TOM BOONEN SOIGNE LA GRIPPE
1.10.05
A l’heure où j’écris ces lignes, nul ne sait quand le calme reviendra.
Dès dimanche soir, la Belgique a sombré dans le chaos, et des scènes d’une joie inouie s’y sont multipliées. Des lycéens ont habillé le Manneken Pis d’un maillot arc-en-ciel, et des groupes hilares traversent les villages en jetant des oranges dans les fenêtres.
Cette contrée sans orientation politique nette, patrie des kermesses cyclistes, retrouve enfin du sens, au point que certains bourgmestres tiennent pour acquis le retour de la croissance. Déjà, depuis le doublé du printemps, le chômage avait décru. Cette fois, après la nouvelle victoire de Tom Boonen aux mondiaux de Madrid, l’enthousiasme s’est propagé à tous les niveaux de la société, jusqu’aux technocrates de Bruxelles, réputés si glaciaux, qu’on entend dorénavant marcher en sifflotant vers le bureau.
Fini l’enivrement chimique du samedi soir dans des night-clubs autoroutiers de la frontière française, terminé l’abrutissement hebdomadaire à la mauvaise techno ; les forces vives de la nation ont trouvé un modèle, un champion, une coiffure à adopter.
La bonne marche d’un pays ne tient quelquefois qu’à l’existence d’un sportif d’exception, apte à apaiser les tensions, niveller les différences, prompt à faire oublier en un sprint gagnant les revendications des minorités, réanimant les couples, relevant la natalité.
Un jeune pharaon flamand né à Mol, après la guerre et deux chocs pétroliers, un qui n’a connu ni Brel, ni Merckx, paraît en mesure de réconcilier les familles Lotto et Quick Step.
A l’instar de son contemporain, Fernando Alonso, Tom Boonen tombe à pic pour tirer sa discipline d’une longue suite de mauvais pas. Silhouette d’adolescent dégingandé, bouille de farceur, frais comme l’estragon, il est une publicité vivante pour les produits laitiers.
Le croire accroc à l’EPO serait aussi fantasque qu’imaginer Oui-Oui héroïnomane.
Hélàs pour lui s’il avait prévu de mener une tranquille carrière de champion, ses excellentes dispositions l’obligent à un devoir supranational.
La lourde tâche lui revient de rendre au cyclisme sa virginité.
Qu’avec lui, la bicyclette soit de nouveau simple comme bonjour.
Or, saura-t-il faire le vélo aussi glamour que le beach-volley ?
Pourra-t-il renverser le cours naturel de l’histoire en tapant le bœuf avec les stars du tennis et de la NBA ? Plus séduisant que le Pro-Tour, sait-il au moins qu’il représente le dernier point ravito d’une activité sujette à un sérieux coup de fringale ?
Sans doute aurait-il préféré ne pas être investi d’une charge aussi encombrante pour un garçon de 25 ans, qui ne demande qu’à pédaler.
C’est ainsi. Il est né le divin enfant, disait avant-hier, sur sa route d’entraînement, une banderole peinte par un syndicat policier.
Cris, pleurs et syncopes, rythment désormais les déplacements du peuple de supporters rangés derrière les rambardes, qui attendent un signe de leur idole. Indifférent aux flashes, comme aux jeunes femmes venues d’Europe de l’est qui tendent vers lui des appareils jetables et des photos à dédicacer, Tom reste sagement à l’écart, assis sur son cadre.
Soignant sa concentration, il attend le départ en usant les batteries de sa Game Boy sur CosmoGlouton, un jeu de stratégie de niveau III. A chaque système solaire englouti : 10 points. Tous les 10 points, un bonus. A chaque bonus, un palier supplémentaire franchi et une dimension plus hostile à pénétrer.
Difficile, de toutes façons, d’obtenir une bonne photo en sa compagnie, car une fois sur deux, il s’amuse à faire des gueules (le petit vieux, le Chinois, le Français).
Trait dominant de son caractère, son espièglerie en fait un camarade apprécié, notamment des Italiens, avec lesquels il aime partager la chambrée.
Demandez donc ce qu’en pense Bettini, dont la peau de chamois avait été tartiné de moutarde au départ de la dernière Flèche Wallonne.
Quand d’autres prendraient la grosse tête, s’effondreraient sous la pression, Tom préfère les illustrés, les bandes-dessinées d’avions, ou encore les comédies américaines, ou les Van Damme, dont il est fan. Il a sur l’acteur un tas d’objets dérivés, un sac-banane, et, sinon, des poings de Hulk, en plastique, qui font un bruit de mur qui s’effondre quand on lance les bras en l’air. (Voir l’arrivée victorieuse du critérium de Tournai)
Cet homme, vers qui convergent les espoirs les plus fous, aime surtout passer du temps avec des gros chiens marrants.
Il en est fou. Sa couette est imprimée de rantanplans. Ses gros chaussons Tintin et Milou lui sont bien utiles dans les hotels sous-chauffés du circuit Pro-Tour, car ses pieds, pointure 46, dépassent non seulement du podium, mais aussi du lit.
Il y resterait des heures, s’il n’était quelquefois dérangé par un groupe d’adorateurs, cachés dans les doubles-rideaux. ■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
Dès dimanche soir, la Belgique a sombré dans le chaos, et des scènes d’une joie inouie s’y sont multipliées. Des lycéens ont habillé le Manneken Pis d’un maillot arc-en-ciel, et des groupes hilares traversent les villages en jetant des oranges dans les fenêtres.
Cette contrée sans orientation politique nette, patrie des kermesses cyclistes, retrouve enfin du sens, au point que certains bourgmestres tiennent pour acquis le retour de la croissance. Déjà, depuis le doublé du printemps, le chômage avait décru. Cette fois, après la nouvelle victoire de Tom Boonen aux mondiaux de Madrid, l’enthousiasme s’est propagé à tous les niveaux de la société, jusqu’aux technocrates de Bruxelles, réputés si glaciaux, qu’on entend dorénavant marcher en sifflotant vers le bureau.
Fini l’enivrement chimique du samedi soir dans des night-clubs autoroutiers de la frontière française, terminé l’abrutissement hebdomadaire à la mauvaise techno ; les forces vives de la nation ont trouvé un modèle, un champion, une coiffure à adopter.
La bonne marche d’un pays ne tient quelquefois qu’à l’existence d’un sportif d’exception, apte à apaiser les tensions, niveller les différences, prompt à faire oublier en un sprint gagnant les revendications des minorités, réanimant les couples, relevant la natalité.
Un jeune pharaon flamand né à Mol, après la guerre et deux chocs pétroliers, un qui n’a connu ni Brel, ni Merckx, paraît en mesure de réconcilier les familles Lotto et Quick Step.
A l’instar de son contemporain, Fernando Alonso, Tom Boonen tombe à pic pour tirer sa discipline d’une longue suite de mauvais pas. Silhouette d’adolescent dégingandé, bouille de farceur, frais comme l’estragon, il est une publicité vivante pour les produits laitiers.
Le croire accroc à l’EPO serait aussi fantasque qu’imaginer Oui-Oui héroïnomane.
Hélàs pour lui s’il avait prévu de mener une tranquille carrière de champion, ses excellentes dispositions l’obligent à un devoir supranational.
La lourde tâche lui revient de rendre au cyclisme sa virginité.
Qu’avec lui, la bicyclette soit de nouveau simple comme bonjour.
Or, saura-t-il faire le vélo aussi glamour que le beach-volley ?
Pourra-t-il renverser le cours naturel de l’histoire en tapant le bœuf avec les stars du tennis et de la NBA ? Plus séduisant que le Pro-Tour, sait-il au moins qu’il représente le dernier point ravito d’une activité sujette à un sérieux coup de fringale ?
Sans doute aurait-il préféré ne pas être investi d’une charge aussi encombrante pour un garçon de 25 ans, qui ne demande qu’à pédaler.
C’est ainsi. Il est né le divin enfant, disait avant-hier, sur sa route d’entraînement, une banderole peinte par un syndicat policier.
Cris, pleurs et syncopes, rythment désormais les déplacements du peuple de supporters rangés derrière les rambardes, qui attendent un signe de leur idole. Indifférent aux flashes, comme aux jeunes femmes venues d’Europe de l’est qui tendent vers lui des appareils jetables et des photos à dédicacer, Tom reste sagement à l’écart, assis sur son cadre.
Soignant sa concentration, il attend le départ en usant les batteries de sa Game Boy sur CosmoGlouton, un jeu de stratégie de niveau III. A chaque système solaire englouti : 10 points. Tous les 10 points, un bonus. A chaque bonus, un palier supplémentaire franchi et une dimension plus hostile à pénétrer.
Difficile, de toutes façons, d’obtenir une bonne photo en sa compagnie, car une fois sur deux, il s’amuse à faire des gueules (le petit vieux, le Chinois, le Français).
Trait dominant de son caractère, son espièglerie en fait un camarade apprécié, notamment des Italiens, avec lesquels il aime partager la chambrée.
Demandez donc ce qu’en pense Bettini, dont la peau de chamois avait été tartiné de moutarde au départ de la dernière Flèche Wallonne.
Quand d’autres prendraient la grosse tête, s’effondreraient sous la pression, Tom préfère les illustrés, les bandes-dessinées d’avions, ou encore les comédies américaines, ou les Van Damme, dont il est fan. Il a sur l’acteur un tas d’objets dérivés, un sac-banane, et, sinon, des poings de Hulk, en plastique, qui font un bruit de mur qui s’effondre quand on lance les bras en l’air. (Voir l’arrivée victorieuse du critérium de Tournai)
Cet homme, vers qui convergent les espoirs les plus fous, aime surtout passer du temps avec des gros chiens marrants.
Il en est fou. Sa couette est imprimée de rantanplans. Ses gros chaussons Tintin et Milou lui sont bien utiles dans les hotels sous-chauffés du circuit Pro-Tour, car ses pieds, pointure 46, dépassent non seulement du podium, mais aussi du lit.
Il y resterait des heures, s’il n’était quelquefois dérangé par un groupe d’adorateurs, cachés dans les doubles-rideaux. ■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
2 Comments:
http://pierre3805.easyforum.fr/index.forum
Vraiment trop marrant
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