RIONS AVEC BJARNE RIIS
1.6.05
Porte de Versailles, Concours Lépine. A la veille du giro.
Bjarne Riis, patron du Team CSC, jubile.
Il brandit aux photographes un système de communication révolutionnaire conçu par un chirurgien japonais : une petite canule qui s’introduit par l’anus, et via laquelle, par de brèves impulsions électriques, il pourra désormais guider ses coureurs.
Ecarlate, il évoque le temps venu des grandes passes d’armes à réguler depuis l’arrière. « A nous les grands tours ! », rugit-il, une main sur l’épaule de son leader, Ivan Basso, qui affiche un sourire doux.
Le fin connaisseur que vous êtes, ami lecteur, sait apprécier à sa juste valeur une authentique défaillance.
Contrepoids de l’exploit, la défaillance fait partie des figures essentielles au cyclisme, au point que sans elle, il n’y aurait rien à raconter, il ne resterait que des roues, des jambes, des chiffres, un fanion Chocolat Poulain sur le bitume.
Le petit coup de pompe rencontré par Ivan Basso lors de l’étape Egna/Neumarkt – Livigno (plus de quarante minutes perdues) est, dans ce domaine, une pièce de choix, à ranger sur l’étagère du haut, entre Pearl Harbour et Guernica. Une déconfiture telle, qu’elle a fait passer au second rang celle du jeune Cunego, déjà battu pour la victoire, qui n’aura été, cette année, premier nulle part.
Qu’a-t-il bien pu se passer ?
L’intéressé a mis en avant des soucis gastriques, une grippe intestinale provoquée par l’ingestion d’une boisson trop fraîche, la veille, au bas du podium.
Ces arguments, qui suffisent à écarter les soupçons des journalistes, ne sauraient convaincre l’observateur attentif, intelligemment posté auprès du car CSC, qui subodore à cet échec une toute autre cause.
Bjarne Riis, adepte des méthodes de management les plus avancées, n’aurait-il pas un peu trop tiré sur la corde ?
Chacun se souvient avec effroi du reportage paru dans le Vélo Magazine de Février 2005, où l’on pouvait voir les hommes du Team CSC crapahuter dans la campagne danoise, en tenue camouflage, se livrant à différents exercices physiques, froidement récompensés par des rations de survie.
On a eu beau en rire ; quelques semaines plus tard, les résultats sont là. Bobby Julich, ressuscité, gagne Paris-Nice, le Critérium International, Jens Voigt, le Tour Méditerranéen.
Ces succès, loin d’être inattendus, sont alors directement imputés à la personnalité de Bjarne Riis, ancien athlète, dur au mal.
On se souvient qu’afin de perdre du poids, le vainqueur du Tour 96 avait pour habitude d’aller se coucher avec la faim au ventre. Une habitude qu’il a transmise aujourd'hui à ses coureurs, pour le bien de tous, et gare à celui dont l’oreiller cache un Bounty.
Réveil au milieu de la nuit, bains glacés, chasse au dahut, retraite aux flambeaux, …Tout est bon à Bjarne Riis pour forger le tempérament de ses athlètes.
« Il a une imagination dingue… », me confiait l’autre nuit Jakob Piil, à bout, « Il nous fait faire de la course en sac…C’est déjà pas facile à pied !…Quand on s’est tapé cent bornes à ce rythme-là, il nous récompense par un jeu : un-deux-trois-soleil !…Rien de tel pour maîtriser le surplace ».
Les gars, on s’en doute, acceptent plus ou moins bien ce traitement. Certains voient leurs performances monter en flèche, et en redemandent. Ceux-là, Bjarne Riis les mouchent en leur apportant le jus d’orange pressé au lit.
Chez les autres, la grogne monte.
L’an passé, une séance de beach-cycling (des sprints massifs dans du sable mouillé) a mis le feu aux poudres. Jorg Jaksche, au terme de huit jours de mitar, a signé chez Liberty Seguros, où, prétend-il, on peut même écouter de la musique dans le car.
A bord du Pullman CSC, autre chanson : on doit se farcir les cassettes pré-enregistrées de Bjarne. Des chants danois que les coureurs sont invités à reprendre en chœur à l’aide de fiches polycopiées.
Fatalement, depuis avril, ça commence à tirer au flanc. Nombreux sont ceux qui évitent les séminaires, et dont un parent médecin fournit au coach un alibi bidon.
Tels des adolescents en grippe avec le système, certains se provoquent des crises d’appendicite, des chutes, ou comme Basso, somatisent au point de défaillir. D’autres disparaissent carrément dans le paysage.
Ils s’échappent, arrachent leur oreillette au gré d’une sortie de route dans un côteau, d’où Bjarne Riis ne les verra jamais sortir.
Le plus souvent, ils échangent leur bicyclette contre des papiers tout neufs, passent la frontière, refont leur vie.
A un mois du Tour, Bjarne Riis s’inquiète de cet exode, et sans renoncer à ses pratiques, semble avoir trouvé la parade : une puce magnétique qui s’agrafe dans le testicule du coureur, à la manière d’un piercing (et dont la batterie se glisse dans la canule).
Muni de ce système depuis janvier, le jeune espoir Sven Larsen a pourtant réussi à prendre la poudre d’escampette au terme du critérium d’Helgenborg.
Longtemps introuvable, il a été retrouvé grâce à la complicité des gendarmes.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
Bjarne Riis, patron du Team CSC, jubile.
Il brandit aux photographes un système de communication révolutionnaire conçu par un chirurgien japonais : une petite canule qui s’introduit par l’anus, et via laquelle, par de brèves impulsions électriques, il pourra désormais guider ses coureurs.
Ecarlate, il évoque le temps venu des grandes passes d’armes à réguler depuis l’arrière. « A nous les grands tours ! », rugit-il, une main sur l’épaule de son leader, Ivan Basso, qui affiche un sourire doux.
Le fin connaisseur que vous êtes, ami lecteur, sait apprécier à sa juste valeur une authentique défaillance.
Contrepoids de l’exploit, la défaillance fait partie des figures essentielles au cyclisme, au point que sans elle, il n’y aurait rien à raconter, il ne resterait que des roues, des jambes, des chiffres, un fanion Chocolat Poulain sur le bitume.
Le petit coup de pompe rencontré par Ivan Basso lors de l’étape Egna/Neumarkt – Livigno (plus de quarante minutes perdues) est, dans ce domaine, une pièce de choix, à ranger sur l’étagère du haut, entre Pearl Harbour et Guernica. Une déconfiture telle, qu’elle a fait passer au second rang celle du jeune Cunego, déjà battu pour la victoire, qui n’aura été, cette année, premier nulle part.
Qu’a-t-il bien pu se passer ?
L’intéressé a mis en avant des soucis gastriques, une grippe intestinale provoquée par l’ingestion d’une boisson trop fraîche, la veille, au bas du podium.
Ces arguments, qui suffisent à écarter les soupçons des journalistes, ne sauraient convaincre l’observateur attentif, intelligemment posté auprès du car CSC, qui subodore à cet échec une toute autre cause.
Bjarne Riis, adepte des méthodes de management les plus avancées, n’aurait-il pas un peu trop tiré sur la corde ?
Chacun se souvient avec effroi du reportage paru dans le Vélo Magazine de Février 2005, où l’on pouvait voir les hommes du Team CSC crapahuter dans la campagne danoise, en tenue camouflage, se livrant à différents exercices physiques, froidement récompensés par des rations de survie.
On a eu beau en rire ; quelques semaines plus tard, les résultats sont là. Bobby Julich, ressuscité, gagne Paris-Nice, le Critérium International, Jens Voigt, le Tour Méditerranéen.
Ces succès, loin d’être inattendus, sont alors directement imputés à la personnalité de Bjarne Riis, ancien athlète, dur au mal.
On se souvient qu’afin de perdre du poids, le vainqueur du Tour 96 avait pour habitude d’aller se coucher avec la faim au ventre. Une habitude qu’il a transmise aujourd'hui à ses coureurs, pour le bien de tous, et gare à celui dont l’oreiller cache un Bounty.
Réveil au milieu de la nuit, bains glacés, chasse au dahut, retraite aux flambeaux, …Tout est bon à Bjarne Riis pour forger le tempérament de ses athlètes.
« Il a une imagination dingue… », me confiait l’autre nuit Jakob Piil, à bout, « Il nous fait faire de la course en sac…C’est déjà pas facile à pied !…Quand on s’est tapé cent bornes à ce rythme-là, il nous récompense par un jeu : un-deux-trois-soleil !…Rien de tel pour maîtriser le surplace ».
Les gars, on s’en doute, acceptent plus ou moins bien ce traitement. Certains voient leurs performances monter en flèche, et en redemandent. Ceux-là, Bjarne Riis les mouchent en leur apportant le jus d’orange pressé au lit.
Chez les autres, la grogne monte.
L’an passé, une séance de beach-cycling (des sprints massifs dans du sable mouillé) a mis le feu aux poudres. Jorg Jaksche, au terme de huit jours de mitar, a signé chez Liberty Seguros, où, prétend-il, on peut même écouter de la musique dans le car.
A bord du Pullman CSC, autre chanson : on doit se farcir les cassettes pré-enregistrées de Bjarne. Des chants danois que les coureurs sont invités à reprendre en chœur à l’aide de fiches polycopiées.
Fatalement, depuis avril, ça commence à tirer au flanc. Nombreux sont ceux qui évitent les séminaires, et dont un parent médecin fournit au coach un alibi bidon.
Tels des adolescents en grippe avec le système, certains se provoquent des crises d’appendicite, des chutes, ou comme Basso, somatisent au point de défaillir. D’autres disparaissent carrément dans le paysage.
Ils s’échappent, arrachent leur oreillette au gré d’une sortie de route dans un côteau, d’où Bjarne Riis ne les verra jamais sortir.
Le plus souvent, ils échangent leur bicyclette contre des papiers tout neufs, passent la frontière, refont leur vie.
A un mois du Tour, Bjarne Riis s’inquiète de cet exode, et sans renoncer à ses pratiques, semble avoir trouvé la parade : une puce magnétique qui s’agrafe dans le testicule du coureur, à la manière d’un piercing (et dont la batterie se glisse dans la canule).
Muni de ce système depuis janvier, le jeune espoir Sven Larsen a pourtant réussi à prendre la poudre d’escampette au terme du critérium d’Helgenborg.
Longtemps introuvable, il a été retrouvé grâce à la complicité des gendarmes.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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