KLÖDEN, DAUPHIN CHAGRIN
15.6.05
Aujourd’hui, ami lecteur qui trépignes et mets du sent-bon à l’approche du Tour : début, suite et fin de mon passage en revue des principaux adversaires de Lance Armstrong, avec le champion d’Allemagne, l’énigmatique Andreas Klöden…
Séjournant à Ténérife, où j’ai répondu favorablement à la mairie qui entame la construction d’une piste cyclable et cherchait un superviseur, il m’arrive quelquefois d’apercevoir le ruban magenta de l’équipe T-Mobile serpenter à travers les terrasses, parmi palmiers et bananes.
Comme chaque année, ils viennent se mettre au vert sur l’archipel, théâtre volcanique propice à toutes les ambitions.
Ullrich absent, puisqu’il suit une préparation personnalisée, c’est Alexandre Vinokourov qui emmène l’équipage déjà bien affûté, où chacun prend le relais de son mieux, à l’exception notable d’Andreas Klöden, fourbu et morose, walkman sur les oreilles, qui ne s’épile même plus, et profite de la première montée pour bifurquer vers le mini-golf.
Récemment interrogé, Lance Armstrong confiait qu’il ne voyait pas Klöden, pourtant second en 2004, jouer les premiers rôles cette année. Les faits semblent lui donner raison, car le tableau n’est pas jojo : Depuis janvier, il a d’abord abandonné sur la Flèche Wallonne, puis au Tour du Pays Basque, n’a guère fini que Tirreno-Adriatico, où il s’est classé 91ème, un chiffre porte-bonheur, prétend-il.
Quel est donc ce mal dont souffre Klöden ?
Saura-t-on bientôt ce qui s’est passé aux Canaries ?
Au 3ème jour, les ouvriers de Los Christianos sont furieux. Durant la nuit, le goudron frais a été profané. Un long fil, délicatement creusé par une bicyclette professionnelle remonte jusqu’à l’Hôtel Conquistador. Je ne tarde pas à y retrouver le vandale.
Andreas Klöden, blanc comme un maillot du meilleur jeune, qui n’a visiblement pas dormi, est assis dans le salon, et téléphone à sa petite amie, Ilse, tandis que je simule la lecture d’un dépliant touristique.
« Ma deuxième place au Tour n’a intéressé personne », dit-il, en effilochant ses gants, « ma performance est passée inaperçue ».
Subitement, il s’interrompt, et regagne sa chambre, laissant en plan un séxagénaire en short, une photo à la main, qui venait gentiment lui demander un autographe de Jan.
Il existe un blues du cycliste, appelé également spleen des Canaries.
Le coureur qui en souffre, peut vraiment se mettre à dérailler. Il n’y croit plus, ne voit plus dans le palmarès du Tour que le rectangle froid d’un monument aux morts. Dès lors, se farcir 250 bornes sous le cagnard lui inspire l’envie de rester au lit. Bref, il perd tous sens des réalités, et la fin de carrière n’est plus très loin.
Lourd de ces symptômes, Andreas Klöden évite autant que possible les routes ensoleillées où se massent (mutuellement) des retraités de Hambourg.
Ses coéquipiers tentent de lui rendre le sourire en organisant des tournois de tennis-ballon, mais il leur préfère les virées solitaires, l’écoute de Joy Division, et la gamberge.
Je l’aperçois un soir, dans le soleil couchant, gravir le cratère du Roque, à pied.
De retour sur la plage, il s’enterre à moitié. J’en profite pour l’accoster, muni d’un maillot à dédicacer.
Je le rassure. Je suis sa carrière depuis sa victoire dans le Paris-Nice 2000, et j’ai connu les mêmes problèmes aux genoux. Je viens en ami.
Je l’invite à faire quelques pas dans ce décor splendide où furent tourner les derniers plans de la Planète des Singes.
« Les allemands ne me prennent pas au sérieux ! Pour eux, c’est comme si j’étais invisible…Il n’y en a que pour Jan, ou Erik ».
A cette latitude, la lune est énorme.
Je lui fais remarquer, et conclus : « Vois-tu, Andreas… Buzz Aldrin aussi a terminé second derrière Armstrong. Il n’en est pas moins resté éternel. »
Nous avons passé la nuit entière à faire des ricochets en se donnant des gages, sous l’œil aimable des petits dauphins globicéphales qui pullulent sur cette partie de l’île.
De retour au Tour de Bavière, Andreas Klöden se classait 4ème du contre-la-montre.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
NOTA BENE : Du 1er au 25 juillet, retrouvez Pascal D’Huez quotidiennement.
Pour vous, l’ami des champions a décidé de suivre le Tour de France hors-délais. Chaque jour, il arrivera 24 heures après le dernier coureur, afin de vous livrer un compte-rendu à chaud de la course du jour depuis la ville-étape de la veille.
Nul doute que les directeurs sportifs en profiteront pour y dénicher des tuyaux.
Séjournant à Ténérife, où j’ai répondu favorablement à la mairie qui entame la construction d’une piste cyclable et cherchait un superviseur, il m’arrive quelquefois d’apercevoir le ruban magenta de l’équipe T-Mobile serpenter à travers les terrasses, parmi palmiers et bananes.
Comme chaque année, ils viennent se mettre au vert sur l’archipel, théâtre volcanique propice à toutes les ambitions.
Ullrich absent, puisqu’il suit une préparation personnalisée, c’est Alexandre Vinokourov qui emmène l’équipage déjà bien affûté, où chacun prend le relais de son mieux, à l’exception notable d’Andreas Klöden, fourbu et morose, walkman sur les oreilles, qui ne s’épile même plus, et profite de la première montée pour bifurquer vers le mini-golf.
Récemment interrogé, Lance Armstrong confiait qu’il ne voyait pas Klöden, pourtant second en 2004, jouer les premiers rôles cette année. Les faits semblent lui donner raison, car le tableau n’est pas jojo : Depuis janvier, il a d’abord abandonné sur la Flèche Wallonne, puis au Tour du Pays Basque, n’a guère fini que Tirreno-Adriatico, où il s’est classé 91ème, un chiffre porte-bonheur, prétend-il.
Quel est donc ce mal dont souffre Klöden ?
Saura-t-on bientôt ce qui s’est passé aux Canaries ?
Au 3ème jour, les ouvriers de Los Christianos sont furieux. Durant la nuit, le goudron frais a été profané. Un long fil, délicatement creusé par une bicyclette professionnelle remonte jusqu’à l’Hôtel Conquistador. Je ne tarde pas à y retrouver le vandale.
Andreas Klöden, blanc comme un maillot du meilleur jeune, qui n’a visiblement pas dormi, est assis dans le salon, et téléphone à sa petite amie, Ilse, tandis que je simule la lecture d’un dépliant touristique.
« Ma deuxième place au Tour n’a intéressé personne », dit-il, en effilochant ses gants, « ma performance est passée inaperçue ».
Subitement, il s’interrompt, et regagne sa chambre, laissant en plan un séxagénaire en short, une photo à la main, qui venait gentiment lui demander un autographe de Jan.
Il existe un blues du cycliste, appelé également spleen des Canaries.
Le coureur qui en souffre, peut vraiment se mettre à dérailler. Il n’y croit plus, ne voit plus dans le palmarès du Tour que le rectangle froid d’un monument aux morts. Dès lors, se farcir 250 bornes sous le cagnard lui inspire l’envie de rester au lit. Bref, il perd tous sens des réalités, et la fin de carrière n’est plus très loin.
Lourd de ces symptômes, Andreas Klöden évite autant que possible les routes ensoleillées où se massent (mutuellement) des retraités de Hambourg.
Ses coéquipiers tentent de lui rendre le sourire en organisant des tournois de tennis-ballon, mais il leur préfère les virées solitaires, l’écoute de Joy Division, et la gamberge.
Je l’aperçois un soir, dans le soleil couchant, gravir le cratère du Roque, à pied.
De retour sur la plage, il s’enterre à moitié. J’en profite pour l’accoster, muni d’un maillot à dédicacer.
Je le rassure. Je suis sa carrière depuis sa victoire dans le Paris-Nice 2000, et j’ai connu les mêmes problèmes aux genoux. Je viens en ami.
Je l’invite à faire quelques pas dans ce décor splendide où furent tourner les derniers plans de la Planète des Singes.
« Les allemands ne me prennent pas au sérieux ! Pour eux, c’est comme si j’étais invisible…Il n’y en a que pour Jan, ou Erik ».
A cette latitude, la lune est énorme.
Je lui fais remarquer, et conclus : « Vois-tu, Andreas… Buzz Aldrin aussi a terminé second derrière Armstrong. Il n’en est pas moins resté éternel. »
Nous avons passé la nuit entière à faire des ricochets en se donnant des gages, sous l’œil aimable des petits dauphins globicéphales qui pullulent sur cette partie de l’île.
De retour au Tour de Bavière, Andreas Klöden se classait 4ème du contre-la-montre.■
Pascal D’Huez, envoyé spécial.
NOTA BENE : Du 1er au 25 juillet, retrouvez Pascal D’Huez quotidiennement.
Pour vous, l’ami des champions a décidé de suivre le Tour de France hors-délais. Chaque jour, il arrivera 24 heures après le dernier coureur, afin de vous livrer un compte-rendu à chaud de la course du jour depuis la ville-étape de la veille.
Nul doute que les directeurs sportifs en profiteront pour y dénicher des tuyaux.
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