontrant l’animal. Le voilà les quatre fers en l’air, sonné mais indemne, constatant –le malheureux- que son vélo a reçu un coup fatal.
Bien qu’ayant reçu l’ordre de ne quitter mon poste sous aucun prétexte, je m’approche de l’infortuné, hébêté, qui me signifie que son tube de selle est brisé, et que les Championnats, pour lui, s’arrêtent ici.
C'est ainsi qu'Oslo endormie devait être témoin de ma première rencontre avec Lance Armstrong.
Je crois ne rien maquiller à mon avantage si je déclare que nous rencontrant si désemparés l’un et l’autre, et –métaphoriquement du moins- presque à poil, nous nous plûmes.
Je bricolais rapidement sa monture en substituant à son tube un fragment du fusil à canon scié que je portais en permanence dans mon holster. Miracle, ça roulait. Il me remercia et disparut.
Deux jours plus tard, sur ce même vélo, il devenait champion du monde, tandis que trois des principaux dirigeants de la planète tombaient d’accord autour d’un plan de résolution du conflit israëlo-palestinien. Sous mon influence il est vrai, la carrière de Lance commençait quand celle de Rabin, hélàs, touchait à sa fin."
Becs fermement cloués, mes rescapés sont descendus du minibus, rêveurs et encore embués par le récit de mon souvenir de pluie.
D'après le bruit des flaques, victoire au sprint de Thor Hushovd.
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
En attendant, vaille que vaille, je garde le pied sur l’accélérateur et les phares allumés en direction de l’Ouest. Mes Cancer Survivors, à moitié endormis devant le moniteur embarqué, me laisseraient-ils profiter de la douceur de me savoir à l’abri ? Non. Les voilà à nouveau qui viennent geindre dans ma nuque. Cette fois, ils s’ennuient. Ils avaient réclamé des attaques dans le Patterson Pass et n’ont rien vu, ce dont ils me portent à moitié responsable. « Entertain us ! », répètent-ils, furibards, comme des paysans à qui j’aurais dérobé une pomme.
Mais quoi raconter à ces gens sinon une histoire de cyclisme à visée édifiante ?
« J’étais, un jour de 1993, à Oslo. Vous en souvenez-vous ?... Jeune homme fraîchement issu du corps d’élite de l’Armée Française, j’avais été dépêché pour servir de garde du corps à M. Yitzhak Rabin, en visite dans la capitale norvégienne afin de parapher avec Clinton et Arafat ce qui devait rester dans l’Histoire sous le nom d’Accords d’Oslo. Par un heureux hasard, il se trouve qu’à la même époque, on organisait dans cette même ville, les Championnats du monde de cyclisme sur route. Rapidement mis au parfum, votre serviteur, déjà très éveillé, ne manquait pas de reconnaître au cours des cortèges officiels que nous étions obligés d’accompagner durant les jours précédant le sommet, certaines bandes de champions, s’entraînant dans une insouciance parfaite des affaires de politique étrangère. Discret, j’en saluais quelques-uns, quand bien même, tout à la préparation de l’épreuve imminente, ils ne me répondaient pas. Or, une nuit que j’étais de garde dans ma guérite, grelottant sous une pluie battante annoncée pour 10 jours, j’observe soudain les allées venues d’un coureur –professionnel sans aucun doute-, au contour massif et au physique trapu.
Que faisait-il là, à l’heure où ses coéquipiers dormaient ? Le plus naturellement du monde, il s’entraînait ; encore et encore, enchaînant, autour de la place, sprints et pédalées en roue libre, suivant le strict code de l’entraînement fractionné. M’avait-il vu ? Cherchait-il à m’impressionner ? Qu’importe. Puisque soudain, voici qu’un écureuil, le fou, chassé de son arbre par la faute des intempéries, tente de traverser la chaussée pour venir s’abriter sous une voiture ! Le drame est en route, je le vois bien... mais ne puis rien y faire.
Mon coureur – que je devine américain par l’interjection caractéristique qu’il pousse en tombant – fait une chute spectaculaire en rencontrant l’animal. Le voilà les quatre fers en l’air, sonné mais indemne, constatant –le malheureux- que son vélo a reçu un coup fatal.
Bien qu’ayant reçu l’ordre de ne quitter mon poste sous aucun prétexte, je m’approche de l’infortuné, hébêté, qui me signifie que son tube de selle est brisé, et que les Championnats, pour lui, s’arrêtent ici.
C'est ainsi qu'Oslo endormie devait être témoin de ma première rencontre avec Lance Armstrong.
Je crois ne rien maquiller à mon avantage si je déclare que nous rencontrant si désemparés l’un et l’autre, et –métaphoriquement du moins- presque à poil, nous nous plûmes.
Je bricolais rapidement sa monture en substituant à son tube un fragment du fusil à canon scié que je portais en permanence dans mon holster. Miracle, ça roulait. Il me remercia et disparut.
Deux jours plus tard, sur ce même vélo, il devenait champion du monde, tandis que trois des principaux dirigeants de la planète tombaient d’accord autour d’un plan de résolution du conflit israëlo-palestinien. Sous mon influence il est vrai, la carrière de Lance commençait quand celle de Rabin, hélàs, touchait à sa fin."
Becs fermement cloués, mes rescapés sont descendus du minibus, rêveurs et encore embués par le récit de mon souvenir de pluie.
D'après le bruit des flaques, victoire au sprint de Thor Hushovd.
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
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