SCHLECK DE BICHE, SAUCE MAURIENNE
22.7.11
Par quel bout vous raconter l'étape du jour, spectaculaire morceau d'héroïsme empruntant les pentes de l'Izoard, du Lautaret, du Galibier ?
C'était un peu la Chantilly de ce Tour de France 2011, son excès, un déluge calorique pour amateur de pédales.
Au départ, tout est encore à écrire. Un petit blanc surprise est en jaune. Une fratrie, gâtée par les fées, mais pas trop délurée, est en embuscade. Un Australien attend. Et Alberto Contador, notre chouchou, triple vainqueur de l'épreuve, s'est mis en tête de rattraper le temps perdu en étourderies diverses, à coups d'attaques-suicides.
Que croyez-vous qu'il advint ?
Vers 16h15, après avoir temporisé un maximum, - parce que, quand même, il faut bien que je bosse un peu- je me décide à abandonner mon banc de montage pour rallier mon nouveau bar fétiche, L'Exploit, 16 rue du Capitaine-Dreyfus, à Montreuil-sous-Bois.
A mon arrivée, le patron, prostré dans l'arrière-salle, sue à grosses gouttes. « Un problème ? », je lui fais. « Schleck est parti », me répond-il, laconique. Surtout, il s'en veut, parce qu'il rinçait des assiettes en cuisine quand le coup a retenti. Visiblement, le cadet Léopard tente l'impensable. Il a faussé compagnie aux leaders dans le gras de l'Izoard, comme un grand, à plus de soixante kilomètres de l'arrivée.
Dans la vallée, on s'observe.
La manoeuvre tentée par le petit Lux laisse tout le monde songeur. C'est, au choix, soit un coup de maître, soit une balle dans le pied. L'audace, pour la plupart des coureurs du général, c'est un truc un peu rétro, très vingtième-siècle, dont on leur a appris à se méfier.
Aussi, la résistance ne parvient pas à s'organiser. Contador complote gentiment avec son comparse Sanchez, puis se permet un changement de bicyclette. Personne ne semble prendre la course au sérieux. Trois minutes et trente secondes plus loin, l'Andytop enfile un maillot jaune virtuel (fameux vêtement fabriqué en Chine, dont les coutures partent rapidement en brioche).
Puisque tout le monde semble prendre ça à la blague, et bien nous aussi. Je commande donc un second demi, et, tout en fumant, un pied sur la terrasse, un pied dans la salle afin de ne rien rater de la retransmission, je devise avec mon fin connaisseur de patron. Andy Schleck nous fait plaisir, c'est sûr. En lecteur assidu de cette page, il a su tirer profit des nombreuses critiques que je formule jour après jour à son égard, et enfin pris ses responsabilités de champion. Une question nous agite, cependant. Agit-il pour son propre compte ou pour celui de son aîné ?
C'est toute l'ironie de l'étape du jour. Vilipendés pour leur stratégie boîteuse, les frères Schleck ont réussi, à l'encontre de tous les pronostics, un coup de parfaite intelligence tactique.
Le peloton des poursuivants ne reprend rien dans la vallée. Andy Steak, façon grand style, abandonne un à un tous ses collègues d'escapade, et s'en va seul à la conquête du Galibier. A quatorze kilomètres du terme, il possède 4 minutes d'avance. Plus qu'un coussin, un édredon géant, sur lequel il sautille.
La passivité de Contador laisse perplexe. On se met à chipoter. Evans aimerait que Voeckler roule, vu qu'il a le maillot jaune, mais Voeckler, -riposte imparable- lui répond par l'éternel leitmotiv de Guy Roux : Il n'envisage pas de gagner le Tour, il joue le maintien.
L'Australien aux yeux de croco mort finit par prendre le volant du camion.
Sans moufter, le cuissard en décolleté du plombier, Cadel enquille les bornes comme on abat un eucalyptus à la hache. Dans son dos, les koalas Voeckler et Rolland tiennent le choc.
Contador, le seul véritable attaquant de la bande, reste en retrait, incapable de prendre part à la poursuite. A cinq kilomètres du pic, il faut se rendre à l'évidence, la bagarre n'aura pas lieu. l'Albert n'a pas les jambes. Pour la première fois depuis des années, il laisse filer, et lâchera bientôt ce Tour de France à plus méritant.
Les derniers hectomètres sont épiques.
Andiche, sans jamais trop grimacer, termine enfin son périple au pays de l'exploit et gagne l'étape.
Son frère Frank prend la deuxième place, tandis que Cadel Evans, puis Thomas Voeckler limitent tant bien que mal les dégâts, le premier en échouant à 2'15'', le second, se classant cinquième (!!) et sauvant son maillot.
Souvent moqué dans cette tribune pour la mollesse de son ventre et son tempérament médiocre, Andy Schleck mérite ce soir toutes nos félicitations.
Cela lui suffira-t-il à remporter ce Tour de France ?
Rien n'est moins sûr.
L'enjeu réside dans la faculté des deux frères à décramponner suffisamment Cadel Evans demain dans l'Alpe-d'Huez. Certainement, en sont-ils capables. Mais le BMC au rictus de bagnard est fichu de s'accrocher, tout pareil. Dans ce Tour de France décomplexé, qui n'est pas capable de tout ?
Tommy Boy et son Peter Pan repoussent chaque jour les limites du vraisemblable et remontent le bourrichon national à des hauteurs plus vues depuis Mitterrand.
Quant à l'Alberto, foutu pour foutu, aura-t-il demain les moyens physiques de ses ambitions ?
Pourra-t-il, sur les cent kilomètres de cette montagnarde express, secouer le cocotier, ou, du moins, pour l'honneur, gagner l'étape ?
Nous avançons, tremblants, vers le temps du dénouement.
Pascal d'Huez
C'était un peu la Chantilly de ce Tour de France 2011, son excès, un déluge calorique pour amateur de pédales.
Au départ, tout est encore à écrire. Un petit blanc surprise est en jaune. Une fratrie, gâtée par les fées, mais pas trop délurée, est en embuscade. Un Australien attend. Et Alberto Contador, notre chouchou, triple vainqueur de l'épreuve, s'est mis en tête de rattraper le temps perdu en étourderies diverses, à coups d'attaques-suicides.
Que croyez-vous qu'il advint ?
Vers 16h15, après avoir temporisé un maximum, - parce que, quand même, il faut bien que je bosse un peu- je me décide à abandonner mon banc de montage pour rallier mon nouveau bar fétiche, L'Exploit, 16 rue du Capitaine-Dreyfus, à Montreuil-sous-Bois.
A mon arrivée, le patron, prostré dans l'arrière-salle, sue à grosses gouttes. « Un problème ? », je lui fais. « Schleck est parti », me répond-il, laconique. Surtout, il s'en veut, parce qu'il rinçait des assiettes en cuisine quand le coup a retenti. Visiblement, le cadet Léopard tente l'impensable. Il a faussé compagnie aux leaders dans le gras de l'Izoard, comme un grand, à plus de soixante kilomètres de l'arrivée.
Dans la vallée, on s'observe.
La manoeuvre tentée par le petit Lux laisse tout le monde songeur. C'est, au choix, soit un coup de maître, soit une balle dans le pied. L'audace, pour la plupart des coureurs du général, c'est un truc un peu rétro, très vingtième-siècle, dont on leur a appris à se méfier.
Aussi, la résistance ne parvient pas à s'organiser. Contador complote gentiment avec son comparse Sanchez, puis se permet un changement de bicyclette. Personne ne semble prendre la course au sérieux. Trois minutes et trente secondes plus loin, l'Andytop enfile un maillot jaune virtuel (fameux vêtement fabriqué en Chine, dont les coutures partent rapidement en brioche).
Puisque tout le monde semble prendre ça à la blague, et bien nous aussi. Je commande donc un second demi, et, tout en fumant, un pied sur la terrasse, un pied dans la salle afin de ne rien rater de la retransmission, je devise avec mon fin connaisseur de patron. Andy Schleck nous fait plaisir, c'est sûr. En lecteur assidu de cette page, il a su tirer profit des nombreuses critiques que je formule jour après jour à son égard, et enfin pris ses responsabilités de champion. Une question nous agite, cependant. Agit-il pour son propre compte ou pour celui de son aîné ?
C'est toute l'ironie de l'étape du jour. Vilipendés pour leur stratégie boîteuse, les frères Schleck ont réussi, à l'encontre de tous les pronostics, un coup de parfaite intelligence tactique.
Le peloton des poursuivants ne reprend rien dans la vallée. Andy Steak, façon grand style, abandonne un à un tous ses collègues d'escapade, et s'en va seul à la conquête du Galibier. A quatorze kilomètres du terme, il possède 4 minutes d'avance. Plus qu'un coussin, un édredon géant, sur lequel il sautille.
La passivité de Contador laisse perplexe. On se met à chipoter. Evans aimerait que Voeckler roule, vu qu'il a le maillot jaune, mais Voeckler, -riposte imparable- lui répond par l'éternel leitmotiv de Guy Roux : Il n'envisage pas de gagner le Tour, il joue le maintien.
L'Australien aux yeux de croco mort finit par prendre le volant du camion.
Sans moufter, le cuissard en décolleté du plombier, Cadel enquille les bornes comme on abat un eucalyptus à la hache. Dans son dos, les koalas Voeckler et Rolland tiennent le choc.
Contador, le seul véritable attaquant de la bande, reste en retrait, incapable de prendre part à la poursuite. A cinq kilomètres du pic, il faut se rendre à l'évidence, la bagarre n'aura pas lieu. l'Albert n'a pas les jambes. Pour la première fois depuis des années, il laisse filer, et lâchera bientôt ce Tour de France à plus méritant.
Les derniers hectomètres sont épiques.
Andiche, sans jamais trop grimacer, termine enfin son périple au pays de l'exploit et gagne l'étape.
Son frère Frank prend la deuxième place, tandis que Cadel Evans, puis Thomas Voeckler limitent tant bien que mal les dégâts, le premier en échouant à 2'15'', le second, se classant cinquième (!!) et sauvant son maillot.
Souvent moqué dans cette tribune pour la mollesse de son ventre et son tempérament médiocre, Andy Schleck mérite ce soir toutes nos félicitations.
Cela lui suffira-t-il à remporter ce Tour de France ?
Rien n'est moins sûr.
L'enjeu réside dans la faculté des deux frères à décramponner suffisamment Cadel Evans demain dans l'Alpe-d'Huez. Certainement, en sont-ils capables. Mais le BMC au rictus de bagnard est fichu de s'accrocher, tout pareil. Dans ce Tour de France décomplexé, qui n'est pas capable de tout ?
Tommy Boy et son Peter Pan repoussent chaque jour les limites du vraisemblable et remontent le bourrichon national à des hauteurs plus vues depuis Mitterrand.
Quant à l'Alberto, foutu pour foutu, aura-t-il demain les moyens physiques de ses ambitions ?
Pourra-t-il, sur les cent kilomètres de cette montagnarde express, secouer le cocotier, ou, du moins, pour l'honneur, gagner l'étape ?
Nous avançons, tremblants, vers le temps du dénouement.
Pascal d'Huez
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