CIPO, COUREUR AUTO
1.5.05
A l’approche de l’arrivée, lorsque la décision se fait attendre, et qu’une masse confuse se présente dans le final, certains coureurs ont pour vocation d’achever la course. L’appel de la ligne les transcende. La flamme rouge est leur muleta.
La caste des sprinters est celle qui suscite le plus de jalousies. Aux autres, le sale boulot ; à eux, le beau rôle. Ils ne surgissent à la lumière qu’au moment où les caméras s’allument, propres comme au sortir de la douche, subitement inspirés.
Le reste du temps, ils n’ont pas d’idées, pas d’envies. Ils mangent des pâtes de fruits.
Imaginez-vous allant au bureau par la quatre voies rugissante qui mène de Florence à Livourne. Avant la sortie pour Pise, pourtant peu enclin aux hallucinations, vous doublez –difficilement- deux cyclistes, qui éxécutent là leur parcours matinal.
Calmos. C'est Cipollini qui s'entraîne, en compagnie de l'un de ses fidèles grégarii. Plus tard, la patrouille l’honorera d’une contravention de 63 euros, non pas, hélàs, pour excès de vitesse, mais pour circulation sur une route à trafic important avec un moyen non consenti.
Mario Cipollini (qui a pris sa retraite cette semaine, après avoir, tel un footballeur, gagné son dernier cachet au Qatar) fut un cycliste motivé par la passion des cylindrées.
Mieux encore, plutôt que de se prendre pour Fangio, comme la plupart de ses compatriotes mâles, il a entrepris de devenir lui-même un bolide. Un mécanisme de précision, qu’il fallait passer l’hiver entier à régler, à l’aide d’huiles essentielles.
Soucieux de son carénage, il passait, dit-on, plus de temps à choisir la couleur de son cuissard qu’à gagner la course ; son maniérisme vestimentaire, jamais du meilleur goût mais toujours joyeux, relevant à l’évidence de l’art du tuning.
Entre 1996 et 2001, il avait trouvé dans les couleurs intégralement rouges de l’équipe Saeco la tenue idéale, rappel subtil de la marque au cheval. Casqué, bronzé, ses lunettes noires lui faisant comme un masque de super-héros, il se propulsait dans les derniers cent mètres avec un rictus carnassier, qui évoquait celui d’une créature de cyclisme-fiction, mi-muscle, mi-ferraille.
Dès lors, à l’automne 2002, rien ne surprit moins que de le voir s’imposer aux mondiaux de Zolder, bienveillamment organisés sur un circuit de Formule 1.
Ce jour-là, fait notable, la Squadra avait fonctionné à merveille, chacun se sacrifiant à tour de rôle pour empêcher toute tentative d’échappée ennemie.
Inutile de tenter d’imaginer la bringue qui suivit.
Il y a chez le sprinter, l’intuition qu’il faut, de toute urgence, se retrouver derrière la ligne, terminer la course.
Pourquoi ?
Pour en recommencer une autre ?
Non.
Pour aller en discothèque.
On a beaucoup critiqué la légèreté de Mario Cipollini, on a souligné sa lâcheté à ne jamais finir le Tour.
Je voudrais aujourd’hui le réhabiliter, et saluer son mérite à n’être jamais tombé dans les comptes d’apothicaire des sprints-bonifications pour le maillot vert. Ne lui importait que la victoire, et qui se souvient de l’avoir vu combattre pour une place d’honneur ?
Poussif en montagne, mais coquet, il préférait ne pas y être vu.
Il abandonnait au matin de l’Alpe, avec sa liasse de chèques, et la fille du maire de la ville-étape, car il y avait aussi de la chair dans le boyau de ce Cipo-là.
Coude sur la portière, en décapotable, où il fait si bon rouler contre le vent, il partait en java jusqu’au prochain sprint, car le sprint est comme le casino. Difficile, depuis qu’on a gagné une fois, de s’empêcher d’y retourner. A moins de s’en faire interdire.
Longtemps dépendant, mais de moins en moins gagnant, Cipollini, à l’âge de 38 ans, est enfin parvenu à décrocher.
Il se range des bagnoles.
Peu de chances de le revoir dans le monde du vélo, ou bien c’est qu’il aura flambé trop vite les primes accumulées au cours de ses rafles massives sur les critériums d’été. Auquel cas la RAI lui proposera bien un show, car le beau Mario, souverain dans le peloton, devient une proie facile pour qui cherche du people.
La nuit précédant la disparition de Pantani, il fit ce rêve singulier :
« Marco et moi étions à la terrasse d’un restaurant. Il était très élégant, en costume noir et cravate blanche, rasé et bronzé. Je rêvais de l’embrasser. Je me rappelle la sensation physique de cette embrassade. Le lendemain, je cherchai à lui parler. Trop tard. »
Preuve définitive que ce sprinter n’était pas un rustre, et qu’il ne tardera pas à lancer sa propre ligne.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
La caste des sprinters est celle qui suscite le plus de jalousies. Aux autres, le sale boulot ; à eux, le beau rôle. Ils ne surgissent à la lumière qu’au moment où les caméras s’allument, propres comme au sortir de la douche, subitement inspirés.
Le reste du temps, ils n’ont pas d’idées, pas d’envies. Ils mangent des pâtes de fruits.
Imaginez-vous allant au bureau par la quatre voies rugissante qui mène de Florence à Livourne. Avant la sortie pour Pise, pourtant peu enclin aux hallucinations, vous doublez –difficilement- deux cyclistes, qui éxécutent là leur parcours matinal.
Calmos. C'est Cipollini qui s'entraîne, en compagnie de l'un de ses fidèles grégarii. Plus tard, la patrouille l’honorera d’une contravention de 63 euros, non pas, hélàs, pour excès de vitesse, mais pour circulation sur une route à trafic important avec un moyen non consenti.
Mario Cipollini (qui a pris sa retraite cette semaine, après avoir, tel un footballeur, gagné son dernier cachet au Qatar) fut un cycliste motivé par la passion des cylindrées.
Mieux encore, plutôt que de se prendre pour Fangio, comme la plupart de ses compatriotes mâles, il a entrepris de devenir lui-même un bolide. Un mécanisme de précision, qu’il fallait passer l’hiver entier à régler, à l’aide d’huiles essentielles.
Soucieux de son carénage, il passait, dit-on, plus de temps à choisir la couleur de son cuissard qu’à gagner la course ; son maniérisme vestimentaire, jamais du meilleur goût mais toujours joyeux, relevant à l’évidence de l’art du tuning.
Entre 1996 et 2001, il avait trouvé dans les couleurs intégralement rouges de l’équipe Saeco la tenue idéale, rappel subtil de la marque au cheval. Casqué, bronzé, ses lunettes noires lui faisant comme un masque de super-héros, il se propulsait dans les derniers cent mètres avec un rictus carnassier, qui évoquait celui d’une créature de cyclisme-fiction, mi-muscle, mi-ferraille.
Dès lors, à l’automne 2002, rien ne surprit moins que de le voir s’imposer aux mondiaux de Zolder, bienveillamment organisés sur un circuit de Formule 1.
Ce jour-là, fait notable, la Squadra avait fonctionné à merveille, chacun se sacrifiant à tour de rôle pour empêcher toute tentative d’échappée ennemie.
Inutile de tenter d’imaginer la bringue qui suivit.
Il y a chez le sprinter, l’intuition qu’il faut, de toute urgence, se retrouver derrière la ligne, terminer la course.
Pourquoi ?
Pour en recommencer une autre ?
Non.
Pour aller en discothèque.
On a beaucoup critiqué la légèreté de Mario Cipollini, on a souligné sa lâcheté à ne jamais finir le Tour.
Je voudrais aujourd’hui le réhabiliter, et saluer son mérite à n’être jamais tombé dans les comptes d’apothicaire des sprints-bonifications pour le maillot vert. Ne lui importait que la victoire, et qui se souvient de l’avoir vu combattre pour une place d’honneur ?
Poussif en montagne, mais coquet, il préférait ne pas y être vu.
Il abandonnait au matin de l’Alpe, avec sa liasse de chèques, et la fille du maire de la ville-étape, car il y avait aussi de la chair dans le boyau de ce Cipo-là.
Coude sur la portière, en décapotable, où il fait si bon rouler contre le vent, il partait en java jusqu’au prochain sprint, car le sprint est comme le casino. Difficile, depuis qu’on a gagné une fois, de s’empêcher d’y retourner. A moins de s’en faire interdire.
Longtemps dépendant, mais de moins en moins gagnant, Cipollini, à l’âge de 38 ans, est enfin parvenu à décrocher.
Il se range des bagnoles.
Peu de chances de le revoir dans le monde du vélo, ou bien c’est qu’il aura flambé trop vite les primes accumulées au cours de ses rafles massives sur les critériums d’été. Auquel cas la RAI lui proposera bien un show, car le beau Mario, souverain dans le peloton, devient une proie facile pour qui cherche du people.
La nuit précédant la disparition de Pantani, il fit ce rêve singulier :
« Marco et moi étions à la terrasse d’un restaurant. Il était très élégant, en costume noir et cravate blanche, rasé et bronzé. Je rêvais de l’embrasser. Je me rappelle la sensation physique de cette embrassade. Le lendemain, je cherchai à lui parler. Trop tard. »
Preuve définitive que ce sprinter n’était pas un rustre, et qu’il ne tardera pas à lancer sa propre ligne.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
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