Mon ami JAN
15.11.04
Pour la Toussaint, j’ai eu le bonheur d’accomplir une dizaine de kilomètres, aux côtés du champion cycliste Jan Ullrich.
Ensemble, nous avons parcouru les routes fraîchement déneigées de la vallée de la Ruhr, où il réside, avec sa compagne Gaby...
Les lecteurs de Vélo Magazine, les vrais fanas, le connaissent par coeur: Dauphin de Bjarne Riis en 96 pour sa première participation au Tour, vainqueur en 97, 4 autres fois second depuis, sa destinée de champion cannibale qu’on envisageait à ses débuts avec un rien de découragement, en perspective des longs étés d’ennui que son puissant moteur semblait nous promettre, s’est transformée en parcours de l’éternel déçu, un jour de pluie, où le diabolique Pantani, en grand train vers Les Deux Alpes, se chargea de rompre le cours des choses.
Pourtant, Jan reste populaire. Ici, des comme lui, on en rencontre plein.
Ses afficionados se donnent des allures de costaud, en portant boucle d’oreille à gauche, oreillette factice à droite, maillot de champion d’Allemagne, maillot Telekom ou T-mobile, plus rarement maillot Bianchi. Ils roulent en tirant la gueule, masque renforcé d’un masque foncé, comme pour le Tour, mais sans soleil.
Les plus mordus ont passé la roue lenticulaire à l’arrière, et emmènent d’énormes patates, qui, tôt ou tard, leur feront les grosses cuisses de leur idole.
Quand, au passage, Jan leur adresse un Guten Tag gratis, il leur faut freiner de justesse pour éviter la chute collective. Un camion klaxonne, et une flaque asperge le petit groupe, stationné en catastrophe sur le côté, où tous regardent encore dans la même direction, transis comme des lapins. On tente souvent d’expliquer que la domination d’un grand champion national retarde l’arrivée de coureurs plus jeunes. J’en ai eu, je le jure, l’exemple concret.
Jan a déjà avalé un autre kilomètre quand la bande d’amateurs, d’un seul homme, finalement s’ébroue, et repart, pattes cassées, dans le vague, tout-à-fait comme après un baiser. Ils deviennent alors la proie facile des puissants bolides de la firme BMW, toute proche, dans la vallée.
Le soir, de retour au chalet, on partage une purée d’algues fraîches, suivie d’une endive, que Gaby a cuisiné en vapeur.
C’est elle qui s’occupe de l’alimentation de son champion, suivant les règles d’une diététique stricte, apprise au ZKS de Dortmund. Mâche, cresson, raifort, chaque jour, en petites portions, dans un silence de mort.
Le repas terminé, elle demande à Jan, d’aller chercher une bûche ou deux, pour allumer un feu.
“ …car après le repas, rien ne vaut une bonne suée ”, explique-t-elle.
Sans sourciller, Jan, sandales au pied, m’invite à le suivre au garage.
Nous passons devant la réserve de bois sans y toucher, et nous montons dans sa voiture.
“ On va chez mes parents ”, m’éclaire-t-il, “ On a besoin d’un petit chariot ”.
A l’aide d’une télécommande, il efface la porte du garage, et nous débouchons en trombe sur l’avenue, pour nous garer presque aussitôt. Un oubli ?
“ Non ”, s’étonne Jan. “ On est arrivés ”.
Par chance, ses parents sont encore à table, dans un intérieur cosy, devant un papier peint à motifs de fourchettes. Chaleureux, ils nous invitent à nous asseoir. Je décline poliment, tandis que Jan, rapide comme jamais, s’est déjà saisi d’une assiette et se sert une part d’ananas flambé, avec un soda.
Il va en reprendre trois fois, “ selon son habitude ”, me précise Ilse, sa mère, “ car un champion a besoin de se fortifier ”.
Après une crème dessert, repu, il se laisse glisser sur le canapé canari, où, se souvenant de ma présence, il achève sa journée par une séance d’électro-stimulation.
“ Et le petit chariot ? ”, je demande, naïf.
Trop tard.
Menton sur la poitrine, cou cassé, les abdominaux continuant à sursauter avec la régularité d’un piston, Jan ne m’entend déjà plus. Il s’est endormi, pareil à un petit chat dont les rêves entraîneraient des mouvements réflexes.
Avec six mois d’avance, il entame la préparation du Tour.
Ensemble, nous avons parcouru les routes fraîchement déneigées de la vallée de la Ruhr, où il réside, avec sa compagne Gaby...
Les lecteurs de Vélo Magazine, les vrais fanas, le connaissent par coeur: Dauphin de Bjarne Riis en 96 pour sa première participation au Tour, vainqueur en 97, 4 autres fois second depuis, sa destinée de champion cannibale qu’on envisageait à ses débuts avec un rien de découragement, en perspective des longs étés d’ennui que son puissant moteur semblait nous promettre, s’est transformée en parcours de l’éternel déçu, un jour de pluie, où le diabolique Pantani, en grand train vers Les Deux Alpes, se chargea de rompre le cours des choses.
Pourtant, Jan reste populaire. Ici, des comme lui, on en rencontre plein.
Ses afficionados se donnent des allures de costaud, en portant boucle d’oreille à gauche, oreillette factice à droite, maillot de champion d’Allemagne, maillot Telekom ou T-mobile, plus rarement maillot Bianchi. Ils roulent en tirant la gueule, masque renforcé d’un masque foncé, comme pour le Tour, mais sans soleil.
Les plus mordus ont passé la roue lenticulaire à l’arrière, et emmènent d’énormes patates, qui, tôt ou tard, leur feront les grosses cuisses de leur idole.
Quand, au passage, Jan leur adresse un Guten Tag gratis, il leur faut freiner de justesse pour éviter la chute collective. Un camion klaxonne, et une flaque asperge le petit groupe, stationné en catastrophe sur le côté, où tous regardent encore dans la même direction, transis comme des lapins. On tente souvent d’expliquer que la domination d’un grand champion national retarde l’arrivée de coureurs plus jeunes. J’en ai eu, je le jure, l’exemple concret.
Jan a déjà avalé un autre kilomètre quand la bande d’amateurs, d’un seul homme, finalement s’ébroue, et repart, pattes cassées, dans le vague, tout-à-fait comme après un baiser. Ils deviennent alors la proie facile des puissants bolides de la firme BMW, toute proche, dans la vallée.
Le soir, de retour au chalet, on partage une purée d’algues fraîches, suivie d’une endive, que Gaby a cuisiné en vapeur.
C’est elle qui s’occupe de l’alimentation de son champion, suivant les règles d’une diététique stricte, apprise au ZKS de Dortmund. Mâche, cresson, raifort, chaque jour, en petites portions, dans un silence de mort.
Le repas terminé, elle demande à Jan, d’aller chercher une bûche ou deux, pour allumer un feu.
“ …car après le repas, rien ne vaut une bonne suée ”, explique-t-elle.
Sans sourciller, Jan, sandales au pied, m’invite à le suivre au garage.
Nous passons devant la réserve de bois sans y toucher, et nous montons dans sa voiture.
“ On va chez mes parents ”, m’éclaire-t-il, “ On a besoin d’un petit chariot ”.
A l’aide d’une télécommande, il efface la porte du garage, et nous débouchons en trombe sur l’avenue, pour nous garer presque aussitôt. Un oubli ?
“ Non ”, s’étonne Jan. “ On est arrivés ”.
Par chance, ses parents sont encore à table, dans un intérieur cosy, devant un papier peint à motifs de fourchettes. Chaleureux, ils nous invitent à nous asseoir. Je décline poliment, tandis que Jan, rapide comme jamais, s’est déjà saisi d’une assiette et se sert une part d’ananas flambé, avec un soda.
Il va en reprendre trois fois, “ selon son habitude ”, me précise Ilse, sa mère, “ car un champion a besoin de se fortifier ”.
Après une crème dessert, repu, il se laisse glisser sur le canapé canari, où, se souvenant de ma présence, il achève sa journée par une séance d’électro-stimulation.
“ Et le petit chariot ? ”, je demande, naïf.
Trop tard.
Menton sur la poitrine, cou cassé, les abdominaux continuant à sursauter avec la régularité d’un piston, Jan ne m’entend déjà plus. Il s’est endormi, pareil à un petit chat dont les rêves entraîneraient des mouvements réflexes.
Avec six mois d’avance, il entame la préparation du Tour.
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