SUR LA ROUTE DU TOUR DE CALIFORNIE
13.2.09
Tandis que le pilote automatique amorce le dernier virage au-dessus du Pacifique, prémice obligé à l’approche de l’aéroport de Sacramento, j'aperçois l’équipe Astana au grand complet, s’entraînant en bord de plage parmi des sexagénaires torrides qui portent I-pods et mini-shorts d’adolescentes.
Ô Californie ! Lointain paradis de ma jeunesse folle ! Au coeur des années 60, surfant sur la vague, j’étais venu m’inscrire à la section cyclisme d’UCLA. Gentils mais casse-pieds, Jim Morrison et Ray Manzarek me harcelaient de questions sur la rivalité Anquetil/ Poulidor. Mes réponses les encourageaient bientôt à monter leur propre équipe, les Doors, groupe de rock sans lendemain dont je devais tenir, quelques semaines, les maracas.
J’aime la Californie, plaine de tous les possibles, dont le gouverneur fut jadis un androïde. Ses habitants, enfantins et pragmatiques, accueillent sans réserve la science et la technologie au secours de l’amour perdu et de la solitude qui menace.
Caractéristique de l’état d’esprit décomplexé des habitants de cette contrée, The AMGEN Tour of California, qui débute ce week-end, est la créature d’un laboratoire biotech parmi les plus puissants du monde. De notre chaste point de vue européen, cette incongruité suffirait déjà à le disqualifier, mais –cerise transgénique sur le gâteau modifié- AMGEN n’est rien de moins que la société qui a inventé l’EPO et qui doit à la découverte de cette pépite, de figurer aujourd’hui parmi les étoiles du Nasdaq.
Sublime dans son t-shirt sans manches Livestrong qui laisse apparaître une peau uniformément dorée et une poitrine dessinée par Crumb, Michelle, 81 ans, m’accueille au terminal. Mes bagages jetés dans le coffre, elle me conduit ensuite vers John Sutter Park Avenue où elle a sa résidence. Fan de cyclisme rencontrée sur Second Life, elle a volontiers accepté de m’héberger sitôt connue l’authenticité de ma passion.
A l’évocation de la course qui approche, l’excitation la gagne. Lance, bien sûr, mais aussi le rival Leipheimer, les revenants Landis et Basso.
- Et Tyler ? Tu crois qu’il a sa chance ?
Jamais vu aussi beau plateau sur le continent depuis la disparition des antiques Coors Classic et Tour DuPont ! Courses éteintes à la fin du siècle dernier, dont les consonances old-fashioned signifiaient encore la déférence du jeune cyclisme américain pour le modèle européen. Temps révolu. Coincés dans le trafic, Michelle et moi évoquons le souvenir de Bernard Hinault, qu’elle a vu passer dans le Colorado, en 1986, en compagnie de son troisième et dernier mari, Doug, mort depuis au cours d’un jogging.
Elle-même revenue d’une tumeur au sein droit, elle voue un culte à Lance, dont elle suit heure par heure les agissements sur twitter.com/lancearmstrong. « A-ma-zing ! » déclare-t-elle à propos de tout, comme si elle tombait perpétuellement de la dernière pluie, tandis qu’elle va et vient, en maillot, dans son confortable salon à moquette ivoire, entre l’ordinateur et moi, fourbu par le spectacle de temps d’énergie, qui cuve mon jetlag devant une canette de Red Bull. Les messages tombent. A 1:00 pm, Lance mange un beignet. Dix minutes later, il nous propose un lien vers un site scientifique. Michelle a à peine le temps de s’y rendre et de constater d’encourageantes avancées dans la découverte d’un nouveau traitement contre la prolifération des métastases, que le Septuple nous avertit de l’entame d’un second beignet.
Et ainsi de suite, de tumeurs en donuts, jusqu’à ce que le soleil épuisé lui aussi, définitivement, se couche.
Mais voilà qu’on klaxonne soudain.
Devant la résidence, on gare à mon attention le minibus AMGEN, au volant duquel je suivrais dans les prochains jours le Tour de Californie, emportant -bénévolement- à mon bord une douzaine de cancer survivors.
« A-ma-zing ! » ponctue Michelle, fort à propos.
Me serais-je encore une fois montré trop magnanime ?
Pascal d'Huez
Ô Californie ! Lointain paradis de ma jeunesse folle ! Au coeur des années 60, surfant sur la vague, j’étais venu m’inscrire à la section cyclisme d’UCLA. Gentils mais casse-pieds, Jim Morrison et Ray Manzarek me harcelaient de questions sur la rivalité Anquetil/ Poulidor. Mes réponses les encourageaient bientôt à monter leur propre équipe, les Doors, groupe de rock sans lendemain dont je devais tenir, quelques semaines, les maracas.
J’aime la Californie, plaine de tous les possibles, dont le gouverneur fut jadis un androïde. Ses habitants, enfantins et pragmatiques, accueillent sans réserve la science et la technologie au secours de l’amour perdu et de la solitude qui menace.
Caractéristique de l’état d’esprit décomplexé des habitants de cette contrée, The AMGEN Tour of California, qui débute ce week-end, est la créature d’un laboratoire biotech parmi les plus puissants du monde. De notre chaste point de vue européen, cette incongruité suffirait déjà à le disqualifier, mais –cerise transgénique sur le gâteau modifié- AMGEN n’est rien de moins que la société qui a inventé l’EPO et qui doit à la découverte de cette pépite, de figurer aujourd’hui parmi les étoiles du Nasdaq.
Sublime dans son t-shirt sans manches Livestrong qui laisse apparaître une peau uniformément dorée et une poitrine dessinée par Crumb, Michelle, 81 ans, m’accueille au terminal. Mes bagages jetés dans le coffre, elle me conduit ensuite vers John Sutter Park Avenue où elle a sa résidence. Fan de cyclisme rencontrée sur Second Life, elle a volontiers accepté de m’héberger sitôt connue l’authenticité de ma passion.
A l’évocation de la course qui approche, l’excitation la gagne. Lance, bien sûr, mais aussi le rival Leipheimer, les revenants Landis et Basso.
- Et Tyler ? Tu crois qu’il a sa chance ?
Jamais vu aussi beau plateau sur le continent depuis la disparition des antiques Coors Classic et Tour DuPont ! Courses éteintes à la fin du siècle dernier, dont les consonances old-fashioned signifiaient encore la déférence du jeune cyclisme américain pour le modèle européen. Temps révolu. Coincés dans le trafic, Michelle et moi évoquons le souvenir de Bernard Hinault, qu’elle a vu passer dans le Colorado, en 1986, en compagnie de son troisième et dernier mari, Doug, mort depuis au cours d’un jogging.
Elle-même revenue d’une tumeur au sein droit, elle voue un culte à Lance, dont elle suit heure par heure les agissements sur twitter.com/lancearmstrong. « A-ma-zing ! » déclare-t-elle à propos de tout, comme si elle tombait perpétuellement de la dernière pluie, tandis qu’elle va et vient, en maillot, dans son confortable salon à moquette ivoire, entre l’ordinateur et moi, fourbu par le spectacle de temps d’énergie, qui cuve mon jetlag devant une canette de Red Bull. Les messages tombent. A 1:00 pm, Lance mange un beignet. Dix minutes later, il nous propose un lien vers un site scientifique. Michelle a à peine le temps de s’y rendre et de constater d’encourageantes avancées dans la découverte d’un nouveau traitement contre la prolifération des métastases, que le Septuple nous avertit de l’entame d’un second beignet.
Et ainsi de suite, de tumeurs en donuts, jusqu’à ce que le soleil épuisé lui aussi, définitivement, se couche.
Mais voilà qu’on klaxonne soudain.
Devant la résidence, on gare à mon attention le minibus AMGEN, au volant duquel je suivrais dans les prochains jours le Tour de Californie, emportant -bénévolement- à mon bord une douzaine de cancer survivors.
« A-ma-zing ! » ponctue Michelle, fort à propos.
Me serais-je encore une fois montré trop magnanime ?
Pascal d'Huez
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