Oscar, SPRINTER
17.10.04
« Et j’irai loin, bien loin,
dans la descente,
Heureux comme un sprinter
après la pente. »
Si l’Espagne a longtemps occupé les Pays-Bas, Oscar Freire, lui, n’a fait que signer chez Rabobank.
Atypique, rieur, lauréat d’un titre mondial, tandis qu’il n’avait encore rien gagné d’autre, Oscar est, en outre, un fameux joueur de cartes, un camarade remarquable, et un joyeux bout-en-train, ainsi que semble l'attester sa sonnette, en forme de saxophone.
A mon arrivée, sa femme, derrière la fenêtre, répète des gammes, à la grande joie des gamins du quartier, tous fans du Barça.
« Tu le connais ? Tu aimerais lui ressembler ? »
En guise de réponse, le petit José pointe le doigt vers un arc-en-ciel naissant, car il a commencé à pleuvoir derrière la colline de Montjuich, où Indurain a un harras, et Oscar sa villa.
La légende, dit-on par ici, raconte qu’au pied de chaque arc-en-ciel, un champion sommeille.
Nous déjeûnons de gambas, après quoi, le soleil revenu, nous nous rendons à l’entraînement.
Première surprise, Oscar s’exerce sur une piste de skate. Question de dextérité. Savoir éviter la chute, et, le cas échéant, ne plus la craindre. Maîtriser son vélo comme un équilibriste. Dans cette logique : exercice entre les quilles, travail au sol, et monocycle.
Mars 2004. Il remporte Milan-San Remo en battant Erik Zabel, quadruple vainqueur de l’épreuve, coupable d’avoir levé les bras trop tôt. Première victoire espagnole dans une course désormais dominée par les sprinters.
Comment, Oscar Freire, a-t-il pu devenir un spécialiste d’un exercice si peu national ?
Dans le sous-sol où se tiennent côte à côte ses deux home-trainers (le premier avec un plateau ridicule, pour le foncier. Le second relié à un écran de projection, où il peut, en famille, accomplir des parcours célèbres comme la Grande Muraille de Chine, ou la Transat Quebec-Saint-Malo), on éclaire à la pile électrique les posters jaunis de ses idoles. Que de maillots moutarde !
Là Steels, ici Kelly, Frank Hoste et Bontempi.
Derrière moi, Abdoujaparov réglant Musseuw d’un boyau.
D’autres encore, dont je ne me souviens plus des noms.
On ne se rappelle pas toujours très bien les sprinters, car, par définition, ils vont trop vite. On leur préfère les vainqueurs des grands tours, caste de seigneurs où l’on a pour empereurs les multi-vainqueurs des grands tours. Au salopard sorti de nulle part qui vient chiper la victoire à une brave bande d’échappés solitaires, on préférera toujours le grimpeur moyen. Le sprinter est coupable de n'avoir pas souffert, d’avoir passé la journée dans les roues, d’où il a commandé à ses troupes de boucler la course. Sa chevauchée finale, même passée au ralenti, ne rembourse jamais notre ennui, car paradoxe supplémentaire : Bien qu’incapable de gagner seul, il gagne toujours en égoïste.
On soupçonne les rois de cet exercice d’être des chasseurs de primes et des fainéants, réputation qu’ils confortent quelquefois, dans les courses à étapes, par un abandon au matin du premier col, sans doute victimes de ce genre de rhume qu’on attrappe en allant si vite dans les derniers cent mètres. Le sprint, comme le vol, disait à peu près Jalabert*, c’est la promesse de gains rapides avec un minimum d’efforts.
Qui, sincérement, n’a jamais pris Cippolini pour un flambeur et un escroc, croisement idéal de Rocco Siffredi et d’Houdini ?
Que n’a-t-on pas dit sur Freddy Maertens qui ferait passer Iggy Pop pour un moniteur d’auto-école ?
Seule, la chute rachète le sprinter, en révélant soudain le gouffre au-dessus duquel il voltige. C’est là, fracassé sur le bitume, la gueule en sang, sentant bon l’alcool et la pommade, qu’il gagne le respect, et s’en tire avec la sympathie des foules.
Voilà son funeste destin.
En fin d’après-midi, nous partons vers la salle des fêtes, où l’école donne son spectacle de fin d’année. Oscar a promis de faire un saut, et de distribuer des cadeaux. Son épouse est attendue pour jouer du saxo. « Prends mon vélo ! » m’invite Oscar, blagueur, « C’est une descente, je te laisse vingt secondes, moi je prends celui du gosse ! »
Mise en confiance par une cerveza, je pars.
Cependant, à mi-parcours, je me mets à douter. La descente se révèle technique. Ayant beau me convaincre que tout ceci n’est qu’un jeu, lorsque j’entends le vent puissamment brassé par Oscar à cent mètres derrière, qui arrive comme un boulet, je ne peux m’empêcher de forcer. J’atteinds alors, il me semble, une vitesse certaine.
Son engin, superbe, m’a été parfaitement ajusté. Pourtant, je cesse bientôt de le contrôler. « Hola ! hola ! » me crie-t-on. Trop tard ! En vue de la ligne, matérialisée par une guirlande faite par les mômes avec des fleurs en papier, j’ai produit l’effort pour battre Oscar d’une roue, laquelle s’est dérobée.
En vol plané par-dessus le public des enfants ravis, je traverse la fête en grand vainqueur, avant d’aboutir, plus loin, à plat ventre dans un tas de sable, où se jouait une étape pyrénéenne pour cyclistes miniatures.■
*La ligne et la roue, essai, Editions Vélo Magazine.
dans la descente,
Heureux comme un sprinter
après la pente. »
Si l’Espagne a longtemps occupé les Pays-Bas, Oscar Freire, lui, n’a fait que signer chez Rabobank.
Atypique, rieur, lauréat d’un titre mondial, tandis qu’il n’avait encore rien gagné d’autre, Oscar est, en outre, un fameux joueur de cartes, un camarade remarquable, et un joyeux bout-en-train, ainsi que semble l'attester sa sonnette, en forme de saxophone.
A mon arrivée, sa femme, derrière la fenêtre, répète des gammes, à la grande joie des gamins du quartier, tous fans du Barça.
« Tu le connais ? Tu aimerais lui ressembler ? »
En guise de réponse, le petit José pointe le doigt vers un arc-en-ciel naissant, car il a commencé à pleuvoir derrière la colline de Montjuich, où Indurain a un harras, et Oscar sa villa.
La légende, dit-on par ici, raconte qu’au pied de chaque arc-en-ciel, un champion sommeille.
Nous déjeûnons de gambas, après quoi, le soleil revenu, nous nous rendons à l’entraînement.
Première surprise, Oscar s’exerce sur une piste de skate. Question de dextérité. Savoir éviter la chute, et, le cas échéant, ne plus la craindre. Maîtriser son vélo comme un équilibriste. Dans cette logique : exercice entre les quilles, travail au sol, et monocycle.
Mars 2004. Il remporte Milan-San Remo en battant Erik Zabel, quadruple vainqueur de l’épreuve, coupable d’avoir levé les bras trop tôt. Première victoire espagnole dans une course désormais dominée par les sprinters.
Comment, Oscar Freire, a-t-il pu devenir un spécialiste d’un exercice si peu national ?
Dans le sous-sol où se tiennent côte à côte ses deux home-trainers (le premier avec un plateau ridicule, pour le foncier. Le second relié à un écran de projection, où il peut, en famille, accomplir des parcours célèbres comme la Grande Muraille de Chine, ou la Transat Quebec-Saint-Malo), on éclaire à la pile électrique les posters jaunis de ses idoles. Que de maillots moutarde !
Là Steels, ici Kelly, Frank Hoste et Bontempi.
Derrière moi, Abdoujaparov réglant Musseuw d’un boyau.
D’autres encore, dont je ne me souviens plus des noms.
On ne se rappelle pas toujours très bien les sprinters, car, par définition, ils vont trop vite. On leur préfère les vainqueurs des grands tours, caste de seigneurs où l’on a pour empereurs les multi-vainqueurs des grands tours. Au salopard sorti de nulle part qui vient chiper la victoire à une brave bande d’échappés solitaires, on préférera toujours le grimpeur moyen. Le sprinter est coupable de n'avoir pas souffert, d’avoir passé la journée dans les roues, d’où il a commandé à ses troupes de boucler la course. Sa chevauchée finale, même passée au ralenti, ne rembourse jamais notre ennui, car paradoxe supplémentaire : Bien qu’incapable de gagner seul, il gagne toujours en égoïste.
On soupçonne les rois de cet exercice d’être des chasseurs de primes et des fainéants, réputation qu’ils confortent quelquefois, dans les courses à étapes, par un abandon au matin du premier col, sans doute victimes de ce genre de rhume qu’on attrappe en allant si vite dans les derniers cent mètres. Le sprint, comme le vol, disait à peu près Jalabert*, c’est la promesse de gains rapides avec un minimum d’efforts.
Qui, sincérement, n’a jamais pris Cippolini pour un flambeur et un escroc, croisement idéal de Rocco Siffredi et d’Houdini ?
Que n’a-t-on pas dit sur Freddy Maertens qui ferait passer Iggy Pop pour un moniteur d’auto-école ?
Seule, la chute rachète le sprinter, en révélant soudain le gouffre au-dessus duquel il voltige. C’est là, fracassé sur le bitume, la gueule en sang, sentant bon l’alcool et la pommade, qu’il gagne le respect, et s’en tire avec la sympathie des foules.
Voilà son funeste destin.
En fin d’après-midi, nous partons vers la salle des fêtes, où l’école donne son spectacle de fin d’année. Oscar a promis de faire un saut, et de distribuer des cadeaux. Son épouse est attendue pour jouer du saxo. « Prends mon vélo ! » m’invite Oscar, blagueur, « C’est une descente, je te laisse vingt secondes, moi je prends celui du gosse ! »
Mise en confiance par une cerveza, je pars.
Cependant, à mi-parcours, je me mets à douter. La descente se révèle technique. Ayant beau me convaincre que tout ceci n’est qu’un jeu, lorsque j’entends le vent puissamment brassé par Oscar à cent mètres derrière, qui arrive comme un boulet, je ne peux m’empêcher de forcer. J’atteinds alors, il me semble, une vitesse certaine.
Son engin, superbe, m’a été parfaitement ajusté. Pourtant, je cesse bientôt de le contrôler. « Hola ! hola ! » me crie-t-on. Trop tard ! En vue de la ligne, matérialisée par une guirlande faite par les mômes avec des fleurs en papier, j’ai produit l’effort pour battre Oscar d’une roue, laquelle s’est dérobée.
En vol plané par-dessus le public des enfants ravis, je traverse la fête en grand vainqueur, avant d’aboutir, plus loin, à plat ventre dans un tas de sable, où se jouait une étape pyrénéenne pour cyclistes miniatures.■
*La ligne et la roue, essai, Editions Vélo Magazine.
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