L’EDELWEISS
15.3.05
Les sites officiels des coureurs bannis par la fédération continuent d’afficher des images d’une gloire passée, en nous donnant l’impression de pénétrer une maison abandonnée hâtivement par son propriétaire…
Léman. Chalets roses du canton de Vaud où j’ai l’habitude d’aller me débarrasser du stress causé par l’entretien de cette chronique à chaque fin d’hiver. Mon nouveau voisin, dont la voiture est immatriculée dans le Massachusetts, porte la cagoule et s’enfuit quand, derrière la haie de houx qui sépare nos propriétés, je lui fais coucou. J’apprends par le technicien de la Compagnie Hélvétique d’Electricité qu’il s’agit d’un coureur cycliste américain, venu passer ici sa longue suspension pour dopage.
Afin de relater les faits qui vont suivre sans mettre à mal son anonymat, je me contenterai d’écrire que ce coureur, appartenant à une équipe suisse, gagna en 2003 une classique qui, partant de Liège y retourne, et, parce qu’il vit retiré, et qu’on soupçonne son bulbe d’être toxique, je l’appellerai l’Edelweiss.
Comme il n’a jamais songé à passer le permis, c’est moi qui emmène l’Edelweiss à Lausanne, pour qu’il achète son Ovomaltine, dont il est dépendant. J’en profite pour le divertir, sans toutefois jamais parler de vélo.
Accompagner en ville un coureur banni n’est pas chose aisée.
Après avoir repéré le parcours la veille, il est souvent nécessaire de faire de grands détours pour éviter les kiosques où il pourrait tomber sur la une de L’Équipe, et son nom écrit en rouge. N’importe quand, il faut se tenir prêt à tousser pour masquer les messes basses qui ne manquent pas sur le trajet.
Quant à la supérette, inutile de vouloir y accéder, le gérant est un ancien fan.
Quelquefois, l’Edelweiss se confie. Il aimerait que je vienne moins souvent le voir, car, dans sa paranoïa, il pense que je me moque de lui. Mais je suis Pascal D’Huez, l’ami des champions, et ma place est à ses côtés. Alors, ensemble, dans la salle de séjour où pendouillent quelques maillots distinctifs*, nous dépouillons le courrier du jour, et je lui lis à voix haute des lettres, d’insultes pour la plupart, qu’on continue à ouvrir parce qu’il s’y trouve une fois sur cent la lettre d’un supporter, qui veut encore croire au complot et à l’erreur du labo.
Comme la femme de l’Edelweiss est rentrée chez sa mère en emportant les enfants, je trouve intelligent de lui présenter des copines du coin. Cruel et insoluble dilemme : Si elles n’aiment pas le vélo, elles ne trouvent aucun intérêt au champion banni, et si elles l’aiment, elles le jugent répugnant.
A mon Edelweiss, je n’offre ni bière ni cigarettes, car, ainsi que je l’annonce au webmaster qui s’occupe de son site et vient réclamer chaque samedi de nouvelles photos, la reprise n’est peut-être plus loin, et il serait dommage de le mettre hors de forme.
Ainsi, au dernier matin avant mon départ, tandis que je me suis levé plus tôt pour aller effacer les graffitis pas sympas, inscrits dans la nuit sur les murs du chalet par de jeunes tagueurs qui militent pour un sport propre, l’Edelweiss reçoit un colis. Un beau vélo tout neuf, que je lui ai fait livré par internet.
Le voilà aussitôt reparti.
Rouge de bonheur, il est facilement repérable dans le paysage encore blanc, et je le suis à la jumelle, en gloussant, avant qu’il ne disparaisse comme un bolide dans le dernier virage avant le col.
Que l’Edelweiss, comme on l’en soupçonne, ait réellement subi des transfusions sanguines, ne m’empêche pas, au moment de lui dire au revoir, de lui faire la bise, quand bien même il a horreur de ça.
De retour à Paris, je m’installe à ma table de travail, encore grisé par ces deux semaines de camaraderie.
Cependant, par conscience professionnelle, et afin de connaître la vérité sans le heurter, j’ai eu l’idée d’enregistrer l’Edelweiss dans son sommeil, car, parfois, ceux qui portent le poids d’un lourd secret, parlent en dormant.
Hélàs, l’écoute attentive de plus de 100 heures de bandes ne devait rien donner.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
* Voir Le maillot du plus beau maillot
Léman. Chalets roses du canton de Vaud où j’ai l’habitude d’aller me débarrasser du stress causé par l’entretien de cette chronique à chaque fin d’hiver. Mon nouveau voisin, dont la voiture est immatriculée dans le Massachusetts, porte la cagoule et s’enfuit quand, derrière la haie de houx qui sépare nos propriétés, je lui fais coucou. J’apprends par le technicien de la Compagnie Hélvétique d’Electricité qu’il s’agit d’un coureur cycliste américain, venu passer ici sa longue suspension pour dopage.
Afin de relater les faits qui vont suivre sans mettre à mal son anonymat, je me contenterai d’écrire que ce coureur, appartenant à une équipe suisse, gagna en 2003 une classique qui, partant de Liège y retourne, et, parce qu’il vit retiré, et qu’on soupçonne son bulbe d’être toxique, je l’appellerai l’Edelweiss.
Comme il n’a jamais songé à passer le permis, c’est moi qui emmène l’Edelweiss à Lausanne, pour qu’il achète son Ovomaltine, dont il est dépendant. J’en profite pour le divertir, sans toutefois jamais parler de vélo.
Accompagner en ville un coureur banni n’est pas chose aisée.
Après avoir repéré le parcours la veille, il est souvent nécessaire de faire de grands détours pour éviter les kiosques où il pourrait tomber sur la une de L’Équipe, et son nom écrit en rouge. N’importe quand, il faut se tenir prêt à tousser pour masquer les messes basses qui ne manquent pas sur le trajet.
Quant à la supérette, inutile de vouloir y accéder, le gérant est un ancien fan.
Quelquefois, l’Edelweiss se confie. Il aimerait que je vienne moins souvent le voir, car, dans sa paranoïa, il pense que je me moque de lui. Mais je suis Pascal D’Huez, l’ami des champions, et ma place est à ses côtés. Alors, ensemble, dans la salle de séjour où pendouillent quelques maillots distinctifs*, nous dépouillons le courrier du jour, et je lui lis à voix haute des lettres, d’insultes pour la plupart, qu’on continue à ouvrir parce qu’il s’y trouve une fois sur cent la lettre d’un supporter, qui veut encore croire au complot et à l’erreur du labo.
Comme la femme de l’Edelweiss est rentrée chez sa mère en emportant les enfants, je trouve intelligent de lui présenter des copines du coin. Cruel et insoluble dilemme : Si elles n’aiment pas le vélo, elles ne trouvent aucun intérêt au champion banni, et si elles l’aiment, elles le jugent répugnant.
A mon Edelweiss, je n’offre ni bière ni cigarettes, car, ainsi que je l’annonce au webmaster qui s’occupe de son site et vient réclamer chaque samedi de nouvelles photos, la reprise n’est peut-être plus loin, et il serait dommage de le mettre hors de forme.
Ainsi, au dernier matin avant mon départ, tandis que je me suis levé plus tôt pour aller effacer les graffitis pas sympas, inscrits dans la nuit sur les murs du chalet par de jeunes tagueurs qui militent pour un sport propre, l’Edelweiss reçoit un colis. Un beau vélo tout neuf, que je lui ai fait livré par internet.
Le voilà aussitôt reparti.
Rouge de bonheur, il est facilement repérable dans le paysage encore blanc, et je le suis à la jumelle, en gloussant, avant qu’il ne disparaisse comme un bolide dans le dernier virage avant le col.
Que l’Edelweiss, comme on l’en soupçonne, ait réellement subi des transfusions sanguines, ne m’empêche pas, au moment de lui dire au revoir, de lui faire la bise, quand bien même il a horreur de ça.
De retour à Paris, je m’installe à ma table de travail, encore grisé par ces deux semaines de camaraderie.
Cependant, par conscience professionnelle, et afin de connaître la vérité sans le heurter, j’ai eu l’idée d’enregistrer l’Edelweiss dans son sommeil, car, parfois, ceux qui portent le poids d’un lourd secret, parlent en dormant.
Hélàs, l’écoute attentive de plus de 100 heures de bandes ne devait rien donner.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
* Voir Le maillot du plus beau maillot
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