MIROIR DU CYCLISME
15.5.05
En 1999, après avoir laissé un an le maillot jaune vacant, Jan Ullrich était réapparu sur le Tour, et l’avait assommé.
A cette occasion, il avait offert à Lance Armstrong la seconde place, première pièce d'une collection d’accessits comme on n’en avait plus vu depuis Eddy Merckx.
La principale force d’Ullrich, le côté par lequel il était à jamais intouchable, demeurait sa préparation. Il avait rencontré la chanteuse Patricia Kaas après un concert, à Cologne. C’est elle depuis, qui veillait sur son alimentation, où se combinaient, sans sauce, bâtonnets de manioc et tresses de soja.
Il respectait deux fois l’an de longs jeûnes, tandis que Fatty, - car c’est ainsi qu’on surnommait cruellement Armstrong -, du fait d’une habitude toute nationale, ne parvenait que sporadiquement à rompre avec la junk food, sodas et burritos mexicains, qu’un mécano zélé lui fournissait en haut de chaque col, en guise de lest.
Les résultats étaient à l’avenant, et c’était chaque saison la même fable :
La rigueur allemande, que des journalistes poussifs assimilaient depuis toujours à un rouleau compresseur, et qu’incarnait si bien la pédalée d’Ullrich, contre le style cyclothymique et déboutonné du Texan, qui passait la moitié de la saison à se laisser photographier pour des publicités de jean, allongé dans les blés.
Ridicule en juillet, il jurait chaque mois d’août de ne plus s’y laisser prendre.
A grands renforts médiatiques, il composait alors des Dream Teams sensées le mener au succès, par cumul des talents. En 2003, afin de gagner le Tour, il s’était adjoint les services de Richard Virenque, en fin de carrière, devenu le sportif préféré des Français depuis son succès dans l’édition 98. A eux deux, ils avaient mené la vie dure à Ullrich, fragilisé par un public qui avait fini par le prendre en grippe.
On s’en serait douté, l’Allemand et son sens tactique flirtant quelquefois avec la roublardise, agaçait. Les télés brassaient autour de lui des rumeurs, à coups de documents amateurs où on voyait des seringues circuler de Mercedes en Mercedes. Pire encore, le Sun avait laissé entendre qu’il fréquentait des salles de musculation, aux côtés du sulfureux Zidane, un footballeur, toujours entre deux clubs depuis le scandale de la Coupe du Monde.
Pour le Français moyen, il ne faisait aucun doute qu’Ullrich se dopait.
Sur la route du Ventoux, en 2004, on avait vu avec effroi se déchaîner une vague de haine xénophobe directement héritée de l’Occupation. Sous les crachats et les «Sale boche», le quintuple vainqueur avait pourtant conduit son maillot jaune avec élégance au-dessus d’un goudron fondu et recouvert de «Raus !», «Ullrich=SS», de fort mauvais goût.
A contrario, le Ricain paraissait toujours sympatoche, avec ses kilos en trop, et son amateurisme touchant. Il cherchait à gagner le Tour de France comme un Parisien à cultiver la vigne, le week-end, dans son pied-à-terre du Lubéron. Il avait la casquette, s’était acheté les outils, quelques gadgets vendus à prix d’or par des fabricants véreux de la région PACA.
Deux ou trois mots de français que lui avaient appris des coéquipiers, lui suffisaient à croire qu’il pouvait répondre aux interviews dans la langue locale. C’est peu de dire que c’était un régal pour les journalistes, qui en abusaient (Voir l’extrait multirediffusé de l’arrivée à Pau, où Lance, entre deux remontées de Pepsi, parle longuement de ses cuisses –douloureuses et gonflées par le cagnard - sous le terme malheureux de couilles).
Comme chaque année, nos deux héros se sont fait discrets. Ullrich a été aperçu par des bergers, en reconnaissance dans les principaux cols des Pyrénées. Déjà affûté en mars, il en a profité pour dessiner le prototype de ses nouvelles chaussures de compétition.
Armstrong a été vu à la remise des Oscars, où, surprise, il arborait un bouc, semble-t-il pour cacher un double-menton résistant. Fidèle à son habitude, il est venu prendre la deuxième place aux Quatre Jours de Dunkerque, derrière son coéquiper fétiche, l’éternel espoir Boonen.
A cinquante jours du prochain Tour de France, les esprits chagrins annoncent, goguenards, que les jeux sont déjà faits, et peu sont ceux qui croient à un renversement du destin. Ainsi sont faits les gens, disent-ils, et ainsi sont faites les nations, l’Allemand reste discipliné, l’Américain fantasque, et le Français grognon.
Repu, Ullrich a annoncé son désir d’arrêter la compétition au terme de la course. Il compte désormais se consacrer entièrement à la sauvegarde de la Forêt Noire.
De son côté, toujours en verve lors des conférences de presse, Armstrong s’est dit enfin prêt à gagner le Tour de France.
Un fou-rire s’est alors emparé d’un journaliste, qui a du évacuer la salle.■
PASCAL D’HUEZ, envoyé spécial
A cette occasion, il avait offert à Lance Armstrong la seconde place, première pièce d'une collection d’accessits comme on n’en avait plus vu depuis Eddy Merckx.
La principale force d’Ullrich, le côté par lequel il était à jamais intouchable, demeurait sa préparation. Il avait rencontré la chanteuse Patricia Kaas après un concert, à Cologne. C’est elle depuis, qui veillait sur son alimentation, où se combinaient, sans sauce, bâtonnets de manioc et tresses de soja.
Il respectait deux fois l’an de longs jeûnes, tandis que Fatty, - car c’est ainsi qu’on surnommait cruellement Armstrong -, du fait d’une habitude toute nationale, ne parvenait que sporadiquement à rompre avec la junk food, sodas et burritos mexicains, qu’un mécano zélé lui fournissait en haut de chaque col, en guise de lest.
Les résultats étaient à l’avenant, et c’était chaque saison la même fable :
La rigueur allemande, que des journalistes poussifs assimilaient depuis toujours à un rouleau compresseur, et qu’incarnait si bien la pédalée d’Ullrich, contre le style cyclothymique et déboutonné du Texan, qui passait la moitié de la saison à se laisser photographier pour des publicités de jean, allongé dans les blés.
Ridicule en juillet, il jurait chaque mois d’août de ne plus s’y laisser prendre.
A grands renforts médiatiques, il composait alors des Dream Teams sensées le mener au succès, par cumul des talents. En 2003, afin de gagner le Tour, il s’était adjoint les services de Richard Virenque, en fin de carrière, devenu le sportif préféré des Français depuis son succès dans l’édition 98. A eux deux, ils avaient mené la vie dure à Ullrich, fragilisé par un public qui avait fini par le prendre en grippe.
On s’en serait douté, l’Allemand et son sens tactique flirtant quelquefois avec la roublardise, agaçait. Les télés brassaient autour de lui des rumeurs, à coups de documents amateurs où on voyait des seringues circuler de Mercedes en Mercedes. Pire encore, le Sun avait laissé entendre qu’il fréquentait des salles de musculation, aux côtés du sulfureux Zidane, un footballeur, toujours entre deux clubs depuis le scandale de la Coupe du Monde.
Pour le Français moyen, il ne faisait aucun doute qu’Ullrich se dopait.
Sur la route du Ventoux, en 2004, on avait vu avec effroi se déchaîner une vague de haine xénophobe directement héritée de l’Occupation. Sous les crachats et les «Sale boche», le quintuple vainqueur avait pourtant conduit son maillot jaune avec élégance au-dessus d’un goudron fondu et recouvert de «Raus !», «Ullrich=SS», de fort mauvais goût.
A contrario, le Ricain paraissait toujours sympatoche, avec ses kilos en trop, et son amateurisme touchant. Il cherchait à gagner le Tour de France comme un Parisien à cultiver la vigne, le week-end, dans son pied-à-terre du Lubéron. Il avait la casquette, s’était acheté les outils, quelques gadgets vendus à prix d’or par des fabricants véreux de la région PACA.
Deux ou trois mots de français que lui avaient appris des coéquipiers, lui suffisaient à croire qu’il pouvait répondre aux interviews dans la langue locale. C’est peu de dire que c’était un régal pour les journalistes, qui en abusaient (Voir l’extrait multirediffusé de l’arrivée à Pau, où Lance, entre deux remontées de Pepsi, parle longuement de ses cuisses –douloureuses et gonflées par le cagnard - sous le terme malheureux de couilles).
Comme chaque année, nos deux héros se sont fait discrets. Ullrich a été aperçu par des bergers, en reconnaissance dans les principaux cols des Pyrénées. Déjà affûté en mars, il en a profité pour dessiner le prototype de ses nouvelles chaussures de compétition.
Armstrong a été vu à la remise des Oscars, où, surprise, il arborait un bouc, semble-t-il pour cacher un double-menton résistant. Fidèle à son habitude, il est venu prendre la deuxième place aux Quatre Jours de Dunkerque, derrière son coéquiper fétiche, l’éternel espoir Boonen.
A cinquante jours du prochain Tour de France, les esprits chagrins annoncent, goguenards, que les jeux sont déjà faits, et peu sont ceux qui croient à un renversement du destin. Ainsi sont faits les gens, disent-ils, et ainsi sont faites les nations, l’Allemand reste discipliné, l’Américain fantasque, et le Français grognon.
Repu, Ullrich a annoncé son désir d’arrêter la compétition au terme de la course. Il compte désormais se consacrer entièrement à la sauvegarde de la Forêt Noire.
De son côté, toujours en verve lors des conférences de presse, Armstrong s’est dit enfin prêt à gagner le Tour de France.
Un fou-rire s’est alors emparé d’un journaliste, qui a du évacuer la salle.■
PASCAL D’HUEZ, envoyé spécial
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