LA VIE SUR LES GRANDS PLATEAUX
15.12.04
Mandaté par la rédaction de Vélo Magazine pour aller porter au champion Lance Armstrong son Vélo d’or 2004, j’atterrissais à l’aéroport d’Austin par un froid de canard, aux côtés du Ministre des Sports, Monsieur Jean-François Lamour, lequel, sur un coup de tête, avait eu la gentillesse de m’accompagner…
Les grands champions ont en commun de savoir recevoir. Petits fours à volonté chez Bernard Hinault, calissons d’Aix à la villa de Bubka, un chocolat chaud est offert à tous ceux qui frappent à la porte d’Ivan Lendl. Ici, parmi les vaches paisiblement gérées par des hommes à chevaux, c’est deux jeux complets de tenue Discovery Channel qui nous furent remises à notre arrivée au ranch, afin de nous faire patienter, car, malheureusement, le boss venait de partir en reconnaissance, et nul ne savait quand il reviendrait.
Jus d’orange, donuts, organisation à l’américaine, on nous présenta deux lits jumeaux, dans une grange de charme aux murs constellés de posters du champion en compagnie des grands de ce monde, comme le Président Bush, Laurent Jalabert, ou encore, l’ex-secrétaire général de l’ONU, Pérez de Cuéllar.
C’est alors que, fourbus, nous nous apprêtions à nous changer, qu’un imprévu survint, qui me permit de faire étalage de mes qualités d’homme. Apprenant que son bagage avait été égaré par la négligence d’un employé de la Panam, j’offris à notre ministre d’emprunter mes propres affaires, tandis que, de mon côté, je porterais ma toute nouvelle tenue cycliste.
Or, à peine avais-je entrepris de me raser les jambes qu’on nous invita de toute urgence à nous rendre au White Snake, un bar-restaurant où Lance avait ses habitudes.
Ici, être habillé en cycliste n'est pas un phénomène capable d'intéresser les clients, des hommes vêtus pour leur part de grossières chemises à carreaux et d’authentiques Stetson, qui semblaient attendre une bagarre imminente sous des rangées de bouteilles et de lionceaux en peluches. A l’arrière, un rideau rouge refermait la scène dédiée aux soirées country.
“ Où est Lance ? ” avisai-je immédiatement la patronne aux mèches décolorées. Du menton, elle m’indiqua l'arrière-salle. Je me précipitai.
“ Ne le dérangez sous aucun prétexte !” hurla-t-elle, “ … En attendant son plat, il est parti s’entraîner sur rouleaux.”
Les habitués sourirent.
- Pardon ? Qu’est-ce que c’est que cette comédie ?, s’emporta alors Jean-François Lamour, engoncé dans ma veste, je suis le ministre Français des sports, madame !…Et nous sommes venus remettre à Lance Armstrong son Trophée Vélo d’Or !…Veuillez ouvrir cette porte ! ”
Pour appuyer ses propos, je tirai de mon sac la récompense tant convoitée par le peloton mondial, et la posai sur le comptoir. Quelques rires éclatèrent. Tournant la tête, j’aperçus trois trophées similaires utilisés comme sous-bocks. Cette fois, c’en était trop. Le Ministre bouscula la patronne et se dirigea droit vers le rideau.
“ Attention ”, l’alerta un Mexicain, hilare, avec un accent au couteau “ la puissance dégagée est si forte que tu risques d’être électrisé ! ”. Trop tard. Le ministre avait écarté le rideau, et ses cheveux se dressaient à présent sur sa tête.
Les rouleaux ne tournaient plus que pour eux-mêmes, la place était vide, Lance venait de filer par la porte de derrière.
Pour meubler une fin d’après-midi glaciale, un mini-van nous emmena sur les champs pétrolifères, où j'en profitais pour donner à notre ministre un aperçu de mes connaissances en chimie. Le soir tombant, on nous signala Armstrong au Nord-Ouest. Il fonçait en direction du Plateau d’Edwards, derrière derny. “ Allez plutôt vous reposer ! ”, nous conseilla-t-on, il était inutile de l’attendre. Le champion ne dormirait pas au ranch ce soir, mais sous une tente, en altitude.
“ Nous l’aurons ! Ne vous en faites pas ! ”, tentai-je de réconforter mon complice d'infortune, tandis que, bien au chaud, nous avions regagné nos lits.
- On doit absolument l’intercepter, et lui remettre son truc. Dans quarante-huit heures, j’inaugure un gymnase, à la Hague.
– Ne vous en faites pas, il l’aura !
Le lendemain, vers quinze heures, à bord d’un puissant cabriolet loué pour l’occasion, nous parvînmes à rattrapper Lance Armstrong lancé pleins gaz sur la route du Rio Grande.
Sa poursuite ne fut pas aisée, et le ministre, à qui j’avais confié le volant, prit bien des risques pour nous maintenir à sa hauteur.
Peine perdue hélàs, car concentré à l’extrême, le champion Texan, enregistrant simultanément des données tactiques au microphone, devait ne pas avoir un seul regard pour nous, quand bien même je m’attelais, en déséquilibre sur l’aile avant, à lui envoyer dans l’œil les reflets du Vélo d’Or.
“ Promettez-moi seulement de ne pas faire de conneries ”, me pria le ministre. Mais fidèle à mon idée, je me levai, attachai l’extrêmité d’une corde à mon cuissard, et, malgré la vitesse, me mis à faire tourner dans l’air le cercle quasi-parfait d’un lasso.
Par trois fois, je fus prêt de l’avoir.
Un premier lancer accrocha son guidon, avant de glisser ; le second atteignit –sans le blesser- l’impassible pilote du derny ; quant au troisième, il partit en vrille et se coinça dans la roue de notre bolide, nous obligeant à l’abandon.
Nous ne revîmes plus jamais Lance.
De retour à Paris, j’expédiai le trophée par la poste.
J’avais cependant gagné un ami, et le ministre et moi, partant chacun de notre côté après une poignée de mains vigoureuse, nous jurâmes de nous revoir pour les fêtes.
PASCAL D’HUEZ, décembre 2004.
Les grands champions ont en commun de savoir recevoir. Petits fours à volonté chez Bernard Hinault, calissons d’Aix à la villa de Bubka, un chocolat chaud est offert à tous ceux qui frappent à la porte d’Ivan Lendl. Ici, parmi les vaches paisiblement gérées par des hommes à chevaux, c’est deux jeux complets de tenue Discovery Channel qui nous furent remises à notre arrivée au ranch, afin de nous faire patienter, car, malheureusement, le boss venait de partir en reconnaissance, et nul ne savait quand il reviendrait.
Jus d’orange, donuts, organisation à l’américaine, on nous présenta deux lits jumeaux, dans une grange de charme aux murs constellés de posters du champion en compagnie des grands de ce monde, comme le Président Bush, Laurent Jalabert, ou encore, l’ex-secrétaire général de l’ONU, Pérez de Cuéllar.
C’est alors que, fourbus, nous nous apprêtions à nous changer, qu’un imprévu survint, qui me permit de faire étalage de mes qualités d’homme. Apprenant que son bagage avait été égaré par la négligence d’un employé de la Panam, j’offris à notre ministre d’emprunter mes propres affaires, tandis que, de mon côté, je porterais ma toute nouvelle tenue cycliste.
Or, à peine avais-je entrepris de me raser les jambes qu’on nous invita de toute urgence à nous rendre au White Snake, un bar-restaurant où Lance avait ses habitudes.
Ici, être habillé en cycliste n'est pas un phénomène capable d'intéresser les clients, des hommes vêtus pour leur part de grossières chemises à carreaux et d’authentiques Stetson, qui semblaient attendre une bagarre imminente sous des rangées de bouteilles et de lionceaux en peluches. A l’arrière, un rideau rouge refermait la scène dédiée aux soirées country.
“ Où est Lance ? ” avisai-je immédiatement la patronne aux mèches décolorées. Du menton, elle m’indiqua l'arrière-salle. Je me précipitai.
“ Ne le dérangez sous aucun prétexte !” hurla-t-elle, “ … En attendant son plat, il est parti s’entraîner sur rouleaux.”
Les habitués sourirent.
- Pardon ? Qu’est-ce que c’est que cette comédie ?, s’emporta alors Jean-François Lamour, engoncé dans ma veste, je suis le ministre Français des sports, madame !…Et nous sommes venus remettre à Lance Armstrong son Trophée Vélo d’Or !…Veuillez ouvrir cette porte ! ”
Pour appuyer ses propos, je tirai de mon sac la récompense tant convoitée par le peloton mondial, et la posai sur le comptoir. Quelques rires éclatèrent. Tournant la tête, j’aperçus trois trophées similaires utilisés comme sous-bocks. Cette fois, c’en était trop. Le Ministre bouscula la patronne et se dirigea droit vers le rideau.
“ Attention ”, l’alerta un Mexicain, hilare, avec un accent au couteau “ la puissance dégagée est si forte que tu risques d’être électrisé ! ”. Trop tard. Le ministre avait écarté le rideau, et ses cheveux se dressaient à présent sur sa tête.
Les rouleaux ne tournaient plus que pour eux-mêmes, la place était vide, Lance venait de filer par la porte de derrière.
Pour meubler une fin d’après-midi glaciale, un mini-van nous emmena sur les champs pétrolifères, où j'en profitais pour donner à notre ministre un aperçu de mes connaissances en chimie. Le soir tombant, on nous signala Armstrong au Nord-Ouest. Il fonçait en direction du Plateau d’Edwards, derrière derny. “ Allez plutôt vous reposer ! ”, nous conseilla-t-on, il était inutile de l’attendre. Le champion ne dormirait pas au ranch ce soir, mais sous une tente, en altitude.
“ Nous l’aurons ! Ne vous en faites pas ! ”, tentai-je de réconforter mon complice d'infortune, tandis que, bien au chaud, nous avions regagné nos lits.
- On doit absolument l’intercepter, et lui remettre son truc. Dans quarante-huit heures, j’inaugure un gymnase, à la Hague.
– Ne vous en faites pas, il l’aura !
Le lendemain, vers quinze heures, à bord d’un puissant cabriolet loué pour l’occasion, nous parvînmes à rattrapper Lance Armstrong lancé pleins gaz sur la route du Rio Grande.
Sa poursuite ne fut pas aisée, et le ministre, à qui j’avais confié le volant, prit bien des risques pour nous maintenir à sa hauteur.
Peine perdue hélàs, car concentré à l’extrême, le champion Texan, enregistrant simultanément des données tactiques au microphone, devait ne pas avoir un seul regard pour nous, quand bien même je m’attelais, en déséquilibre sur l’aile avant, à lui envoyer dans l’œil les reflets du Vélo d’Or.
“ Promettez-moi seulement de ne pas faire de conneries ”, me pria le ministre. Mais fidèle à mon idée, je me levai, attachai l’extrêmité d’une corde à mon cuissard, et, malgré la vitesse, me mis à faire tourner dans l’air le cercle quasi-parfait d’un lasso.
Par trois fois, je fus prêt de l’avoir.
Un premier lancer accrocha son guidon, avant de glisser ; le second atteignit –sans le blesser- l’impassible pilote du derny ; quant au troisième, il partit en vrille et se coinça dans la roue de notre bolide, nous obligeant à l’abandon.
Nous ne revîmes plus jamais Lance.
De retour à Paris, j’expédiai le trophée par la poste.
J’avais cependant gagné un ami, et le ministre et moi, partant chacun de notre côté après une poignée de mains vigoureuse, nous jurâmes de nous revoir pour les fêtes.
PASCAL D’HUEZ, décembre 2004.
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home