LE CHIEN BEIGE
1.4.05
A l’approche du mois d’avril, beaucoup de femmes m’écrivent pour me demander ce qu’est devenu le petit chien beige qui renversa Bernard Hinault sur la route du Paris-Roubaix 81.
Mesdames, voici venu le temps d’élucider l’épais mystère qui pèse sur cette affaire…
Selon l’enquête menée par le SRPJ de Valenciennes, cet animal n’aurait jamais existé.
Il serait le fruit d’une hallucination collective, réminiscence des loups d’autrefois, équivalent canin de la Dame Blanche croisée de nuit par les automobilistes.
Partout, sur tous les critériums, tout le monde jure l’avoir vu, mais chacun le décrit à sa façon. Des clichés ont été pris, mais sont tous flous.
Un bouche à oreille maladroitement entretenu par les médias n’aurait rien arrangé, puisqu’on a longtemps prétendu, et moi le premier, qu’il s’agissait du chien de Jan Raas, alors qu’il n’était en fait question que d’un modeste chien de race, et encore.
De retour vers les lieux du drame, je traverse aujourd’hui les plaines de Picardie et d’Artois, à l’occasion du repérage que j’effectue sur le tracé de Paris-Roubaix, pour le compte de l’équipe T-Mobile*.
Arrivé à Guiscard (60), je m’arrête à la hauteur d’un auto-stoppeur dont la pancarte ramollie par la pluie indique Roubaix. Surpris de me reconnaître, et pour me séduire à bon compte, il m’informe qu’il fait partie de cette bande de lycéens qui, bénévolement, ont restauré les pavés du tronçon de Cysoing.
C’est un garçon de dix-huit ans environ, Jeffrey, bouffi par la télévision, l’un de ces enfants martyrs dont la naissance au cyclisme a correspondu avec le règne de Miguel Indurain.
Pour le réconforter, je lui paye une galette américaine, au Flunch de la Zone commerciale Les Flahutes.
Lorsque je lui demande pourquoi il n’accomplit pas plutôt à vélo la distance qui le sépare de Roubaix, et qui lui permettrait d’emprunter les sentiers de l’une de nos courses de légende, il me rigole au nez.
Le vélo, il s’en tape. S’il a accepté de participer au chantier des pavés, c’était uniquement pour échapper au cours d’histoire.
« Tous 'opés, tous 'opés », tente-t-il d’articuler entre deux bouchées. Jeffrey déplore que tout soit pourri, et quand il voit l’indifférence avec laquelle les coureurs passent sur ses pavés, il se dit que, vraiment, ses camarades et lui se sont donné du mal pour rien.
Troisville, Saint-Python, Vertain, bringuebalés dans la carlingue de ma Saxo, en proie à d’extraordinaires rafales, nous sifflotons des chansons d’Erwan Menthéour pour nous donner du courage.
Soudain, en vue du Carrefour de l’Arbre, au moment où, traditionnellement, la course livre son vainqueur, je m’arrête, et fais descendre mon lycéen, abasourdi, qui proteste avec raison que Roubaix est encore à quinze kilomètres.
Relevant promptement ma vitre électrique, sourd aux insultes de mon jeune, j’avoue qu’en cet instant, je l’envie.
Mon aimable traîtrise lui offre ici l'opportunité d’enfiler la tenue du héros, et de connaître à son tour ce qu’a connu Bernard Hinault, en 1981, lorsqu’il chuta, à cet endroit précis, de la faute d’un chien beige surgi du néant, avant de revenir sur un groupe de ténors qui comptait au moins De Vlaeminck, Kuiper, et Moser.
Des coups de pouce comme le mien, Jeffrey n'en connaîtra pas beaucoup, et, reconnaissons-le, rares sont les occasions, dans la vie, de rattrapper Moser.
Au vélodrome, où j’arrive en solitaire, les portes sont fermées. Un employé municipal m’informe que le préposé est parti prendre sa pause, et m’invite à l’attendre au bar « La Pascale ».
De là, vers 17 heures, j’aperçois mon jeune rentrer fourbu par le chemin piéton qui borde l’avenue. Des aboiements saluent son passage.
Ce sont ceux d’un vieux teckel, qui depuis l’arrière-salle, semble veiller en grognant sur un poster du Blaireau qu’un farceur a punaisé au-dessus de son couffin.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
*Voir Mon ami Jan
Mesdames, voici venu le temps d’élucider l’épais mystère qui pèse sur cette affaire…
Selon l’enquête menée par le SRPJ de Valenciennes, cet animal n’aurait jamais existé.
Il serait le fruit d’une hallucination collective, réminiscence des loups d’autrefois, équivalent canin de la Dame Blanche croisée de nuit par les automobilistes.
Partout, sur tous les critériums, tout le monde jure l’avoir vu, mais chacun le décrit à sa façon. Des clichés ont été pris, mais sont tous flous.
Un bouche à oreille maladroitement entretenu par les médias n’aurait rien arrangé, puisqu’on a longtemps prétendu, et moi le premier, qu’il s’agissait du chien de Jan Raas, alors qu’il n’était en fait question que d’un modeste chien de race, et encore.
De retour vers les lieux du drame, je traverse aujourd’hui les plaines de Picardie et d’Artois, à l’occasion du repérage que j’effectue sur le tracé de Paris-Roubaix, pour le compte de l’équipe T-Mobile*.
Arrivé à Guiscard (60), je m’arrête à la hauteur d’un auto-stoppeur dont la pancarte ramollie par la pluie indique Roubaix. Surpris de me reconnaître, et pour me séduire à bon compte, il m’informe qu’il fait partie de cette bande de lycéens qui, bénévolement, ont restauré les pavés du tronçon de Cysoing.
C’est un garçon de dix-huit ans environ, Jeffrey, bouffi par la télévision, l’un de ces enfants martyrs dont la naissance au cyclisme a correspondu avec le règne de Miguel Indurain.
Pour le réconforter, je lui paye une galette américaine, au Flunch de la Zone commerciale Les Flahutes.
Lorsque je lui demande pourquoi il n’accomplit pas plutôt à vélo la distance qui le sépare de Roubaix, et qui lui permettrait d’emprunter les sentiers de l’une de nos courses de légende, il me rigole au nez.
Le vélo, il s’en tape. S’il a accepté de participer au chantier des pavés, c’était uniquement pour échapper au cours d’histoire.
« Tous 'opés, tous 'opés », tente-t-il d’articuler entre deux bouchées. Jeffrey déplore que tout soit pourri, et quand il voit l’indifférence avec laquelle les coureurs passent sur ses pavés, il se dit que, vraiment, ses camarades et lui se sont donné du mal pour rien.
Troisville, Saint-Python, Vertain, bringuebalés dans la carlingue de ma Saxo, en proie à d’extraordinaires rafales, nous sifflotons des chansons d’Erwan Menthéour pour nous donner du courage.
Soudain, en vue du Carrefour de l’Arbre, au moment où, traditionnellement, la course livre son vainqueur, je m’arrête, et fais descendre mon lycéen, abasourdi, qui proteste avec raison que Roubaix est encore à quinze kilomètres.
Relevant promptement ma vitre électrique, sourd aux insultes de mon jeune, j’avoue qu’en cet instant, je l’envie.
Mon aimable traîtrise lui offre ici l'opportunité d’enfiler la tenue du héros, et de connaître à son tour ce qu’a connu Bernard Hinault, en 1981, lorsqu’il chuta, à cet endroit précis, de la faute d’un chien beige surgi du néant, avant de revenir sur un groupe de ténors qui comptait au moins De Vlaeminck, Kuiper, et Moser.
Des coups de pouce comme le mien, Jeffrey n'en connaîtra pas beaucoup, et, reconnaissons-le, rares sont les occasions, dans la vie, de rattrapper Moser.
Au vélodrome, où j’arrive en solitaire, les portes sont fermées. Un employé municipal m’informe que le préposé est parti prendre sa pause, et m’invite à l’attendre au bar « La Pascale ».
De là, vers 17 heures, j’aperçois mon jeune rentrer fourbu par le chemin piéton qui borde l’avenue. Des aboiements saluent son passage.
Ce sont ceux d’un vieux teckel, qui depuis l’arrière-salle, semble veiller en grognant sur un poster du Blaireau qu’un farceur a punaisé au-dessus de son couffin.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
*Voir Mon ami Jan
3 Comments:
Un blog tellement bon qu'il devrait en exister une version papier. Le nez dans le guidon, on attend maintenant avec impatience les prochaines aventures de Pascal. Se penchera-t-il sur les légendaires suceurs de roue ( personne n'a oublié le duel Claveyrolat-Bourguignon dans le petit saint-Bernard ) ou sur les rois de la louse ( j'avais un gros faible pour Bernaudeau du temps qu'il défiait le blaireau )
Eric
Un blog tellement bon qu'il devrait en exister une version papier. Le nez dans le guidon, on attend maintenant avec impatience les prochaines aventures de Pascal. Se penchera-t-il sur les légendaires suceurs de roue ( personne n'a oublié le duel Claveyrolat-Bourguignon dans le petit saint-Bernard ) ou sur les rois de la louse ( j'avais un gros faible pour Bernaudeau du temps qu'il défiait le blaireau )
Eric
Un blog tellement bon qu'il devrait en exister une version papier. Le nez dans le guidon, on attend maintenant avec impatience les prochaines aventures de Pascal. Se penchera-t-il sur les légendaires suceurs de roue ( personne n'a oublié le duel Claveyrolat-Bourguignon dans le petit saint-Bernard ) ou sur les rois de la louse ( j'avais un gros faible pour Bernaudeau du temps qu'il défiait le blaireau )
Eric
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